101. Antoine Berjon

Lyon 1754 – 1843 Lyon

Portrait d’une femme, an VIII (23 septembre 1799 – 22 septembre 1800)

De la même manière qu’il sut saisir la fragilité et le rayonnement d’un millier de fleurs passées entre ses mains1, Antoine Berjon s’appliqua ici à rendre, sur une fine plaque d’ivoire, la jeunesse exaltée de son modèle. La nature prise sur le fait, et un regard qui se tourne vers l’artiste pour devenir certainement la plus belle effigie du modèle et probablement le chef-d’œuvre de l’artiste dans ce domaine si intime et sensible du portrait en miniature.

Entre 1794 et 1810, Berjon, lyonnais d’origine2, vécut à Paris et fut accueilli et logé par le peintre de miniatures, et maître incontesté, Jean-Baptiste Jacques Augustin (1759–1832)3. La réputation de Berjon en tant que peintre de fleurs et de natures mortes, ayant déjà exposé à plusieurs reprises au Salon de Paris, lui procura des commandes, qu’il étendit alors vers davantage de portraits (voir cat. 27).

Dans cet art du portrait en miniature, où la minutie donne son importance à chaque détail, la contrainte du format, si resserré, et du support, cet ivoire si fragile, guide l’exaltation de la vie dans le regard et dans le langage corporel du modèle. L’air qui circule autour d’elle est empli de son parfum et du son de sa voix.

Berjon offre donc le portrait d’une femme mariée, comme surprise dans un moment du quotidien, presque dans l’intimité de sa jeunesse. Le peintre saisit et capture, sous verre – car une miniature n’est jamais vernie – l’émotion de cette jeune femme qui a encore les joues rouges, qui a tout juste pris le temps de nouer ses cheveux avant de venir poser avec le sourire. La manche de sa robe, quelque peu rigide, est rattrapée par la main délicate, qui révèle l’alliance ainsi que l’élégance naturelle du modèle4. Comble du raffinement, cette œuvre était accompagnée d’une boucle de cheveux, gardée précieusement jusqu’en 18865.

Après avoir quitté l’intimité du couple pour qui il a été peint, ce portrait a fait partie de deux prestigieuses collections de miniatures du XIXe siècle. Son passage à l’hôtel Drouot en 1886, dans la vente de Saint-Albin et Jubinal, indique qu’il a attiré l’attention de la peintre de fleurs et de portraits sur porcelaine Hortense Céline Rousselin-Corbeau de Saint-Albin (1816–1874), fille de Philippe de Saint-Albin (1822–1879), ancien bibliothécaire de l’Impératrice6, et mariée à Achille Jubinal (1810–1875), historien et homme politique. Félix Panhard (1842–1891), autre collectionneur important dans le domaine des miniatures, en fit ainsi l’acquisition en 1886 et commanda le cadre en bronze doré, gravé au verso7, que la Fondation Custodia a conservé tel quel : un écrin subtil pour ce portrait plein de vie.

Antoine Cortes

1«  […] Berjon est l’un des seuls fleuristes à savoir exprimer la vie du végétal, forte et ténue comme un brin d’herbe perçant la terre au printemps. L’angle de vision, le choix judicieux et infaillible entre les détails à préserver et ceux qu’il faut supprimer renforcent la présence intense du végétal. L’évocation du dynamisme précède toujours, chez l’artiste, la description botanique.  », Élisabeth Hardouin-Fugier et Étienne Grafe, Les peintres de fleurs en France : de Redouté à Redon : suivi d’un répertoire des peintres cités dans l’ouvrage, Paris, 1993, p. 172.

2Pour une notice biographique détaillée sur Antoine Berjon, voir Élisabeth Hardouin-Fugier et Étienne Grafe, Fleurs de Lyon 1807, cat. exp. Lyon (musée des Beaux-Arts), 1982, p. 72-86.

3Bernd Pappe, Jean-Baptiste Jacques Augustin, 1759-1832 : une nouvelle excellence dans l’art du portrait en miniature, Vérone, 2015, p. 30. Il n’est pas certain que Berjon ait été précisément un élève de ce maître incontesté, mais leur amitié a certainement donné lieu à de nombreux échanges au sujet de la peinture.

4Quant à son identité, bien qu’il ne soit pas forcément nécessaire de l’élucider, la ressemblance de cette œuvre avec le portrait en miniature d’Antoine Berjon conservé au Louvre mérite d’être signalée (Antoine Berjon, Portrait de femme, en buste, musée du Louvre, Paris, inv. RF 31277. Si le vêtement est différent, en revanche la chevelure, les traits du visage ainsi que la moue souriante ressemblent beaucoup. Nathalie Lemoine-Bouchard identifie le modèle du Louvre comme étant l’épouse du peintre Claude Hoin (1750–1817), ami proche de Berjon. Voir Nathalie Lemoine-Bouchard, Les Peintres en miniature, actifs en France (1650–1850), Paris, 2008, p. 88-89.

5La vente Saint-Albin et Jubinal, Paris (Drouot, Chevallier/Mannheim), 22-23 mars 1886, n° 157, p. 30, décrit l’objet en ces termes : «  miniature sur ivoire à angles coupés, signée : Berjon : Portrait de femme de profil à gauche. Elle est montée dans un médaillon d’or, avec parquet [sic] de cheveux au revers.  ».

6Pour sa marque, voir L.2255.

7Décrit ainsi dans la vente de Félix Panhard, Paris (Palais Galliera, Ader/Ader/Picard/Tajan), 5 décembre 1975, n° 21 : «  ciselé de perles, godrons et d’une frise de palmettes sur fond rayé, il est surmonté d’un nœud de rubans  ».