Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 16. Jan Goeree Middelbourg 1670 – 1731 Amsterdam Geen dag sonder trek (« Pas un jour sans une ligne ») Au XVIIe siècle, le dessin était au cœur de l’enseignement des jeunes artistes. Ils apprenaient dès le début de leur formation à faire des copies de gravures de grands maîtres, avant de dessiner d’après des modèles en trois dimensions. Après leur formation, les artistes – certains plus que d’autres – continuaient à dessiner, comme en témoigne le grand nombre de dessins et d’études préliminaires conservés aujourd’hui. On estimait en effet qu’il était indispensable de dessiner tous les jours. La devise Nulla dies sine linea (« Pas un jour sans [tracer] une ligne »), tirée de la vie du peintre Apelle par Pline l’Ancien, était très connue au XVIIe siècle1. Notre dessin constitue une interprétation libre de cet adage. Il représente un jeune artiste à son chevalet, tenant dans sa main droite un morceau de craie, médium souvent utilisé au XVIIe siècle pour faire un tracé sur toile ou sur panneau en préparation d’un tableau. Un homme barbu, à l’aspect plutôt féroce (Apelle ?), lui soutient la main gauche, sans doute pour guider l’artiste peu expérimenté. Sur un étendard, on peut lire la devise Geen dag sonder trek (« Pas un jour sans [tracer] une ligne »). Comme le suggère Robert-Jan te Rijdt, ce dessin est de la main de Jan Goeree, dessinateur, graveur, illustrateur et poète hollandais2. Il s’agit d’une illustration jusqu’alors non identifiée du stamboek ou album amicorum – aujourd’hui démembré – de Joanna Blok, née Koerten (1650–1715), artiste et silhouettiste renommée d’Amsterdam. De nombreux artistes, écrivains et visiteurs de marque qui venaient voir sa collection contribuèrent à ce livre, dont le maître de Goeree : Gerard de Lairesse (1641–1711)3. Goeree dessina le frontispice et au moins dix autres illustrations, dont un dessin recto-verso récemment apparu sur le marché de l’art, signé et daté de 1705, et acquis également par la Fondation Custodia4. Geen dag sonder trek fut vraisemblablement exécuté vers la même époque. La bordure circulaire est très caractéristique de ces dessins, ornée de brindilles souples ou de feuilles de palmier liées par un ruban dans le bas5. Ce dessin accompagnait probablement la contribution, à présent perdue, qu’un visiteur – sans doute un artiste – avait inscrite dans le livre. Cependant, la devise s’applique aussi à Joanna elle-même. Selon le lettré et bibliophile allemand Zacharius Conrad von Uffenbach (1683–1743), qui a rendu visite à sa collection en 1711, chaque silhouette qu’elle exécutait était « tout d’abord dessinée avec beaucoup d’art et de ressemblance6 ». Marleen Ram 1Ger Luijten, Peter Schatborn et Arthur K. Wheelock, Du Dessin au tableau au siècle de Rembrandt, cat. exp. Washington (National Gallery of Art), Paris (Fondation Custodia), 2016, p. 26. La devise est citée dans Emblemata Politica de Justus Reifenberg (1632), Lof der Schilder-Konst de Philips Angel (1642) et Van ‘t Light der Teken en Schilderkunst de Crispijn van de Passe (1643). 2Communication orale de Robert-Jan te Rijdt, 2017. 3Parmi les contributeurs, on compte aussi le peintre Melchior de Hondecoeter (1636–1695) et le poète David van Hoogstraten (1658–1724). Au sujet de ce stamboek, voir Plomp 1989, op. cit. (note 8), p. 323-343 ; Robert-Jan te Rijdt, « Jan Goeree, het stamboek van Joanna Koerten en de datering ervan », Delineavit et Sculpsit, vol. XVII, 1997, p. 48-56 ; et Rindert Jagersma et Joanna Rozendaal, « Female Book Ownership in the Eighteenth-Century Dutch Republic. The Book Collection of Paper-Cutting Artist Joanna Koerten (1650-1715) », Quærendo, vol. L, n° 1-2, 2020, p. 109-140. 4Paris, Fondation Custodia, don d’Onno van Seggelen, Rotterdam, inv. 2018-T.6 (plume et encre grise, lavis brun et gris et blanc opaque, sur un tracé à la craie rouge ; 161 × 157 mm). Cette feuille porte la signature de Thomas Howard, 7e Baron d’Effingham (1682–1775) et la date « March 29th 1701 ». Le jeune baron, qui avait hérité du titre de son père défunt en 1696, vint apparemment visiter Amsterdam et la collection de Joanna au début du printemps 1701. Goeree, qui ne semble pas avoir été impressionné par le rang de ce visiteur, décora la même page, en illustrant la devise D’Eenigste adeldom is deugt (« La seule noblesse est la vertu »), quelques années plus tard, en 1705. 5Une feuille signée, datée 1708, avec trois dessins circulaires semblables, ornés de la même manière, se trouvait dans la collection des héritiers de Victor de Stuers (1843–1919), Vorden (plume et encre brune, lavis brun, 180 × 187 mm) ; Dirk Hannema, Oude tekeningen uit de verzameling Victor de Stuers, cat. exp. Almelo (Kunstkring de Waag), Rotterdam (Museum Boijmans Van Beuningen), 1961, p. 20, n° 69. 6Zacharius Conrad von Uffenbach, Merkwürdige Reisen, Ulm et Memmingen, 1753-1754, vol. III, p. 555, (« erstlich sehr künstlich und gleichend zeichnet »). 7Sara Outgers était la nièce de la mère d’Adriaan Blok et hérita de la collection (voir ci-après) après la mort de Maria Blok en 1737. Son époux, le marchand d’art Pieter Testas, chercha à vendre la collection en bloc et publia un catalogue en 1744. Des dessins de Goeree sont cités sous les nos 30-34, 45, 53, 59 et 65-67. Une copie de ce catalogue se trouve à la bibliothèque du Rijksmuseum ; Joke Verhaven et Jan Peter Verhave, « Joanna Koerten en haar schaar van bewonderaars », Doopsgezinde bijdragen, vol. XLII, 2016, p. 176. 8Oudaan acheta sans doute une grande partie des dessins et des documents autographes de la collection de Joanna Blok, lors de sa vente en 1762 ou 1765 ; Michiel Plomp, « De portretten uit het stamboek voor Joanna Koerten (1650–1715) », Leids kunsthistorisch jaarboek, vol. VIII, 1989, p. 328 et 343, note 20.
Au XVIIe siècle, le dessin était au cœur de l’enseignement des jeunes artistes. Ils apprenaient dès le début de leur formation à faire des copies de gravures de grands maîtres, avant de dessiner d’après des modèles en trois dimensions. Après leur formation, les artistes – certains plus que d’autres – continuaient à dessiner, comme en témoigne le grand nombre de dessins et d’études préliminaires conservés aujourd’hui. On estimait en effet qu’il était indispensable de dessiner tous les jours. La devise Nulla dies sine linea (« Pas un jour sans [tracer] une ligne »), tirée de la vie du peintre Apelle par Pline l’Ancien, était très connue au XVIIe siècle1. Notre dessin constitue une interprétation libre de cet adage. Il représente un jeune artiste à son chevalet, tenant dans sa main droite un morceau de craie, médium souvent utilisé au XVIIe siècle pour faire un tracé sur toile ou sur panneau en préparation d’un tableau. Un homme barbu, à l’aspect plutôt féroce (Apelle ?), lui soutient la main gauche, sans doute pour guider l’artiste peu expérimenté. Sur un étendard, on peut lire la devise Geen dag sonder trek (« Pas un jour sans [tracer] une ligne »). Comme le suggère Robert-Jan te Rijdt, ce dessin est de la main de Jan Goeree, dessinateur, graveur, illustrateur et poète hollandais2. Il s’agit d’une illustration jusqu’alors non identifiée du stamboek ou album amicorum – aujourd’hui démembré – de Joanna Blok, née Koerten (1650–1715), artiste et silhouettiste renommée d’Amsterdam. De nombreux artistes, écrivains et visiteurs de marque qui venaient voir sa collection contribuèrent à ce livre, dont le maître de Goeree : Gerard de Lairesse (1641–1711)3. Goeree dessina le frontispice et au moins dix autres illustrations, dont un dessin recto-verso récemment apparu sur le marché de l’art, signé et daté de 1705, et acquis également par la Fondation Custodia4. Geen dag sonder trek fut vraisemblablement exécuté vers la même époque. La bordure circulaire est très caractéristique de ces dessins, ornée de brindilles souples ou de feuilles de palmier liées par un ruban dans le bas5. Ce dessin accompagnait probablement la contribution, à présent perdue, qu’un visiteur – sans doute un artiste – avait inscrite dans le livre. Cependant, la devise s’applique aussi à Joanna elle-même. Selon le lettré et bibliophile allemand Zacharius Conrad von Uffenbach (1683–1743), qui a rendu visite à sa collection en 1711, chaque silhouette qu’elle exécutait était « tout d’abord dessinée avec beaucoup d’art et de ressemblance6 ». Marleen Ram 1Ger Luijten, Peter Schatborn et Arthur K. Wheelock, Du Dessin au tableau au siècle de Rembrandt, cat. exp. Washington (National Gallery of Art), Paris (Fondation Custodia), 2016, p. 26. La devise est citée dans Emblemata Politica de Justus Reifenberg (1632), Lof der Schilder-Konst de Philips Angel (1642) et Van ‘t Light der Teken en Schilderkunst de Crispijn van de Passe (1643). 2Communication orale de Robert-Jan te Rijdt, 2017. 3Parmi les contributeurs, on compte aussi le peintre Melchior de Hondecoeter (1636–1695) et le poète David van Hoogstraten (1658–1724). Au sujet de ce stamboek, voir Plomp 1989, op. cit. (note 8), p. 323-343 ; Robert-Jan te Rijdt, « Jan Goeree, het stamboek van Joanna Koerten en de datering ervan », Delineavit et Sculpsit, vol. XVII, 1997, p. 48-56 ; et Rindert Jagersma et Joanna Rozendaal, « Female Book Ownership in the Eighteenth-Century Dutch Republic. The Book Collection of Paper-Cutting Artist Joanna Koerten (1650-1715) », Quærendo, vol. L, n° 1-2, 2020, p. 109-140. 4Paris, Fondation Custodia, don d’Onno van Seggelen, Rotterdam, inv. 2018-T.6 (plume et encre grise, lavis brun et gris et blanc opaque, sur un tracé à la craie rouge ; 161 × 157 mm). Cette feuille porte la signature de Thomas Howard, 7e Baron d’Effingham (1682–1775) et la date « March 29th 1701 ». Le jeune baron, qui avait hérité du titre de son père défunt en 1696, vint apparemment visiter Amsterdam et la collection de Joanna au début du printemps 1701. Goeree, qui ne semble pas avoir été impressionné par le rang de ce visiteur, décora la même page, en illustrant la devise D’Eenigste adeldom is deugt (« La seule noblesse est la vertu »), quelques années plus tard, en 1705. 5Une feuille signée, datée 1708, avec trois dessins circulaires semblables, ornés de la même manière, se trouvait dans la collection des héritiers de Victor de Stuers (1843–1919), Vorden (plume et encre brune, lavis brun, 180 × 187 mm) ; Dirk Hannema, Oude tekeningen uit de verzameling Victor de Stuers, cat. exp. Almelo (Kunstkring de Waag), Rotterdam (Museum Boijmans Van Beuningen), 1961, p. 20, n° 69. 6Zacharius Conrad von Uffenbach, Merkwürdige Reisen, Ulm et Memmingen, 1753-1754, vol. III, p. 555, (« erstlich sehr künstlich und gleichend zeichnet »). 7Sara Outgers était la nièce de la mère d’Adriaan Blok et hérita de la collection (voir ci-après) après la mort de Maria Blok en 1737. Son époux, le marchand d’art Pieter Testas, chercha à vendre la collection en bloc et publia un catalogue en 1744. Des dessins de Goeree sont cités sous les nos 30-34, 45, 53, 59 et 65-67. Une copie de ce catalogue se trouve à la bibliothèque du Rijksmuseum ; Joke Verhaven et Jan Peter Verhave, « Joanna Koerten en haar schaar van bewonderaars », Doopsgezinde bijdragen, vol. XLII, 2016, p. 176. 8Oudaan acheta sans doute une grande partie des dessins et des documents autographes de la collection de Joanna Blok, lors de sa vente en 1762 ou 1765 ; Michiel Plomp, « De portretten uit het stamboek voor Joanna Koerten (1650–1715) », Leids kunsthistorisch jaarboek, vol. VIII, 1989, p. 328 et 343, note 20.