20. Jakob Demus

Né à Vienne en 1959

Lapis Lazuli, 2009

L’œuvre graphique du Viennois Jakob Demus figure certainement parmi les plus originaux de sa génération. Entré en contact avec la technique de l’eau-forte à l’âge de seize ans, il assimile en autodidacte les rudiments de ce procédé et se plonge dans l’étude des maîtres anciens. N’ayant pas été accepté dans la section graphique à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne, c’est le cursus de sculpture qu’il suit à partir de 1977. Il reprend néanmoins son activité de graveur dès l’obtention de son diplôme en 19841, et se tourne vers une technique – la pointe sèche au diamant – qui devient rapidement sa signature et qu’il est aujourd’hui encore le seul à utiliser à ce niveau d’excellence2.

Cette pointe sèche d’un type particulier, comportant à son extrémité un diamant affûté, est traditionnellement utilisée par les graveurs pour rehausser les ombres, ou encore travailler des détails dont le tracé nécessite une grande précision. Elle fut mise en œuvre épisodiquement par Lovis Corinth (1858-1925) à titre expérimental3, mais Demus en fait son outil de prédilection. Elle permet en effet à l’artiste d’inciser le cuivre en douceur, la dureté du diamant déjouant la résistance propre au matériau. Le tracé, qui garde ainsi la spontanéité et la fluidité du dessin, se caractérise en outre par une finesse inégalée. La maîtrise de l’outil requiert néanmoins une habileté toute particulière : la pointe réagissant à la plus subtile inflexion ou variation de pression, le moindre faux-pas peut suffire à la briser4. Par ailleurs, à l’instar des plaques gravées à la pointe sèche traditionnelle, la pointe de diamant n’autorise qu’un faible nombre de tirages – une trentaine tout au plus –, les barbes s’usant à chaque passage sous presse5. Ces obstacles techniques rendent donc plus remarquables encore les estampes de Demus, réalisées le plus souvent sans dessin préparatoire.

Le nid de troglodyte que l’artiste grave en 1989 figure parmi ses chefs-d’œuvre (voir cat. n° 21). Demus utilise les propriétés du diamant pour détailler avec une extrême précision la structure de l’objet et la façon dont elle interagit avec la lumière. Il est ainsi parvenu à rendre tangible l’enchevêtrement des brins d’herbe6, opérant un exercice mental de déconstruction de la forme pour mieux l’analyser et la restituer dans son dessin. L’aspect velouté et vibrant du trait confère une fragilité émouvante à ce nid, qui occupe en outre une place à part dans la mythologie personnelle de l’artiste. Il le découvrit en effet sur un pin, au gré d’une promenade, et le reçut comme un trésor à transmettre. Plus tard, il l’offrit à son épouse en cadeau de mariage. Preuve de son attachement particulier, Demus le grava à deux reprises la même année, à la pointe sèche au diamant, modifiant seulement l’angle de vue7.

Parmi les autres trésors naturels que Demus collectionne figurent de nombreuses pierres, dont il a réalisé plusieurs « portraits »8 gravés. Il est le premier graveur, dès 1986, à s’intéresser à ce sujet comme une fin en soi9, la pointe sèche au diamant mettant à sa disposition la palette d’effets graphiques propres à décrire, avec une objectivité quasi-photographique, la surface de chaque pierre10. Il réalise ainsi en 1989 une estampe représentant une section de lapis-lazuli11, qui réussit la gageure de transcrire les caractéristiques physiques de ce minéral malgré l’absence de sa couleur bleu intense. Vingt ans plus tard, Demus revient sur le sujet, cette fois à l’aquarelle (voir cat. n° 20). Comme souvent dans ses estampes, il dépeint ici une paire de pierres disposées devant un fond neutre, uniquement matérialisé par une ombre portée. Reposant l’une contre l’autre, dans un équilibre délicat, les pierres semblent investies par Demus d’une personnalité propre. Il détaille à la pointe du pinceau les facettes des minéraux et les variations de couleurs, jouant largement de réserves de papier pour suggérer les veines blanches de calcite, et de touches ocre marquant les inclusions de pyrite. Il indique dans l’inscription portée sous le dessin la provenance des pierres – la région du Pamir – ainsi que le destinataire de son dessin – Gisela van Rossum –, se posant une nouvelle fois dans un rapport de transmission.

Ces deux œuvres de Demus sont des cadeaux reçus par la Fondation Custodia de la part de personnalités qui lui sont chères, Peter Schatborn et Gisela van Rossum, respectivement directeur émérite du Rijksprentenkabinet et ancienne restauratrice d’art sur papier au Rijksmuseum. MNG

1Ed de Heer (éd.), Jakob Demus, The Complete Graphic Work 1983-2005, Amsterdam, 2005, p. 221. Ce catalogue raisonné fut publié à l’occasion de l’exposition rétrospective offerte à Jakob Demus par le Museum Het Rembrandthuis à Amsterdam en 2005.

2Demus envisage d’ailleurs une continuité d’esprit entre le geste du graveur, qui taille de subtils reliefs dans sa plaque, et celui du sculpteur. Les deux techniques relèvent pour lui d’un même jeu sur les ombres et lumières ; ibid., p. 6.

3Ibid., p. 5 ; et Stephanie D’Alessandro, German Expressionist Prints : The Marcia and Granvil Specks Collection, Manchester, Wisconsin, 2003, p. 84.3

4La virtuosité technique de Jakob Demus, ainsi que son goût pour les maîtres anciens, se trouvent réunis dans ses dessins à la pointe d’argent, au nombre d’une centaine, notamment Iris, 1995, Vienne, collection particulière (pointe sèche à l’argent, sur papier préparé ; 490 × 700 mm) ; De Heer 2005, op. cit. (note 1), p. 7, fig. 1.

5Ibid., p. 6.

6Il réitère cet exercice à plus petite échelle en 1994, dans une autre pointe sèche au diamant représentant des brins d’herbes noués (197 × 230 mm) ; ibid., n° 241, repr.

7Ibid., nos 198 et 200.

8Ed de Heer décrit la philosophie de Demus comme teintée d’animisme ; ibid., p. 13.

9Ibid., p. 9 et n° 125. La curiosité de l’artiste pour le monde minéral transparaît aussi dans des dessins réalisés cette même année, relevant des formations rocheuses sur le motif, comme par exemple Carrière près de Marina di Puolo, 1986, Amsterdam, Museum Het Rembrandthuis (aquarelle ; 380 × 560 mm) et Formation rocheuse, 1986, Vienne, collection de l’artiste (lavis brun ; 225 × 310 mm) ; ibid., repr. p. 10-11, fig. 2 et 3.

10Ibid., nos 183, 187, 190, 191, 193-196, 203-205.

11Dont la Fondation Custodia conserve un exemplaire, inv. 2014-P.136 (pointe sèche au diamant ; 120 × 137 mm) ; ibid., sous le n° 194.