Accueil Catalogues en ligne Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten 21. Gherardo Cibo Gênes 1512 – 1600 Rocca Contrada Paysage avec une chasse au cerf Gherardo Cibo est un artiste au profil atypique. Dessinateur amateur et botaniste érudit, il réalisa de nombreux paysages et planches botaniques et mit à profit sa connaissance des plantes pour confectionner les couleurs utilisées dans ses œuvres. C’est aussi un théoricien qui a beaucoup écrit sur les techniques artistiques, sur l’art de composer un paysage1 et sur le caractère foncièrement expérimental de ses recherches – dont notre dessin est l’un des aboutissements. Première œuvre de la main de Cibo à rejoindre les collections de la Fondation Custodia, ce paysage construit selon les normes classiques fut exécuté comme une fin en soi. Le format presque carré de la feuille, le cadrage resserré et la silhouette curviligne des arbres du premier plan donnent néanmoins à cette composition une grande originalité. Dans sa technique, l’œuvre n’est pas sans évoquer les dessins d’artistes flamands et hollandais – une source d’inspiration importante pour Cibo2 – au point que l’un de ses deux dessins aujourd’hui conservés au Fitzwilliam Museum de Cambridge était autrefois attribué à Hans Bol (1534–1593)3. Un dessin ajouté il y a quelque temps au corpus de Pieter Bruegel I (1526/1530–1569)4 montre d’ailleurs que les influences entre artistes nordiques et méridionaux étaient réciproques : Bruegel, qui étudia en détail des dessins de Domenico Campagnola (1482/1500–1564) et infléchit sa manière au contact d’exemples italiens, mit en œuvre dans ce dessin une technique graphique qui présente avec notre feuille d’intéressantes similitudes. On reconnaît dans notre dessin et dans celui de Bruegel le même graphisme nerveux dans la description du feuillage, et la forme de parasol que l’artiste donna à la ramure des arbres. Les rehauts de gouache blanche, presque opaques, modèlent la texture des feuillages, les rides sur l’eau, les montagnes dans le lointain. Cibo employa également la gouache blanche très diluée pour créer les transparences des nuages. Le contraste entre les tons chauds et froids évoque l’atmosphère d’un autre dessin de l’artiste tout aussi pictural, conservé à Bruxelles5, et réalisé dans ces mêmes techniques sur papier bleu6. Si – dans ses carnets de croquis notamment7 – Cibo dessina beaucoup de paysages d’après nature, qu’il complétait souvent d’une inscription précisant le lieu et la date8, notre feuille est à considérer comme un paysage réalisé d’imagination. Le thème cynégétique n’est qu’un prétexte pour animer cette vue idéalisée, à l’instar des bergers avec leurs troupeaux au premier plan du dessin de Bruxelles. Marie-Noëlle Grison 1Dans son manuscrit Modo di colorire e far paesi, daté de la seconde moitié des années 1580 et conservé à la Bibliothèque de Crémone, inv. MS 156. 2Cibo entra en contact avec l’art d’Europe du Nord lors de son séjour en Flandres au printemps 1540 ; Giorgio Mangani et Lucia Tongiorgi Tomasi, Gherardo Cibo. Dilettante di botanica e pittore di ‘paesi’, Ancône, 2013, p. 116-120. 3Paysage montagneux avec un lac, plume et encre brune, lavis gris et bleu, 219 × 292 mm, Cambridge, Fitzwilliam Museum, inv. PD.177-1963 ; ibid., n° 46. 4Paysage boisé avec vue au loin sur la mer, plume et encre brune, lavis brun, pierre noire, rehauts de gouache blanche, sur papier bleu, 260 × 344 mm, Cambridge (Mass.), Fogg Art Museum, The Maida and George Abrams Collection, inv. 1999.132. La main de Bruegel a été reconnue dans ce dessin par Hans Mielke en 1994 ; voir William W. Robinson (dir.), De Bruegel à Rembrandt. Dessins hollandais et flamands de la collection Maida et George Abrams, cat. exp. Londres (The British Museum), Paris (Institut Néerlandais), Cambridge, Mass. (Fogg Art Museum), 2002, n° 1. 5Paysage fluvial boisé ; à l’avant-plan : un berger et son troupeau ; à l’arrière-plan : un château sur une colline, plume et encre brune, lavis brun, rehauts de gouache blanche, sur papier bleu, 212 × 277 mm, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts, ancienne collection Jean de Grez, inv. 4060/1786 ; Mangani et Tongiorgi Tomasi 2013, op. cit. (note 2), n° 21. 6D’autres exemples sont listés dans ibid., nos 257-258. 7Dont un exemple est conservé à la Biblioteca Communale Planettiana de Jesi, dit Album « A » ; Mangani et Tongiorgi Tomasi 2013, op. cit. (note 2), nos 119-131. 8Ibid., nos 132-149.
Gherardo Cibo est un artiste au profil atypique. Dessinateur amateur et botaniste érudit, il réalisa de nombreux paysages et planches botaniques et mit à profit sa connaissance des plantes pour confectionner les couleurs utilisées dans ses œuvres. C’est aussi un théoricien qui a beaucoup écrit sur les techniques artistiques, sur l’art de composer un paysage1 et sur le caractère foncièrement expérimental de ses recherches – dont notre dessin est l’un des aboutissements. Première œuvre de la main de Cibo à rejoindre les collections de la Fondation Custodia, ce paysage construit selon les normes classiques fut exécuté comme une fin en soi. Le format presque carré de la feuille, le cadrage resserré et la silhouette curviligne des arbres du premier plan donnent néanmoins à cette composition une grande originalité. Dans sa technique, l’œuvre n’est pas sans évoquer les dessins d’artistes flamands et hollandais – une source d’inspiration importante pour Cibo2 – au point que l’un de ses deux dessins aujourd’hui conservés au Fitzwilliam Museum de Cambridge était autrefois attribué à Hans Bol (1534–1593)3. Un dessin ajouté il y a quelque temps au corpus de Pieter Bruegel I (1526/1530–1569)4 montre d’ailleurs que les influences entre artistes nordiques et méridionaux étaient réciproques : Bruegel, qui étudia en détail des dessins de Domenico Campagnola (1482/1500–1564) et infléchit sa manière au contact d’exemples italiens, mit en œuvre dans ce dessin une technique graphique qui présente avec notre feuille d’intéressantes similitudes. On reconnaît dans notre dessin et dans celui de Bruegel le même graphisme nerveux dans la description du feuillage, et la forme de parasol que l’artiste donna à la ramure des arbres. Les rehauts de gouache blanche, presque opaques, modèlent la texture des feuillages, les rides sur l’eau, les montagnes dans le lointain. Cibo employa également la gouache blanche très diluée pour créer les transparences des nuages. Le contraste entre les tons chauds et froids évoque l’atmosphère d’un autre dessin de l’artiste tout aussi pictural, conservé à Bruxelles5, et réalisé dans ces mêmes techniques sur papier bleu6. Si – dans ses carnets de croquis notamment7 – Cibo dessina beaucoup de paysages d’après nature, qu’il complétait souvent d’une inscription précisant le lieu et la date8, notre feuille est à considérer comme un paysage réalisé d’imagination. Le thème cynégétique n’est qu’un prétexte pour animer cette vue idéalisée, à l’instar des bergers avec leurs troupeaux au premier plan du dessin de Bruxelles. Marie-Noëlle Grison 1Dans son manuscrit Modo di colorire e far paesi, daté de la seconde moitié des années 1580 et conservé à la Bibliothèque de Crémone, inv. MS 156. 2Cibo entra en contact avec l’art d’Europe du Nord lors de son séjour en Flandres au printemps 1540 ; Giorgio Mangani et Lucia Tongiorgi Tomasi, Gherardo Cibo. Dilettante di botanica e pittore di ‘paesi’, Ancône, 2013, p. 116-120. 3Paysage montagneux avec un lac, plume et encre brune, lavis gris et bleu, 219 × 292 mm, Cambridge, Fitzwilliam Museum, inv. PD.177-1963 ; ibid., n° 46. 4Paysage boisé avec vue au loin sur la mer, plume et encre brune, lavis brun, pierre noire, rehauts de gouache blanche, sur papier bleu, 260 × 344 mm, Cambridge (Mass.), Fogg Art Museum, The Maida and George Abrams Collection, inv. 1999.132. La main de Bruegel a été reconnue dans ce dessin par Hans Mielke en 1994 ; voir William W. Robinson (dir.), De Bruegel à Rembrandt. Dessins hollandais et flamands de la collection Maida et George Abrams, cat. exp. Londres (The British Museum), Paris (Institut Néerlandais), Cambridge, Mass. (Fogg Art Museum), 2002, n° 1. 5Paysage fluvial boisé ; à l’avant-plan : un berger et son troupeau ; à l’arrière-plan : un château sur une colline, plume et encre brune, lavis brun, rehauts de gouache blanche, sur papier bleu, 212 × 277 mm, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts, ancienne collection Jean de Grez, inv. 4060/1786 ; Mangani et Tongiorgi Tomasi 2013, op. cit. (note 2), n° 21. 6D’autres exemples sont listés dans ibid., nos 257-258. 7Dont un exemple est conservé à la Biblioteca Communale Planettiana de Jesi, dit Album « A » ; Mangani et Tongiorgi Tomasi 2013, op. cit. (note 2), nos 119-131. 8Ibid., nos 132-149.