Accueil Catalogues en ligne Art sur papier. Acquisitions récentes 34. Jean-Léon Gérôme Vesoul 1824 – 1904 Paris Étude pour « La Mort du Maréchal Ney », 1867 Le matin du 7 décembre 1815, le maréchal Ney était exécuté près du jardin du Luxembourg, après sa condamnation par le Parlement pour « avoir comploté en vue du retour de l’Empereur »1. Cette décision, prise sous la pression des Anglais, faisait suite à la défaite de Waterloo. Dans un tableau2 rétrospectif exposé au Salon de 1868, Gérôme rendit hommage à cette figure napoléonienne, dont il souhaitait réhabiliter la mémoire. La scène saisit l’instant d’après, au moment où le peloton d’exécution s’éloigne tandis que le condamné gît à terre. La proximité de cette composition avec celle d’un autre tableau de Gérôme, La Mort de Jules César3, souligne la convergence des intentions de l’artiste : témoigner du lâche assassinat d’un grand homme. Le souci de relater un événement historique dans sa réalité la plus crue s’inscrit dans « l’éthos positiviste »4 du temps de Gérôme. L’artiste s’appuya d’ailleurs sur le récit de l’événement publié par Vaulabelle en 18605. Ce parti pris naturaliste fut toutefois mal reçu lors de la présentation du tableau au Salon, tant l’image d’un maréchal de France gisant dans la boue, au pied d’un mur décrépit, était considérée comme une offense à sa mémoire6. Gérôme inventait néanmoins ici un nouveau langage dramatique, quasi-documentaire, pour rendre compte d’un destin humain au regard de l’Histoire. Annoté « 1er croquis », notre dessin ne fixe sur la feuille que le corps du maréchal étendu face contre terre, son chapeau tombé à ses côtés, sans autre indice de localisation que le bas d’un mur. La ligne du sol elle-même ne se trouve que suggérée au moyen d’une ombre légère qui ourle les contours du corps. Le sujet principal du tableau, qui en occupe le premier plan à droite, fait donc l’objet d’une première étude isolée, très soignée, que l’artiste intègrera dans sa composition sans y apporter de modification substantielle. Élève d’Ingres (1780-1867), attaché à une ligne claire, Gérôme trace les contours d’un trait fluide et assuré, tandis qu’il construit comme à son habitude les volumes au moyen de hachures nettes, parallèles ou croisées. Les plis de la redingote, minutieusement décrits, rendent tangibles le poids et de la texture du tissu qui couvre la dépouille. Mais la puissance du dessin tient au raccourci audacieux du corps du maréchal, procédé plastique également mis en œuvre dans l’étude préparatoire pour La Mort de Jules César7. Ainsi, malgré l’ellipse du reste du décor, Gérôme parvient à créer une profondeur de champ et une tridimensionnalité saisissantes. La formation académique de l’artiste explique la très grande place qu’occupe le dessin dans son processus créatif, comme jalon préparatoire à toute composition peinte, mais aussi comme moyen de noter fidèlement ses observations, ainsi qu’en témoignent ses nombreux carnets de croquis8. Tout comme l’autre étude connue pour ce tableau mentionnée par Gerald M. Ackerman, notre feuille porte une dédicace. L’artiste offrait souvent en effet des dessins à ses proches9. MNG 1Gerald M. Ackerman, Jean-Léon Gérôme. Monographie révisée – Catalogue raisonné mis à jour, Paris, 2000, n° 170. 2La Mort du Maréchal Ney, 1868, Galleries and Museums Trusts, Sheffield (Yorkshire), inv. VIS. 1844 (huile sur toile ; 64 × 103,5 cm) ; ibid., n° 170 ; Laurence des Cars et Dominique de Font-Réaulx (éd.), The spectacular art of Jean-Léon Gérôme (1824-1904), cat. exp., Los Angeles, J. Paul Getty Museum, Paris, Musée d’Orsay, et Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza, 2010-2011, n° 93. Autres œuvres graphiques en rapport : une étude de composition à la plume, dédicacée à Ludovic Halévy ; Ackerman 2000, op. cit. (note 1), sous le n° 170 (détails techniques non renseignés par l’auteur) ; et une gravure d’après cette dernière, par Vallette, parue dans la Gazette des Beaux-Arts, deuxième période, 1876, vol. 14, p. 343 ; ibid.. 3Baltimore, The Walters Art Museum, inv. 37.884 (huile sur toile ; 85,5 × 145,5 cm) ; Des Cars et De Font-Réaulx 2010-2011, op. cit. (note 2), n° 67 ; http://art.thewalters.org/detail/17030/the-death-of-caesar. 4Scott C. Allan dans ibid., p. 92. 5Qui décrit notamment la tenue que portait le maréchal ce jour-là : « Nous avons dit qu’il portait le deuil de son beau-père : il avait pour vêtements une redingote de gros drap bleu, une culotte et des bas de soie noire, pour coiffure un chapeau rond. » ; Achille de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations : jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe de janvier 1813 à octobre 1830, 8 vol., Paris, 1860, vol. IV, p. 120. 6L’artiste illustre précisément ce passage du récit de Vaulabelle : « Conformément aux règlements militaires, le corps resta déposé pendant un quart d’heure sur le lieu d’exécution. » ; ibid., p. 121 ; et Des Cars et De Font-Réaulx 2010-2011, op. cit. (note 2), n° 93. 7Washington, National Gallery of Art, The Ailsa Mellon Fund, inv. 1991.187.1 (graphite ; 167 × 326 mm. Signé, en bas à droite, au graphite : « JL Gerome ») ; Des Cars et De Font-Réaulx 2010-2011, op. cit. (note 2), sous le n° 67, note. 2 ; https://www.nga.gov/Collection/collection-search.html. Gérôme l’employa aussi pour les figures de pestiférés peintes en 1854 dans la chapelle Saint-Jérôme de l’église Saint-Séverin de Marseille ; ibid., p. 124. Ce motif tire probablement son origine du tableau représentant un soldat mort, anciennement attribué à Velázquez, qui se trouvait dans la collection Pourtalès et que Gérôme avait pu voir avant sa mise aux enchères (voir cat. n° 84) ; ibid., op. cit. (note 2), sous le n° 67, note. 3. 8Sophie Harent et Claire Stoullig (éd.), Dessins de Jean-Léon Gérôme. La collection du musée des Beaux-Arts de Nancy, cat. exp., Nancy, Musée des Beaux-arts, 2009 p. 13. 9Ibid., p. 14 et note 11.
Le matin du 7 décembre 1815, le maréchal Ney était exécuté près du jardin du Luxembourg, après sa condamnation par le Parlement pour « avoir comploté en vue du retour de l’Empereur »1. Cette décision, prise sous la pression des Anglais, faisait suite à la défaite de Waterloo. Dans un tableau2 rétrospectif exposé au Salon de 1868, Gérôme rendit hommage à cette figure napoléonienne, dont il souhaitait réhabiliter la mémoire. La scène saisit l’instant d’après, au moment où le peloton d’exécution s’éloigne tandis que le condamné gît à terre. La proximité de cette composition avec celle d’un autre tableau de Gérôme, La Mort de Jules César3, souligne la convergence des intentions de l’artiste : témoigner du lâche assassinat d’un grand homme. Le souci de relater un événement historique dans sa réalité la plus crue s’inscrit dans « l’éthos positiviste »4 du temps de Gérôme. L’artiste s’appuya d’ailleurs sur le récit de l’événement publié par Vaulabelle en 18605. Ce parti pris naturaliste fut toutefois mal reçu lors de la présentation du tableau au Salon, tant l’image d’un maréchal de France gisant dans la boue, au pied d’un mur décrépit, était considérée comme une offense à sa mémoire6. Gérôme inventait néanmoins ici un nouveau langage dramatique, quasi-documentaire, pour rendre compte d’un destin humain au regard de l’Histoire. Annoté « 1er croquis », notre dessin ne fixe sur la feuille que le corps du maréchal étendu face contre terre, son chapeau tombé à ses côtés, sans autre indice de localisation que le bas d’un mur. La ligne du sol elle-même ne se trouve que suggérée au moyen d’une ombre légère qui ourle les contours du corps. Le sujet principal du tableau, qui en occupe le premier plan à droite, fait donc l’objet d’une première étude isolée, très soignée, que l’artiste intègrera dans sa composition sans y apporter de modification substantielle. Élève d’Ingres (1780-1867), attaché à une ligne claire, Gérôme trace les contours d’un trait fluide et assuré, tandis qu’il construit comme à son habitude les volumes au moyen de hachures nettes, parallèles ou croisées. Les plis de la redingote, minutieusement décrits, rendent tangibles le poids et de la texture du tissu qui couvre la dépouille. Mais la puissance du dessin tient au raccourci audacieux du corps du maréchal, procédé plastique également mis en œuvre dans l’étude préparatoire pour La Mort de Jules César7. Ainsi, malgré l’ellipse du reste du décor, Gérôme parvient à créer une profondeur de champ et une tridimensionnalité saisissantes. La formation académique de l’artiste explique la très grande place qu’occupe le dessin dans son processus créatif, comme jalon préparatoire à toute composition peinte, mais aussi comme moyen de noter fidèlement ses observations, ainsi qu’en témoignent ses nombreux carnets de croquis8. Tout comme l’autre étude connue pour ce tableau mentionnée par Gerald M. Ackerman, notre feuille porte une dédicace. L’artiste offrait souvent en effet des dessins à ses proches9. MNG 1Gerald M. Ackerman, Jean-Léon Gérôme. Monographie révisée – Catalogue raisonné mis à jour, Paris, 2000, n° 170. 2La Mort du Maréchal Ney, 1868, Galleries and Museums Trusts, Sheffield (Yorkshire), inv. VIS. 1844 (huile sur toile ; 64 × 103,5 cm) ; ibid., n° 170 ; Laurence des Cars et Dominique de Font-Réaulx (éd.), The spectacular art of Jean-Léon Gérôme (1824-1904), cat. exp., Los Angeles, J. Paul Getty Museum, Paris, Musée d’Orsay, et Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza, 2010-2011, n° 93. Autres œuvres graphiques en rapport : une étude de composition à la plume, dédicacée à Ludovic Halévy ; Ackerman 2000, op. cit. (note 1), sous le n° 170 (détails techniques non renseignés par l’auteur) ; et une gravure d’après cette dernière, par Vallette, parue dans la Gazette des Beaux-Arts, deuxième période, 1876, vol. 14, p. 343 ; ibid.. 3Baltimore, The Walters Art Museum, inv. 37.884 (huile sur toile ; 85,5 × 145,5 cm) ; Des Cars et De Font-Réaulx 2010-2011, op. cit. (note 2), n° 67 ; http://art.thewalters.org/detail/17030/the-death-of-caesar. 4Scott C. Allan dans ibid., p. 92. 5Qui décrit notamment la tenue que portait le maréchal ce jour-là : « Nous avons dit qu’il portait le deuil de son beau-père : il avait pour vêtements une redingote de gros drap bleu, une culotte et des bas de soie noire, pour coiffure un chapeau rond. » ; Achille de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations : jusqu’à l’avènement de Louis-Philippe de janvier 1813 à octobre 1830, 8 vol., Paris, 1860, vol. IV, p. 120. 6L’artiste illustre précisément ce passage du récit de Vaulabelle : « Conformément aux règlements militaires, le corps resta déposé pendant un quart d’heure sur le lieu d’exécution. » ; ibid., p. 121 ; et Des Cars et De Font-Réaulx 2010-2011, op. cit. (note 2), n° 93. 7Washington, National Gallery of Art, The Ailsa Mellon Fund, inv. 1991.187.1 (graphite ; 167 × 326 mm. Signé, en bas à droite, au graphite : « JL Gerome ») ; Des Cars et De Font-Réaulx 2010-2011, op. cit. (note 2), sous le n° 67, note. 2 ; https://www.nga.gov/Collection/collection-search.html. Gérôme l’employa aussi pour les figures de pestiférés peintes en 1854 dans la chapelle Saint-Jérôme de l’église Saint-Séverin de Marseille ; ibid., p. 124. Ce motif tire probablement son origine du tableau représentant un soldat mort, anciennement attribué à Velázquez, qui se trouvait dans la collection Pourtalès et que Gérôme avait pu voir avant sa mise aux enchères (voir cat. n° 84) ; ibid., op. cit. (note 2), sous le n° 67, note. 3. 8Sophie Harent et Claire Stoullig (éd.), Dessins de Jean-Léon Gérôme. La collection du musée des Beaux-Arts de Nancy, cat. exp., Nancy, Musée des Beaux-arts, 2009 p. 13. 9Ibid., p. 14 et note 11.