78. Peter Vos

Utrecht 1935 – 2010 Utrecht

Vogeldagboek («  Journal d’oiseaux  »), 1984

En 2013, un peu plus de deux ans après la mort de l’artiste, la Fondation Custodia et le musée de la Maison de Rembrandt d’Amsterdam ont organisé l’exposition Peter Vos : Métamorphoses et publié à cette occasion un catalogue richement illustré1. Vos a représenté de nombreuses mues d’hommes en oiseaux, qui avaient directement à voir avec sa passion des volatiles et ses connaissances en ornithologie. Mais au-delà de ces métamorphoses, comme le rappelle la dernière de couverture du catalogue, il était le dessinateur d’à peu près toutes les créatures qui se propulsent avec des ailes2.

On peut en faire l’expérience dans ces deux carnets de dessin récemment acquis par la Fondation Custodia. Le premier est un journal d’oiseaux (voir cat. n° 78), comme les ornithologues ont coutume de les nommer, dans lequel l’artiste fait l’inventaire détaillé des oiseaux qu’il a observés à un endroit et à un moment donnés, à l’aide d’une classification toute personnelle : il distinguait un oiseau qu’il avait vu d’un oiseau qu’il avait seulement entendu et notait : « vu d’abord et ensuite entendu » et « d’abord entendu et ensuite vu ». Vos effectuait régulièrement des voyages ornithologiques, notamment en Camargue, en Israël, sur l’île de Terschelling et en Espagne3. Les endroits cités dans ce journal sont à Amsterdam, proches de sa maison : l’Amsterdamse bos, Varik aan de Waal, le Zuidpier et le zoo Artis. Entre les notes et les listes d’espèces d’oiseaux crayonnées d’une écriture cursive et déliée, on trouve des dessins qui saisissent le vol d’une nuée d’oiseaux, des attitudes ou des mouvements observés de très près. Avec ses jumelles, il lui arrivait d’assister à des tragédies, comme celle du 5 mai 1984, lorsqu’un geai des chênes a capturé, dans son jardin, un jeune moineau et lui a arraché des morceaux de viande de son poitrail pour les manger, après quoi il a posé « un long morceau d’intestin à côté de lui sur la branche », tandis la mère moineau, impuissante, sonnait l’alarme. La scène est enregistrée dans un dessin. Le 27 mars de la même année, Vos écrit « J’ai enfin réentendu chanter un roitelet. Satisfaction des chercheurs et leurs soupçons confirmés ». Au zoo Artis d’Amsterdam, il observe les hiboux philippins dans l’après-midi du 10 février 1984 : « Les Ketupae criaillent avec leur gorge bien ronde. La collerette blanche gonflée comme un globe. Le mâle saute ensuite sur la femelle. Accouplement. Le criaillement était sourd, et beaucoup plus doux que celui du grand-duc malais deux cages plus loin. »

Peter Vos aimait dessiner sur le beau papier blanc cassé qui était (et est toujours) utilisé pour les publications des éditions De Arbeiderspers, en particulier pour la série « Privé-domein » consacrée aux journaux et aux correspondances. Son ami Theo Sontrop (1931-2017) lui fournissait des maquettes dans lesquelles l’un des cahiers était parfois imprimé. Le choix de lettres tirées de la correspondance de Gustave Flaubert rassemblées sous le titre Haat is deugd La haine est une vertu ») a formé la base d’un sommet incontesté de l’œuvre dessiné de Peter Vos, les 333 oiseaux (voir cat. n° 79). Les dessins sont datés de 1980 et 1981 et le frontispice porte l’année 1982, quand le travail du dessinateur était terminé. C’était une entreprise ambitieuse. Ni corrections ni possibilité de changer quelle que feuille que ce soit, car un livre broché ne le permettait pas. Le résultat est absolument époustouflant et le livre de dessins est digne des plus beaux ouvrages du genre. Les dessins sont pleins d’humour et originaux dans leur composition. Le choix des espèces ornithologiques est très personnel, entre spécimens des champs et animaux en captivité, la virtuosité avec laquelle l’artiste réussit à saisir les attitudes des différents oiseaux, laisse pantois. Il ne fait pas non plus de doute que toutes ces années passées à tenir des journaux d’oiseaux et à observer leur comportement ont conduit à quelque chose d’un autre ordre. Les pages ne donnent aucune indication sur les espèces représentées, mais entre les pages dessinées, les oiseaux sont désignés avec un numéro d’illustration et leurs noms latins ; chaque dessin est accompagné d’une date tracée d’une écriture extrêmement fine.

Surtout dans le cas des oiseaux au plumage d’un noir profond, la virtuosité technique de l’artiste est ce qui frappe en premier. Mais le livre doit être considéré comme un tout, c’est pourquoi la Fondation Custodia envisage la publication d’un fac-similé. Jusqu’à présent, quelques feuilles éparses ont été reproduites – dans le recueil de poèmes d’Ed Leeflang, Begroeyt met pluimen  Couvert de plumes »), de 1991 et dans le catalogue de la rétrospective de 1995 à Breda, Peter Vos-dessinateur4. La poésie d’Ed Leeflang nous révèle que le poète savait lui aussi observer les oiseaux et saisir avec des mots ce que Peter Vos saisissait au vol avec le dessin. Vos ne donnait jamais aucune indication de leur environnement, les oiseaux apparaissent sur des feuilles pour le reste laissées vides, un peu comme une étendue de neige.

Butor en hiver
Il traverse la chaussée gelée
genoux flageolant, ses hautes
pattes se cassant en deux ou trois.
Il se tient debout les jambes écartées. Pas d’ami,
Pas de visibilité sur la glace glissante. Rien d’autre
que sa propre peur qui prend son temps.

Son étang est gelé. La faim
l’envoie par les rues, vers une
autre roselière blanche. Il était caché.
Il a succombé aux avances
du lendemain, ignorant
ce qui l’attend de l’autre côté5. GL

1Eddy de Jongh et Jan Piet Filedt Kok, avec la collaboration de Saïda Vos, Peter Vos : Métamorphoses, cat. exp., Paris, Institut Néerlandais, et Amsterdam, Museum Het Rembrandthuis, 2013.

2Sur la place des oiseaux dans l’imagination de Peter Vos en tant qu’écrivain de lettres illustrées, voir : Jan Piet Filedt Kok et Eddy de Jongh, avec la collaboration de Saïda Vos, Peter Vos. Getekende brieven, Amsterdam, 2017.

3Voir Jan Piet Filedt Kok, «  Werk en leven  », in ibid., p. 210-21.

4Rinus Ferdinandusse, Peter Vos : dessinateur, Amsterdam, 1995.

5Ed Leeflang, Begroeyt met pluimen : gedichten, Amsterdam, 1991, p. 39.

6«  Prologue. Commencé ce (cinquième) journal d’oiseaux après un long intermède. Une période sombre, durant laquelle je ne suis pratiquement pas sorti et ne m’intéressais plus, ou avec difficulté, même remis sur pied, à ce qui m’avait donné tant de plaisir et d’enthousiasme tout au long de ces années. La répétition d’une ‘Étude en gris’.  » La dernière phrase est une allusion à l’ouvrage Peter Vos. Studie in grijs, sous-titrée «  bilan de trois années de dessins d’oiseaux  », Amsterdam 1980.