E-newsletter n° 13 Novembre 2020 Dans ce numéro : * 2020 * Esquisses à l’huile d’artistes britanniques * Des dessins italiens en quête d’attribution * Collection Online * Le projet de recherche de la première lauréate de la bourse Jacoba Lugt-Klever * De quoi nous parlent les brouillons de Serge Ernst ? * Découverte de la collection de dessins et d’estampes de Wilhelm von Blanckenhagen, de Riga * Une bibliothèque londonienne traverse la Manche * Joachim Jacoby (1956-2020) * Manet to Bracquemond : Unknown Letters to an Artist and a Friend
2020 Comme pour toutes les autres institutions culturelles destinées à recevoir du public, le bon fonctionnement de la Fondation Custodia a été fortement perturbé cette année. Nos portes ont dû rester fermées pendant des mois. Certains membres du personnel purent continuer à travailler chez eux sur les projets en cours : catalogage des livres nouvellement acquis pour la bibliothèque, remplissage de la base de données, rédaction et édition de textes pour des publications et expositions. L’exposition True to Nature à la National Gallery of Art de Washington L’exposition Sur le motif. Peindre en plein air 1780-1870, organisée en collaboration avec la National Gallery of Art de Washington et le Fitzwilliam Museum de Cambridge, a démarré en fanfare début février à Washington, avant de devoir fermer ses portes après quelques semaines seulement. Ce n’est qu’au mois de juillet que le musée put à nouveau accueillir des visiteurs, mais au compte-goutte uniquement. Il nous a fallu reporter les présentations de Paris et Cambridge à 2021, ainsi que l’exposition Léon Bonvin 1834-1866. Une poésie du réel, désormais prévue à l’automne prochain. Cette exposition s’accompagnera de la publication d’un catalogue raisonné. Un à-côté positif de ces reports est que nous avons eu plus de temps pour peaufiner notre travail. Nos expositions inaugurées le 15 février dernier, Studi & Schizzi. Dessiner la figure en Italie 1450-1700, Anna Metz. Eaux-fortes et Siemen Dijkstra. À bois perdu, ont rencontré un vif succès, tant auprès du public – plus de 900 personnes étaient présentes au vernissage – que de la presse spécialisée. Mais le dimanche 15 mars au matin, j’ai dû accrocher un écriteau FERMÉ sur la porte. Ce fut un sentiment étrange que de voir des salles soigneusement conçues et aménagées plongées dans le noir pendant des mois. Et une vraie joie d’avoir pu les rouvrir le 7 juillet. Les visiteurs sont venus nombreux jusqu’au 6 septembre. Les catalogues consacrés à ces deux artistes contemporains étaient épuisés avant la clôture définitive des expositions. Les grandes cartes postales panoramiques reproduisant les gravures sur bois de Siemen Dijkstra se sont vendues comme des petits pains et semblent avoir apporté une certaine consolation pendant le confinement, qui fut pour tous une source d’anxiété et d’incertitude. Les prêts de la Fondation pour des expositions qui se sont tenues à Rome, Ferrare, Milan, Madrid, Londres, et dans nombre d’autres musées aux Pays-Bas et en France, nous ont maintenant été restitués. Nous avions répondu favorablement et sans conditions aux demandes de prolongation de prêts, une solidarité qui a été payée de retour puisque nous reçûmes une réponse tout aussi favorable des musées qui nous avaient prêté leurs œuvres. Cage d’escalier de l’hôtel Lévis-Mirepoix Photo Jannes Linders Jusqu’en février, aucune exposition n’est prévue à la Fondation, ce qui nous laisse le temps de refaire la cour qui sépare l’hôtel Lévis-Mirepoix de l’hôtel Turgot : à cet endroit, le béton, plutôt mal assorti à la façade du bâtiment, sera retiré et remplacé par un pavé davantage adapté à son histoire, posé au centre. L’ensemble sera plus harmonieux. Les espaces utilitaires de la cour seront également rénovés, un abri à vélos couvert sera construit (l’intensification soudaine du trafic cycliste à Paris nous y oblige) et l’évacuation des eaux optimisée, y compris l’évacuation des eaux de pluie vers la rue. Ces derniers mois, la spacieuse cage d’escalier (qui s’élève sur cinq étages) de l’hôtel Lévis-Mirepoix a été entièrement rénovée et repeinte. Le plafond a désormais une teinte Old Church White et les murs une teinte Dutch Pink, celle-là même que l’on retrouve dans la mosaïque au rez-de-chaussée – ce qui permet de coordonner davantage la mosaïque avec le reste de l’espace. L’éclairage a été remplacé par un certain nombre d’appliques en forme de cors de chasse, dont deux étaient utilisées au dernier étage. Sur la base de ces prototypes de la fin du XIXe siècle, période pendant laquelle l’énergie électrique a supplanté progressivement le gaz, les Ateliers Mathieu Lustrerie ont développé toute une série, qui, pourvue d’ampoules LED, diffusent une belle lumière claire dans l’escalier et rendent le parcours beaucoup plus agréable pour les visiteurs. Au début de l’année, les salles d’exposition du premier étage ont également été embellies et repeintes – y compris les plafonds décorés – et leur éclairage amélioré : les visiteurs attentifs verront que l’accrochage des œuvres en bénéficie grandement. Kunstschrift n° 5, oct/nov 2020 Il y a cinquante ans, le 15 juillet, Frits Lugt, qui créa en 1947 la Fondation Custodia avec son épouse To Lugt-Klever, s’effondrait place de la Concorde sous l’œil des passants. Il avait perdu sa femme un an plus tôt. Pour mettre en évidence le formidable héritage que le couple a laissé, la revue néerlandaise Kunstschrift a décidé de consacrer un numéro spécial à la Fondation Custodia et un projet de livre est aussi lancé. Le photographe Jannes Linders a réalisé une série de photographies de l’intérieur et de l’extérieur de la Fondation rue de Lille. Sa vue de la porte cochère rouge tomate orne la couverture du numéro, qui pour l’occasion paraît également en français et en anglais. Mais trop tard, hélas, pour pouvoir être lu par Irene Parein-Lugt, la dernière fille du couple Lugt. Lorsqu’il a été mis sous presse en septembre, Irene est décédée en Suisse, un mois après avoir fêté son quatre-vingt-douzième anniversaire. Elle suivait de près les activités de la Fondation, dont elle a été membre du conseil d’administration pendant de longues années. Lors de notre dernière conversation téléphonique, deux semaines avant sa mort, elle nous disait avoir la certitude que la Fondation Custodia était devenue ce que ses parents avaient rêvé : une maison dédiée à l’art ouverte et vivante, qui prend soin de leur collection, l’enrichit et la donne à voir, et avec un programme d’expositions varié. Une fondation de plein pied dans le monde culturel d’aujourd’hui, qui facilite et qui relie, et offre aux jeunes générations des opportunités de s’épanouir. Des paroles d’encouragement magnifiques prononcées par une femme qui nous manque déjà. _ Adieu chère Irene. Ger Luijten Irene et ses parents Frits et To Lugt à La Haye, 1950
Esquisses à l’huile d’artistes britanniques 1. Matthew Ridley Corbet (South Willingham 1850 – 1902 Londres), Après-midi dans le désert, 1878 Huile sur toile, contrecollé sur carton. – 10 × 22,4 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2010-S.58 ‘Pour St AndréAprès 35 années !’,tels sont les mots de la main de Carlos van Hasselt qui figurent au dos d’une petite toile poétique de Matthew Ridley Corbet (1850-1902) de la Fondation Custodia (ill. 1). Intitulée Après-midi dans le désert, elle porte aussi une annotation de l’artiste nous indiquant le moment précis de sa création : « 4.30 pm Dec. 13 1878 ». Carlos l’avait offerte à son compagnon, André Nieweglowski, le 23 novembre 1999 pour célébrer leurs 35 ans ensemble. Le fait de l’appeler St André est un joli clin d’œil ; en effet, il fallait être un saint pour avoir supporté depuis 35 ans la personne qui offrait ce tableau. Ce bijou de Corbet avait à une époque été donné par l’artiste à son ami, le peintre animalier John Macallan Swan (1846-1910), parmi d’autres scènes peintes en Égypte. Seule œuvre britannique reçue par la Fondation en 2010, elle provient d’un legs de Carlos – qui en fut le premier directeur suite au décès de Frits Lugt en 1970 – et André. Cet héritage composé essentiellement d’études à l’huile exécutées en plein air a ouvert un nouveau domaine d’exploration aspirant à construire une collection de référence d’esquisses similaires d’artistes français, danois, allemands, italiens, néerlandais et britanniques. Nous montrons ici quelques-uns des concitoyens de Corbet, venus le rejoindre ces dernières années ; il s’agit pour une grande part de ses prédécesseurs. 2. Richard Wilson (Penegoes 1713/1714 – 1782 Colomendy), Vue des Cascatelles et de la villa de Mécène à Tivoli, vers 1752 Huile sur toile. – 30,3 × 50,7 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2019-S.29 RICHARD WILSON Nous avons tout d’abord la Vue des Cascatelles et de la villa de Mécène à Tivoli (ill. 2) de Richard Wilson, une des premières représentations d’un artiste peignant à ciel ouvert. Il semble être observé par une femme qui se tient près de lui, un enfant dans les bras. On trouve une version plus grande de cette scène, dans laquelle une part du paysage figurant à droite est coupée, datée de 1752, à la National Gallery of Ireland de Dublin. Wilson (1713/1714-1782) avait peint celle-ci avec un pendant pour Joseph Henry of Straffan. Il est probable que notre étude touchante et colorée présente pour sa part une étape antérieure de la composition. Une autre version, quasi identique, se trouve à la Tate et avait un moment appartenu – et peut-être cela n’est-il pas surprenant, au regard de sa propre conception du paysage – à l’artiste John William Mallord Turner (1775-1851). Claude Joseph Vernet (1714-1789), que Wilson avait rencontré en Italie, lui avait recommandé non seulement de dessiner mais aussi de peindre en plein air, et les deux artistes furent ainsi de véritables pionniers qui lancèrent une nouvelle approche dans la manière de représenter la nature. 3. Thomas Jones (Trefonnen 1730 ou 1742 – 1803 Pencerrig), Le Cratère au sommet du mont Vésuve, vers 1778 Huile sur toile. – 36 × 44,1 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2019-S.61 4. Thomas Jones (Trefonnen 1730 ou 1742 – 1803 Pencerrig), Rochers sur la côte de Sorrente, vers 1778 Huile sur toile. – 35,2 × 43,7 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2020-S.9 THOMAS JONES Tout comme Turner, l’artiste gallois Thomas Jones (1742-1803) s’était lui aussi intéressé aux tableaux de Richard Wilson. Il fut d’ailleurs son élève de 1763 à 1765. En 1776, Jones partit en Italie, où il resta jusqu’en 1783, travaillant à Rome, puis à Naples et dans ses environs. Récemment, la Fondation a réussi à acquérir deux de ses vues italiennes, œuvres très recherchées depuis la redécouverte de l’artiste, qui fut un temps oublié, dans les années 1950 (ill. 3-4). La première est une représentation rapprochée du cratère du Vésuve ayant pour but de montrer l’activité du volcan. Dans son journal, Jones avait écrit qu’il avait gravi le cratère le 29 octobre 1778 en compagnie de John Warwick Smith (1749-1831). « Très peu de fumée s’en échappait, de sorte que nous pouvions en distinguer le fond », décrivait-il. Ils durent cependant battre en retraite, car tout près d’eux « une grande crevasse, ou fissure, qui s’était ouverte de manière imperceptible », avait rendu la situation dangereuse. Jones avait effectué un dessin au crayon accompagné d’annotations quant aux couleurs à partir duquel il réalisa ensuite sa version peinte (ill. 3). Quand cette peinture, fidèle mais quelque peu mystérieuse, est apparue sur le marché en 1980, elle était accompagnée d’une toile de mêmes dimensions sur laquelle le Vésuve apparait au loin, très probablement vu depuis la côte près de Pausilippe (ill. 4). Toutefois, le regard est ici attiré par les rochers du premier plan. Toute sa vie, aussi bien dans son Pays de Galles natal que lors de son séjour en Italie, Jones fut très intéressé par les formations et phénomènes géologiques. Il est possible qu’il ait été à ce moment avec l’artiste italien Giovanni Battista Lusieri (1755-1821), dont la production comprend une aquarelle peinte depuis ce même point de vue. Les deux tableaux de Thomas Jones reprennent la palette restreinte mais néanmoins subtile, caractéristique de l’artiste. 5. John Constable (East Bergholt 1776 – 1837 Londres), Vue de jardins à Hampstead, avec un sureau, vers 1821–1822 Huile sur carton. – 17,6 × 14 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2019-S.58 JOHN CONSTABLE Il est impossible de parcourir l’histoire des études à l’huile sans une œuvre représentative du travail de John Constable (1776-1837). Aussi, lorsque les trésoriers du conseil de la Fondation Custodia nous ont invités, l’an passé, à présenter un souhait important pour la collection, le choix s’est porté sur Vue de jardins à Hampstead, avec un sureau (ill. 5). Elle avait été proposée aux enchères peu de temps auparavant, comme nouvelle découverte, après avoir été conservée à l’abri des regards dans une collection privée inconnue pendant plus de quatre-vingts ans. Cette esquisse relève encore le niveau de la collection de peintures et vient s’inscrire dans un dialogue avec les productions des grands artistes néerlandais du XVIIe siècle. Elle fera partie de l’exposition Sur le motif. Peindre en plein air 1780 – 1870 prévue pour le printemps prochain et notre conservatrice en formation, Alice-Anne Tod, a rédigé ce passage captivant pour le livret : « Constable quitta le Suffolk en 1817 pour s’installer à Londres. Maria, son épouse, étant de santé fragile, la famille prit l’habitude, à partir de 1819, de passer l’été à Hampstead dont l’air était plus sain. Au début du XIXe siècle, Hampstead, situé à une dizaine de kilomètres de Londres, n’était encore qu’un village. L’artiste y réalisa sa célèbre série d’études de nuages, mais également des esquisses de venelles et de recoins cachés. Cette vue fut vraisemblablement prise depuis le jardin ou la fenêtre du 2, Lower Terrace, un cottage que l’artiste loua au cours de l’été en 1821 et 1822, dans la partie ouest d’Hampstead Heath. On y retrouve la spontanéité qui caractérise sa touche. L’imposant cumulus a été brossé avec rapidité, en larges traits avec des zones d’empâtement, tandis que les blanches ombelles des fleurs de sureau sont restituées plus délicatement, par des petites touches de peinture. Constable fut profondément affecté par la disparition de son épouse, emportée par la tuberculose en 1828. Il écrivit par la suite de ce bosquet de sureau qu’il était “mon préféré, mais c’est la mélancolie ; un emblème de mort”. » 6. James Holland (Burslem 1799/1800 – 1870 Londres), Paysage avec des montagnes au loin, Portugal Huile sur toile, contrecollée sur toile. – 22,5 × 30,2 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2020-S.11 JAMES HOLLAND Si Constable réalisait ses esquisses pour s’entraîner, certains de ses contemporains sortaient peindre avec un but bien précis en tête. C’est le cas, par exemple, de James Holland (1799-1870), que l’éditeur londonien Robert Jennings envoya au Portugal en 1837 afin de préparer les illustrations de l’édition de 1839 de ses albums intitulés Landscape Annual. Ses aquarelles et ses huiles furent ensuite retranscrites en gravures. Certaines des peintures sont connues et fournissent un rare contrepoint portugais à l’abondance de paysages italiens de cette époque. Holland revint ainsi avec des vues topographiques emblématiques de Porto, Coimbra et Lisbonne mais aussi avec des œuvres plus impromptues, comme cette étude d’une fraîcheur extraordinaire, qui ne fut cependant pas imprimée par la suite (ill. 6). Les coups de pinceau de l’artiste y sont particulièrement libres, et le ciel est un vrai plaisir pour les yeux. Elle a été peinte sur une petite toile laissée intacte par endroits. L’artiste a ajouté une femme sur la droite, son large chapeau donnant une indication de l’échelle de la scène et les touches d’un rouge intense de sa tenue faisant ressortir sa présence. 7. Francis Danby (Wexford (Irlande) 1793 – 1861 Exmouth (Devon)), Chantier naval, peut-être à Exmouth Point, Devon Huile sur papier. – 12,6 × 19 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2019-S.64 FRANCIS DANBY Cette vue très spontanée d’un chantier de construction navale de Francis Danby (1793-1861) (ill. 7) est similaire dans l’approche et dans la souplesse de la touche. Dans la plus grande partie de son œuvre, l’artiste démontre une part de génie romantique avec une prédilection pour des ciels éminemment tourmentés et une vision imaginaire très forte du paysage. Il emprunte ici clairement à Constable et présente le même désir de jouer avec la peinture, indiquant le rythme et de petites formes avec un pinceau légèrement trop large. Le ciel agité est suggéré avec talent et a dû être réalisé rapidement. De toute évidence, Danby n’a pas boudé son plaisir lorsqu’il a peint cette esquisse. Elle est restée en sa possession jusqu’à sa mort et a ensuite été transmise à son fils James. Marin aguerri, Danby avait construit son propre bateau. Il vivait dans le lieu-dit The Maer, près d’Exmouth. Il est possible qu’il s’agisse ici d’une vue de The Point, non loin de la maison de l’artiste, avec le drapeau du Ferry Cottage qui indiquait l’horaire et le lieu auxquels le ferry effectuait la traversée entre Exmouth et Starcross. Deux entreprises de construction navale s’y trouvaient. 8. Samuel Palmer (Newington (Londres) 1805 – 1881 Redhill (Surrey)), Vue de Box Hill, Surrey, 1848 Huile sur papier, contrecollé sur carton. – 24,1 × 41,4 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2018-S.16 SAMUEL PALMER Ce fut une grande surprise de voir l’original de cette étude minimaliste de la colline de Box Hill (ill. 8). J’en avais vu une reproduction dans le catalogue d’un marchand d’art mais le sens de l’immédiateté et le contraste entre les pins, très détaillés, et la touche plus brute du premier plan confèrent à l’ensemble une merveilleuse énergie – sans parler du bleu quasi spirituel de la partie droite du paysage, appliqué en quelques coups de pinceau : une œuvre d’art résolument intemporelle. D’autres collectionneurs ont eux aussi été séduits par cette esquisse ; Sir John et Lady Witt en furent précédemment les propriétaires, ainsi que le marchand d’art suisse d’origine polonaise, et spécialiste de Picasso, Jan Krugier (1928-2008) – autant de personnes au goût assuré. La colline de Box Hill, dans le Surrey, a été immortalisée par Jane Austen dans la scène du pique-nique de son roman Emma, publié en 1815, et reste aujourd’hui un endroit d’une grande beauté. Il est intéressant de noter que Samuel Palmer n’utilisa pas cette étude pour une version plus élaborée à l’huile mais pour une aquarelle très travaillée que l’on trouve au Victoria and Albert Museum de Londres, dans laquelle il a agrémenté le paysage et ajouté, au premier plan, une maison dont la cheminée laisse s’échapper un filet de fumée tandis qu’une femme, non loin, rentre ses moutons. 9. Joseph Severn (Hoxton (Londres) 1793 – 1879 Rome), Esquissant aux thermes de Caracalla, Rome, 1838-1839 Huile sur papier. – 26,2 × 40,5 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2019-S.33 JOSEPH SEVERN Le tableau de Joseph Severn, Esquissant aux thermes de Caracalla, à Rome (ill. 9), nous emmène une fois de plus en Italie. L’artiste (1793-1879) en avait fait don à Henry Acland, qui devint par la suite professeur de médecine à Oxford. Lors de son tour d’Europe, Acland avait séjourné avec Severn à Rome, et ce dernier a d’ailleurs écrit au dos de la toile « dessiné ensemble mai 1838 ». On voit en effet son invité assis au milieu de la scène, occupé à dessiner les monts Albains ou bien une partie des thermes de Caracalla, qui avaient été mis au jour dans les années 1780 et étaient devenu un endroit très prisé des artistes. Severn vécut une grande part de sa vie en Italie. Il était connu pour avoir accompagné son ami, le poète John Keats (1795-1821), à Rome alors que ce dernier était extrêmement malade et était resté près de lui jusqu’à sa mort seulement quelques mois après leur arrivée. Tous deux sont enterrés côte à côte dans le cimetière protestant de Rome. La carrière de peintre de Severn se construisit autour de thèmes tirés des écrits de Keats et seules quelques esquisses spontanées de sa main semblables à celle-ci existent. Cette scène a visiblement été exécutée avec une grande rapidité, en appliquant seulement quelques couleurs sur un support papier : pas besoin de bleu puisque le ciel de Rome était couvert ce jour-là. Cette peinture est restée auprès des héritiers d’Acland jusqu’au XXe siècle. 10. Charles Lock Eastlake (Plymouth 1793 – 1865 Pise), Pitigliano, Toscane Huile sur papier, contrecollé sur toile. – 21,4 × 30,8 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2020-S.10 CHARLES EASTLAKE Originaire pour sa part de Plymouth, Charles Lock Eastlake (1793-1865) est né la même année que Severn et a lui aussi fini sa vie en Italie. Il voyagea beaucoup, vécut longtemps en Italie (de 1816 à 1830), avant de retourner à Londres. Il y devint ultérieurement président de la Royal Academy de Londres, puis fut nommé conservateur de la National Gallery. Dans l’Europe du XIXe siècle, c’étaient en effet des artistes que l’on trouvait à la tête des musées, et la profession d’historien de l’art n’existait pas encore. Entre 1855 et 1865, Eastlake transforma la collection à travers de nombreuses acquisitions d’une grande importance, souvent trouvées lors des séjours qu’il effectuait chaque année à la recherche de nouvelles œuvres. Il mourut à Pise durant l’un de ces périples. Formé dans le domaine de la peinture historique, les paysages constituaient pour lui une catégorie à part, et il les utilisait parfois pour l’arrière-plan de ses compositions narratives. Il connaissait très bien l’Italie et son regard acéré savait discerner la qualité picturale d’endroits ayant été peu représentés auparavant. Sur cette esquisse récemment acquise, nous retrouvons Pitigliano, dans la région de la Maremme, non loin de Grosseto (ill. 10), une ville construite sur des falaises et aujourd’hui encore assez singulière. On sait que l’endroit fut habité dès l’âge du bronze et qu’il abrite en ses murs depuis le XVIe siècle une communauté juive conséquente. Eastlake a choisi un support papier pour cette étude très sobre, qui propose un rendu fidèle de la silhouette somme toute austère de cette cité. Il lui a suffi de vert, de bleu, de brun rougeâtre et du sens aigu des volumes et du rythme qui était le sien pour produire cette œuvre tout à fait inhabituelle. 11. Augustus Leopold Egg (Londres 1816 – 1863 Alger), Cour de ferme Huile sur panneau. – 20,2 × 25,3 cmThe Fitzwilliam Museum, Cambridge, inv. PD.38–1980 12. Augustus Leopold Egg (Londres 1816 – 1863 Alger), Un jardin de cottage, 1863 Huile sur panneau. – 25,4 × 25,4 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2020-S.4 AUGUSTUS LEOPOLD EGG Le tableau d’Augustus Leopold Egg (1816-1863) intitulé Cour de ferme compte parmi les œuvres particulièrement charmantes que l’on trouve au Fitzwilliam Museum de Cambridge (ill. 11). Egg est plus connu pour des peintures d’une nature radicalement différente, telles que celles constituant le triptyque Passé et présent (Tate, Londres), n’ayant rien en commun avec cette forme d’intimité rurale. D’une santé fragile, l’artiste fut poussé par son asthme à quitter Londres pour partir vivre à la campagne avec son épouse. Ils s’installèrent à Eastbourne et y louèrent une demeure appelée « Pilgrims », où leur ami Charles Dickens venait leur rendre visite. Il se dit que c’est dans cet environnement qu’il commença à peindre en plein air. L’année dernière, tandis que j’écrivais un texte portant sur la Cour de ferme pour le catalogue de l’exposition Sur le motif, j’ai appris qu’une autre esquisse d’Egg dégageant une atmosphère très similaire se trouvait sur le marché. Il s’agit d’Un jardin de cottage, daté de 1863, l’année de sa mort prématurée, qui a trouvé sa place à la Fondation Custodia (ill. 12) – une petite merveille. Cette œuvre sera exposée hors catalogue à côté de la Cour de ferme lors de l’exposition à Paris au printemps prochain. 13. Richard Parkes Bonington (Arnold (Nottinghamshire) 1802 – 1828 Londres), La Giudecca à Venise, 1826 Huile sur panneau. – 24,8 × 31,7 cmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2762 Notre intention est de donner à ces acquisitions leur juste place au sein de l’hôtel Turgot dans un futur proche, à proximité du seul tableau anglais dont Frits Lugt fit l’acquisition, en 1927, La Giudecca à Venise de Richard Parkes Bonington (ill. 13). Lugt avait noté sur sa fiche d’inventaire qu’il le considérait comme un petit tableau sympathique (« een aardig schilderijtje »). Une fois n’est pas coutume, il avait tort, car c’est en fait un chef-d’œuvre qu’il avait acheté, une pièce maîtresse dans l’ensemble des paysages vénitiens peints par l’artiste, comme en témoignent diverses publications récentes. Les nouvelles acquisitions iront rejoindre les dessins et les aquarelles britanniques venus étoffer la collection au cours des années, un superbe groupe de portraits en miniature anglais ainsi que les gravures d’artistes ayant contribué à l’Etching Revival (renouveau de l’eau-forte) et pour qui les pointes sèches et les eaux-fortes lourdement encrées de Rembrandt ont constitué une source d’inspiration essentielle. Ger Luijten
Des dessins italiens en quête d’attribution Retour sur l’exposition Studi & Schizzi. Dessiner la figure en Italie 1450-1700 « Quiconque a consulté les catalogues des grandes expositions d’art italien a été frappé par les opinions diverses, voire contradictoires, exprimées par les spécialistes. Le fait que toutes ces attributions sont attaquées par les uns, renversées par les autres, ne doit pas inquiéter l’amateur peu initié. »(Frits Lugt, préface dans Le Dessin italien dans les collections hollandaises, 1962) Cette mise en garde adressée par Frits Lugt aux visiteurs de 1962 semble encore d’actualité : certaines feuilles présentées dans l’exposition Studi & Schizzi, qui vient de fermer ses portes à la Fondation Custodia, étaient toujours en quête d’auteur ou portaient une attribution encore incertaine. L’historien de l’art et collectionneur néerlandais, connaisseur réputé pour le dessin ancien notamment du Siècle d’or hollandais, se montrait prudent vis-à-vis du connoisseurship et de la tradition attributionniste en matière d’art italien. James Byam Shaw rapporte que Lugt était conscient de la relative rareté des dessins italiens fermement authentifiés et de la difficulté d’attribuer avec assurance à tel ou tel artiste ceux qui ne l’étaient pas. Il ajoute qu’au-delà du nom de leur auteur, c’était pour Lugt la qualité même de ces dessins italiens qui devait constituer le principal critère de leur appréciation (introduction dans The Italian Drawings of the Frits Lugt Collection, 1983). Depuis la seconde moitié du XXe siècle et la disparition de Frits Lugt (1970), les intenses recherches qui ont été consacrées aux peintres et dessinateurs transalpins conduisirent à la publication de nombreux catalogues et monographies de référence. Le travail titanesque mené par James Byam Shaw pour établir le catalogue raisonné des dessins italiens de la Fondation Custodia, publié en 1983, s’inscrit dans ce contexte. S’appuyant sur un examen précis de la bibliographie existante et sur l’avis des grands spécialistes du dessin italien (A. E. Popham, Philip Pouncey, John Gere, Nicholas Turner, Roseline Bacou, Catherine Monbeig-Goguel, Anna Forlani Tempesti ou Anna Petrioli Tofani), Byam Shaw détaille dans ses notices chacune des attributions controversées et y apporte toutes les nuances nécessaires. L’ouvrage constitue aujourd’hui encore une référence incontournable pour qui veut connaître notre fonds. Depuis, et tout au long des années, les conservateurs de la Fondation Custodia se sont appliqués à étoffer les dossiers de documentation des œuvres selon l’actualité bibliographique. Ces documents ont été soigneusement rassemblés et classés, mais les nouveautés qu’ils apportaient sur les œuvres ont rarement été prises en considération dans les inventaires, à l’exception de quelques réattributions sans doute plus spectaculaires. 1. Giovanni Francesco Barbieri, dit Guercino (Cento 1591 – 1666 Bologne), Étude d’un homme assis, vu de dos, avant 1619 Sanguine et estompe. – 337 × 272 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2536 Tel a été le cas de l’Étude d’un homme assis, vu de dos (ill. 1). Autrefois attribué à Annibale Carracci, ce dessin monumental a été rendu à Guercino qui, influencé par le maître bolonais, partageait avec lui l’intérêt pour le dessin d’après le modèle vivant et l’usage de la sanguine. Dans les années 1980, cette étude a été rapprochée de la figure de Samson dans le tableau de Guercino qui représente sa capture par les Philistins (1619, Metropolitan Museum, New York). 2. Girolamo Macchietti (Florence 1535 – 1592 Florence), Saint Laurent, vers 1575 Sanguine et estompe, mise au carreau à la sanguine sur un papier préparé à la sanguine. – 152 × 143 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 8884 Lorsqu’il a été entrepris en 2015 d’intégrer et de décrire les dessins italiens de la Fondation Custodia dans la toute récente base de données désormais disponible en ligne, le catalogue de Byam Shaw a donc été un solide point de départ, complété par la précieuse documentation. Ces différentes sources ont permis de reconsidérer et de mettre à jour nos connaissances sur chacune des 600 feuilles italiennes. Ainsi, un Saint Laurent (ill. 2) autrefois donné à Denys Calvaert a été réattribué à juste titre à Girolamo Macchietti, grâce à Marta Privitera qui, en 1994, l’identifia comme étant le modello pour une peinture de la collection Luzzetti à Florence. L’avis de l’historienne de l’art a pu enfin être pris en considération dans les collections de la Fondation Custodia. 3. Clemente Paolo Gini, Vue d’un village le long d’un canal, 1624 Plume et encre brune sur un tracé à la pierre noire. – 211 × 328 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1181 De la même manière, l’Étude d’une figure drapée, assise, le bras levé (inv. 5680) donnée par Byam Shaw à Bernardino Poccetti a été rendue à Sigismondo Coccapani grâce à Miles Chappell qui a indiqué en 2013 que les deux études tracées au verso de cette même feuille se rapportent respectivement à Samson et Dalila (vente Christie’s, Rome en 1998) et aux Arts couronnant Michel-Ange (Casa Buonarroti, Florence) peints par Coccapani. Nous pourrions aussi citer la Tête de moine (inv. 7776) autrefois de Fra Bartolommeo et désormais considérée, grâce à Chris Fischer (1990), comme étant réalisée par Giovanni Antonio Sogliani pour préparer la fresque du Miracle de saint Dominique peinte au couvent San Marco de Florence. Un paysage (ill. 3) attribué avec réserve à Cristofano Paolo Galli a finalement été identifié comme étant de Clemente Paolo Gini par Stefano Rinaldi (2012). Bien d’autres feuilles virent leur attribution modifiée, certaines étant même écartées de nos albums italiens. Un dessin recto-verso figurant une Madeleine pénitente et un Mercure conduisant Hercule dans l’Olympe (inv. 5484) proposé comme d’école génoise par Byam Shaw a été rapproché par Catherine Monbeig-Goguel des dessins du Français Michel Corneille II. Deux paysages jusqu’alors attribués avec quelques doutes à Stefano della Bella (inv. 2007-T.19 et 20) sont apparus être des copies de dessins de Paul Bril et de Bartholomeus Breenbergh, réalisées par un artiste hollandais du XVIIe siècle. 4. Mariotto Albertinelli (Florence 1474 – 1515 Florence), Huit études d’enfants nus Plume et encre brune. – 208 × 286 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 4024 L’exposition Studi & Schizzi. Dessiner la figure en Italie 1450-1700 est venue couronner ce travail. Les 86 dessins présentés ont alors reçu une plus grande attention et certains problèmes d’attribution ont été clarifiés. Ainsi, la feuille des Huit études d’enfants nus (ill. 4) autrefois attribuée à Fra Bartolommeo a été rendue à Mariotto Albertinelli, son collaborateur. Chris Fischer, le spécialiste des dessins de Fra Bartolommeo, appuya notre proposition de réattribution qui se basait essentiellement sur une analyse stylistique de l’œuvre. 5. Giuseppe Maria Rolli (Bologne 1645 – 1727 Bologne), L’Apothéose d’Hercule Sanguine, plume et encre brune, lavis brun et rehauts de gouache blanche. – 348 × 297 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1979-T.3 Deux autres exemples témoignent du résultat de ces recherches approfondies. L’étude de plafond avec L’Apothéose d’Hercule (ill. 5) qui avait été acquise comme une œuvre de Sebastiano Conca puis liée à l’école bolonaise par Byam Shaw pour sa proximité avec le travail de Domenico Canuti, a finalement été présentée comme une œuvre de Giuseppe Rolli. Enfin, l’identification de la peinture préparée par le dessin des Apôtres autour de la tombe de la Vierge (inv. 5909) a conduit à rendre avec assurance la feuille en question à Giovanni Battista Ricci alors qu’elle était jusque-là donnée avec parcimonie à son contemporain Girolamo Muziano. 6. Gregorio de Ferrari ? (Porto Maurizio (Imperia) 1644/1647 – 1726 Gênes), La Foi terrassant Satan Pointe du pinceau et encre brune, gouache blanche sur un tracé à la pierre noire, sur papier brun. – 428 × 290 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1980-T.4 7. Francesco La Marra ? (Naples vers 1710 – vers 1780), La Mort de saint Alexis Sanguine, lavis de sanguine et rehauts de gouache blanche. – 332 × 251 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1982-T.34 Les doutes qui n’ont pu être levés ont tout du moins été soulevés, et l’exposition a permis de les mettre en lumière. À bon escient, ils ont attiré l’œil des spécialistes qui étaient venus la visiter. Grâce à eux, certaines attributions laissées en suspens ont pu être résolues. Nicolas Schwed en particulier, mais aussi Pierre Rosenberg, Eric Pagliano et Federica Mancini ont notamment su reconnaître dans l’Étude de bras et de draperies (inv. 1356) la main de Fra Semplice da Verona, et dans La Foi terrassant Satan (ill. 6) non pas l’œuvre du Génois Domenico Piola, mais sans doute de son compatriote Gregorio de Ferrari. La Mort de saint Alexis (ill. 7) n’est pas de Luca Giordano, comme nous le soupçonnions. Nous n’étions pas parvenus à éclairer cette question à temps, mais la réponse – soufflée par Nicolas Schwed – est probablement à chercher du côté du Napolitain Francesco La Marra. Enfin, le doute plane encore sur les attributions de l’Allégorie de la Charité à un anonyme italien de la fin du XVIe siècle (inv. 3777), de l’Étude d’un homme à mi-corps à Rosso Fiorentino (inv. 1355) ou encore du Miracle de saint Antoine de Padoue à Titien (inv. 1502). En revanche, la paternité du Portrait d’un jeune homme (ill. 8) présenté avec prudence sous le nom de Pietro Faccini a été confirmée par Nicolas Schwed qui vient d’en achever le catalogue raisonné (à paraître). 8. Pietro Faccini (Bologne 1562 – 1602 Bologne), Portrait d’un jeune homme (?) portant une fraise Sanguine et lavis de sanguine. – 208 × 163 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 5087 L’exposition Studi & Schizzi et ses visiteurs ont ainsi contribué à enrichir la connaissance de nos œuvres. Ce partage du savoir, la collaboration entre l’équipe de la Fondation Custodia, les spécialistes et les amis de la maison participent pleinement de la vie de nos collections. Même une fois acquis et confortablement installés dans les albums de l’hôtel Turgot, les dessins anciens, qu’ils soient italiens tout autant que français, hollandais ou flamands doivent continuer de susciter l’intérêt de chacun, amateur, étudiant ou chercheur émérite. Il reste encore des mystères à élucider parmi les auteurs de ces œuvres et nul doute que le progrès constant des historiens de l’art nous y aidera. Continuer à faire vivre les collections, selon le désir de Frits Lugt, ne peut être encouragé que par leur partage. Nous nous y employons par la publication de catalogues, l’organisation d’expositions et, plus récemment la création d’une base de données disponible en ligne. Maud Guichané
Collection Online La base de données de la Fondation Custodia en ligne Le 14 février 2020, la Fondation Custodia a publié sa base de données de la collection sur Internet. Le choix a été fait de débuter avec la publication des dessins italiens de la Collection Frits Lugt, car au même moment avait lieu à la Fondation l’exposition Studi & Schizzi. Dessiner la figure en Italie. C’est ainsi que plus de 600 fiches furent mises en ligne lors du vernissage. Il s’agit des feuilles acquises par Frits Lugt lui-même, ainsi que des œuvres achetées par la Fondation Custodia après le décès de celui-ci en 1970. La plupart de ces dessins ont été publiés en 1983 dans le catalogue raisonné de James Byam Shaw, The Italian Drawings of the Frits Lugt Collection. Nous avons souhaité mettre à jour et compléter les connaissances depuis la rédaction de cet ouvrage de référence. En effet, certains dessins ont changé d’attribution, comme vous pouvez le lire plus haut dans l’article de Maud Guichané. D’autres dessins encore ont été acquis après la publication de Byam Shaw, comme par exemple un dessin attribué à Francesco Cappella (ill. 1) et un dessin de Giovanni Domenico Tiepolo (ill. 2), les deux entrés dans la collection en 1996. 1. Attribué à Francesco Cappella (Venise 1711 – 1774 Bergame), Buste d’un adolescent en train de lire Fusain et pierre noire, rehauts de craie blanche sur un papier préparé gris-vert. – 355 × 257 mm Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1996-T.5 2. Giovanni Domenico Tiepolo (Venise 1727 – 1804 Venise), Paul et Silas baptisant le gardien de prison et sa famille Plume et encre brune, lavis brun sur un tracé à la pierre noire. – 474 × 367 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1996-T.6 Plébiscitée par de nombreux chercheurs et amateurs, la Fondation Custodia a projeté dès 2012 de numériser la collection en se dotant d’une base de données de gestion de collection, préalable nécessaire à la mise en ligne de ses collections. En étroite collaboration avec la société néerlandaise Picturae, l’application Memorix Maior fut adaptée structurellement à nos souhaits et un premier socle de métadonnées a pu être intégré grâce à la numérisation et au traitement par océrisation des cartes d’inventaire et autres documents liés à l’inventaire. Au même moment, Picturae a démarré la numérisation des dessins, estampes, lettres et manuscrits, dans un studio photographique aménagé à cet effet, sur place, à l’hôtel Turgot (voir aussi l’article dans l’E-newsletter n° 11, octobre 2018). Puis, en parallèle, grâce à l’aide de nos collègues et de nombreux stagiaires, que nous remercions ici, les données d’une partie de nos dessins ont été saisies. En décembre 2019, la campagne de numérisation s’est achevée (provisoirement, bien sûr, car les nouvelles acquisitions feront l’objet d’autres campagnes dans le futur). Nous avions alors également bien avancé avec la construction de l’interface de notre base de données, aussi réalisée en partenariat avec Picturae. Le 14 février 2020 nous étions donc prêts pour le lancement de celle-ci. Écran de recherche de Collection Online Cette interface en anglais, appelée Collection Online, est destinée aux curieux et aux experts et propose une utilisation intuitive, grâce à des champs et des filtres de recherche. Elle est également consultable sur des tablettes et smartphones. Suivant la tradition des catalogues de la Fondation Custodia, les informations contenues dans les fiches sont très riches, et des liens vers d’autres bases de données, telles que Les Marques de collections de dessins & d’estampes, permettent d’approfondir l’investigation. Fiche de l’Autoportrait de Polidoro da Caravaggio, inv. 2896 Voir la fiche Chaque fiche est accompagnée d’une reproduction de l’œuvre. Ces images peuvent être téléchargées, gratuitement, en jpg, sous les termes de la licence Creative Commons suivante : CC BY-NC-SA 4.0 (Attribution-Pas d’Utilisation Commerciale-Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International). Ceci permet d’utiliser les photographies, y compris modifiées, à condition de mentionner que l’œuvre est conservée à la Fondation Custodia. Pour une utilisation commerciale, il faudra nous contacter pour en demander l’autorisation (la photographie restera gratuite ; nous demanderons seulement, si la permission est accordée, un exemplaire justificatif de la publication ou du produit). Si vous souhaitez obtenir une photographie d’une résolution plus grande (.jp2 ou .tiff), toujours gracieusement, vous pouvez nous contacter sur notre page Commande d’images. Réservée dans un premier temps à la publication des dessins italiens, la base de données sera progressivement complétée avec les autres parties de la collection. Ainsi, sont en préparation les eaux-fortes de Rembrandt ainsi que les dessins de Rembrandt et de son école, les dessins français du XIXe siècle et une partie du fonds des lettres d’artistes. N’hésitez pas à nous contacter avec des questions ou des renseignements supplémentaires sur les œuvres publiées dans notre base de données (voir la page Contact). Nous vous attendons nombreux sur : https://collectiononline.fondationcustodia.fr/. Rhea Sylvia Blok et Marie-Claire Nathan
Le projet de recherche de la première lauréate de la bourse Jacoba Lugt-Klever Le 1er mars 2019, Joyce Zelen a entamé son travail de recherche en tant que première lauréate de la bourse créée à la mémoire de Jacoba (To) Lugt-Klever (1888-1969), épouse du collectionneur et fin connaisseur d’art Frits Lugt, et co-fondatrice de la Fondation Custodia. Cette collaboration entre la Fondation Custodia et le RKD, l’Institut Néerlandais d’Histoire de l’Art de La Haye, propose à un chercheur chevronné dans le domaine des estampes et/ou des dessins la possibilité de se consacrer à son travail de recherche pendant deux ans, en poste à la Haye. Joyce Zelen photo Erik Smits Le projet de recherche de Joyce Zelen, pour le moins ambitieux, porte sur les toutes premières gravures produites en Allemagne et aux Pays-Bas, et plus précisément sur celles de graveurs anonymes qui avaient pour habitude de signer soit d’un monogramme soit d’une marque de maison, et auxquels nous ne pouvons pas aujourd’hui associer un nom – comme par exemple le monogrammiste PM ou le Maître IAM de Zwolle – ou bien encore ceux qui ne signaient pas leurs gravures du tout. Pour ces derniers, leur œuvre a été reconstitué sous des noms de convention, faisant souvent référence à une caractéristique de leur travail ou à une création particulière, comme dans le cas du Maître de la Passion de Berlin ou du Maître des Jardins d’Amour. Le catalogue en neuf volumes compilé par Max Lehrs entre 1908 et 1934, Geschichte und kritischer Katalog des deutschen, niederländischen und französischen Kupferstichs im XV. Jahrhundert, est encore aujourd’hui considéré comme l’ouvrage de référence en la matière. Toutefois, notre connaissance des estampes néerlandaises et allemandes du XVe siècle a considérablement progressé depuis. Les techniques et initiatives modernes telles que la photographie numérique et les bases de données des collections accessibles en ligne ont élargi le champ des possibles dans la quête et la comparaison de ces œuvres d’une grande rareté. Il était donc grand temps d’examiner à nouveau les toutes premières gravures réalisées dans le nord de l’Europe et d’en présenter une vue d’ensemble actualisée ! 1. Attribuée au monogrammiste BR à l’Ancre, Saint Jérôme pénitent Gravure. – 155 × 106 mmKupferstichkabinett, Staatliche Museen zu Berlin, inv. 74-1898 2. Monogrammiste ES, Auguste et la Sibylle de Tibur Gravure. – 268 × 195 mmThe Art Institute Chicago, inv. 1955.1224 La première – et énorme – tâche à accomplir consistait à dépouiller les monceaux de publications à la recherche de références aux graveurs anonymes du XVe siècle et à leur production. Des mois à étudier les ouvrages de Heineken, Nagler, Wurzbach, Passavant, Bartsch, Lehrs, Thieme-Becker, Hollstein et bien d’autres encore ont débouché sur une vaste liste préliminaire de tous les candidats possibles et des œuvres qui leur avaient été attribuées. Sachant que la majorité des estampes ne sont pas signées, on imagine facilement que bon nombre d’entre elles ont été rattachées à différents noms, voire même à plusieurs, dans le passé. Il était donc essentiel de découvrir quels noms de convention et quels monogrammes correspondaient effectivement au même graveur anonyme. Par exemple, une estampe de Saint Jérôme pénitent (ill. 1) que Lehrs avait attribuée au monogrammiste BR à l’Ancre, avait par ailleurs été rattachée dans les années 1940 à un peintre bruxellois du XVe siècle appelé Maître des Heiligentafeln par P. Wescher1. En effet, Wescher, qui n’avait pas eu connaissance de l’attribution faite par Lehrs, donna l’estampe au peintre anonyme en s’appuyant sur la ressemblance stylistique avec les versions peintes du cardinal pénitent. Autre exemple tout aussi intéressant, ledit Maître de la Sibylle doit son nom à une grande gravure d’Auguste et la Sibylle de Tibur (ill. 2). Un groupe de sept gravures avait ainsi suivi son chemin séparément pendant une courte période de temps après avoir été attribué par J. D. Passavant, sur la base d’éléments de style tels que les ombres des drapés et le tracé des hachures, à un éventuel élève du monogrammiste ES, qu’il avait alors baptisé Maître de la Sibylle. Des années plus tard, Lehrs en avait évalué la valeur et les avait rattachées au maître et non à l’élève. Cette attribution au monogrammiste ES s’applique toujours depuis. 3. Maître de la Passion de Berlin, Couronnement d’épines Gravure. – 69 × 50 mmBritish Museum, Londres, inv. 1932,0312.2 L’étude comparative de ces ouvrages a permis d’aboutir à une liste d’environ 125 graveurs distincts et plus de 3 000 gravures qui seraient de leur main2. Cette liste a constitué la base de la seconde phase du projet, qui consistait pour sa part à retrouver toutes les estampes. Toutes celles mentionnées dans les publications existaient-elles encore ? En effet, beaucoup de choses avaient pu leur arriver au cours des cent dernières années. Les mois qui viennent de s’écouler ont été consacrés à retrouver la trace des toutes les gravures évoquées, que ce soit sur les bases de données accessibles en ligne ou en allant en personne consulter des collections. Au final, une grande part de ces œuvres anciennes n’a pas survécu aux bombardements et aux incendies de la Seconde Guerre mondiale, ont été volées, ou ont tout simplement été perdues au fil des ans. Par ailleurs, un nombre conséquent d’estampes ayant à un moment appartenu aux collections de grandes familles aristocratiques, comme celles de Frédéric-Auguste II de Saxe ou des Comtes Yorck von Wartenburg, ont été dispersées à l’occasion de ventes aux enchères au cours du XXe siècle. De plus, plusieurs gravures auparavant non décrites ou d’impressions inconnues peuvent être ajoutées au corpus, la plupart ayant fait leur apparition sur le marché après la publication du catalogue monumental de Lehrs. On peut évoquer, par exemple, Le Couronnement d’épines du Maître de la Passion de Berlin (ill. 3), dont le British Museum a fait l’acquisition en 19323, mais aussi le très bel et non-répertorié Ornement de chardon du monogrammiste W à la Clé (ill. 4), qui a rejoint les collections du Rijksmuseum en 2006. 4. Monogrammiste W à la Clé, Ornement de chardon Gravure. – 125 mm × 166 mmRijksmuseum Amsterdam, inv. RP-P-2006-117 Dans les mois prochains, le corpus actuel d’estampes anonymes du XVe siècle sera étendu à travers l’étude des ouvrages disponibles, l’exploration des bases de données de collections accessibles en ligne, et divers échanges avec des conservateurs et bibliothécaires-documentalistes, mais aussi grâce à l’examen d’œuvres originales de différents cabinets d’estampes en Europe. Certaines collections ont ainsi d’ores et déjà été consultées pour scruter de près les originaux, notamment celles du Museum Boijmans Van Beuningen de Rotterdam, du Rijksmuseum d’Amsterdam, du Musée Wittert de Liège, du Kupferstichkabinett de Berlin, du Hessisches Landesmuseum de Darmstadt, et enfin de l’Albertina et de l’Akademie der bildenden Künste de Vienne. Une fois cet ensemble actualisé, une nouvelle phase du projet, tout aussi ardue, se profilera : l’étude, une à une, de toutes les estampes (et de tout tirage ayant survécu). Les innovations dans le domaine de la photographie permettent aujourd’hui d’effectuer une comparaison extrêmement détaillée de plusieurs impressions d’une même image, avec une précision dont Lehrs et ses prédécesseurs ne disposaient pas. Ceci sera d’une aide éminemment précieuse pour établir les différents états des gravures, mais aussi afin de vérifier toutes les attributions des estampes non-signées. Le cas échéant, les attributions en question seront réfutées et ajustées en se fondant sur une analyse stylistique ou sur d’autres éléments, ce qui entrainera probablement quelques remaniements au sein des corpus. En particulier, les quelque 400 estampes desdits Maîtres de Saint Érasme (c’est-à-dire le Maître du Mont des Oliviers de Dutuit, le Maître des Dix Mille Martyrs, le Maître des Bordures à Fleurs et le Maître de Saint Érasme), dont les styles sont très similaires et suivent les mêmes modèles que ceux du Maître de la Passion de Berlin, feront l’objet d’un travail comparatif particulièrement approfondi afin de déterminer le nombre d’artistes qui travaillaient effectivement dans cet atelier allemand des débuts de l’imprimerie. Ce travail de recherche aboutira à la production de nouveaux volumes consacrés aux estampes néerlandaises et allemandes du XVe siècle de la série The New Hollstein. Les découvertes qui ne trouveraient pas leur place dans cette collection de référence feront l’objet de publications scientifiques distinctes. Et avec un peu de chance, une exposition présentant ces magnifiques œuvres anciennes viendra couronner le tout. Mais pour l’instant, la recherche continue. Reste à affronter nombre de défis et de mystères, mais bien heureusement il s’agit d’une merveilleuse aventure, riche en révélations. 1P. Wescher, « Der Meister der Heiligentafeln », Oud Holland 57 (1940), pp. 65-71. 2Un vaste ensemble d’estampes reste totalement anonyme, car elles n’ont pu être associées ni à un monogramme ni à un nom de convention. Elles seront traitées à part au sein du projet. 3Le volume (vol. III) que Lehrs a consacré au Maître de la Passion de Berlin et à ses suiveurs a été publié en 1915.
De quoi nous parlent les brouillons de Serge Ernst ? Des archives russes ont été rassemblées à la Fondation Custodia sous la direction de Carlos van Hasselt (1970-1994) grâce aux dons de son ami artiste Dimitri Bouchène (1893-1993) en 1985 et en 1992, puis à son legs en 1993. En 2005, notre ancien collaborateur Stijn Alsteens publia une partie de ce fonds, comprenant des lettres, des dessins et des estampes russes de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle1. À ce jour, un volume très important de documents doit encore être étudié. Il vient pour l’essentiel de Serge Ernst (1895-1980), historien de l’art et compagnon de Dimitri Bouchène. Déchiffrer des brouillons c’est reconstituer des épisodes de vies. Sur les 14 boîtes bien remplies de la correspondance de Serge Ernst aujourd’hui à la Fondation Custodia, un quart approximativement contiennent les brouillons de ses lettres, écrits en russe et en français. Difficilement lisibles mais bien datés et signés, parfois annotés, ils présentent aujourd’hui une nouvelle source de connaissance sur les activités, les réseaux d’amitié et la circulation des informations entre les émigrés russes au XXe siècle. Serge Ernst a été conservateur de la peinture française au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg (1919-1925) et membre de l’association artistique et littéraire Mir Iskousstva (Le Monde de l’Art) fondée par Alexandre Benois et Serge Diaghilev en 1898. Après son départ pour la France en 1925, il poursuit ses recherches sur l’art ancien et devient un expert réputé dans le milieu des antiquaires. Installé à Paris (14 rue Royer-Collard, Paris V) avec Dimitri Bouchène, Serge Ernst publie des articles principalement sur les artistes européens des XVIIe et XVIIIe siècles, et sur la présence de leurs œuvres dans les collections en Russie. En France, Serge Ernst renoue des contacts avec les familles nobles émigrées : les Obolenskie, les Botkine, les Gagarine, les Kamenetskie, les Argoutinsky-Dolgoroukoff. Il leur apporte son aide sur la gestion de leur patrimoine, cherche des acheteurs pour les objets familiaux, recueille des souvenirs et hérite de quelques papiers familiaux des Gagarine. La correspondance de Serge Ernst apporte des précisions historiques qui nous faisaient défaut jusqu’à présent. Elle permet par exemple de déterminer la date exacte du décès de Frances Botkine, née Payson (1879-1970), épouse américaine de Pierre (Piotr Sergeevich) Botkine (1865-1937), diplomate russe. Dans une lettre à elle adressée en 1970, Serge Ernst s’interrompt au milieu d’une page et d’une phrase inachevée. Au verso, une note au crayon précise : « La dernière lettre de Mme Pierre Botkine – Mme P. de B. est décédée dans la nuit de 10 à 11 septembre, dans son sommeil à Lausanne ». 1. Dimitri Bouchène, Portrait de la princesse Aleksandra Obolenskaja, 1942 Graphite. – 312 × 427 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1993-T.118 D’autres brouillons de Serge Ernst rapportent ses entretiens avec Alexandra (Sandra) Obolenskaya, née comtesse Apraksina (1851-1943), une favorite de l’impératrice Maria Feodorovna (1847-1928). Ils relatent les souvenirs de la comtesse, les anecdotes sur sa famille ou celle de l’impératrice et son départ précipité à l’étranger. Dimitri Bouchène assiste certainement à une de leurs entrevues, pendant laquelle il dessine au crayon le portrait de Sandra Obolenskaya, également conservé à la Fondation Custodia (ill. 1). Dans ses lettres à Renée Kaestlin-Notthaft (†1958), Serge Ernst partage des nouvelles détaillées sur lui-même, sur Dimitri Bouchène, sur leurs nombreux amis communs : Alexandre Benois, sa nièce artiste Zinaïda Serebriakova, la danseuse de ballet Alice Alanova di Robilant, le collectionneur et artiste-amateur Nicolas Plater, la couturière Valentina Schlee et son mari financier, ou encore le collectionneur Georges Schlee aux États-Unis. 2. Zinaïda Serebryakova, Renée Notthaft, 1921 Tempera. – 630 × 478 mmCollection Musée Russe, Saint-Pétersbourg, inv. РС-10552 Très peu d’informations nous sont parvenues sur Renée Kaestlin-Notthaft (ill. 2 et 3), bien qu’il soit impossible d’imaginer le monde artistique de Saint-Pétersbourg au début du XXe siècle sans elle. Épouse du célèbre collectionneur Feodor Feodorovitch Notgaft (Friedrich Notthaft) (1886-1941), elle est modèle pour plusieurs artistes russes. En 1921, après la Révolution, elle décide d’émigrer et s’installe avec son fils André en Suisse. 3. Photographie de Renée Kaestlin-Notthaft Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, inv. 1993-A.1687 La correspondance de Serge Ernst avec Renée Kaestlin apporte des éléments importants puisqu’elle couvre une large période de 1924 à 1950. On apprend par exemple que Renée Kaestlin aide quelquefois Serge Ernst et Dimitri Bouchène financièrement. Serge Ernst, à son tour, ajoute en post-scriptum dans une lettre de 1928 « j’ai vu quelques objets en argent qui pourraient vous intéresser ». Ce qui peut sembler singulier dans cette correspondance, c’est l’absence de nostalgie et d’évocation de souvenirs, à l’exception, au détour d’une lettre, de cette allusion faite à l’occasion du Nouvel an 1928 : « Nous passons les vacances tranquillement, en travail – je fais des corrections, Dima prépare une exposition, et nos smokings gardent toujours le souvenir de votre fourrure blanche ». Outre ses lettres avec Renée Kaestlin-Notthaft, celles que Serge Ernst échange avec la princesse Maria Gagarine (1875-1970) éclaircissent aussi quelques aspects de la vie, du travail et de la personnalité de Dimitri Bouchène. Une de ces lettres confirme que Dimitri Bouchène organise une exposition à New York en 1936 dans une galerie de Paul Reinhardt. « C’est la première fois qu’il fait une exposition en Amérique », ajoute Serge Ernst. Dans une autre lettre en 1938, il apprend à Maria Gagarine que Grace Moore, une célèbre actrice américaine et chanteuse d’opéra, est venue chez lui pour voir et acheter des tableaux de Dimitri Bouchène. Encore, au retour de Londres où Serge Ernst assiste à la première du ballet Les Éléments (1937) pour lequel Bouchène a réalisé le décor et les costumes, il raconte l’immense succès du ballet : « … à la première le rideau s’est levé quinze fois, et même Bouchène a dû apparaître sur la scène et saluer le public londonien. Un observateur a écrit que c’est le ballet le plus réussi de tout le répertoire de ballets de Monte-Carlo. Tout était fait en 7 jours, la dernière nuit personne ne s’est couché, et les derniers costumes étaient faits au moment du lever de rideau ». 4. Dimitri Bouchène, Portrait de Serge Ernst lisant, 1936 Graphite. – 232 × 310 mmFondation Custodia, Collection Frits Lugt, inv. 1993-T.116 La correspondance entre Serge Ernst et Dimitri Bouchène lorsque celui-ci est en tournée est aussi riche d’informations. Datés, signés, les brouillons des lettres de Serge Ernst sont les seules traces de leurs échanges de 1938 à 1967. Ils nous renseignent sur les nouvelles, les dates des premières de spectacles, les retours du public, les personnages qui les entourent. Ces brouillons sont facilement identifiables dans le fonds conservé à la Fondation Custodia car ce sont les seuls qui commencent par « Mon cher ». Ces archives témoignent de l’amitié absolue entre ces deux hommes fidèles à l’art jusqu’à la fin de leur vie. Bouchène vécut 13 ans de plus qu’Ernst et fut enterré comme lui au cimetière du Montparnasse. Son épitaphe, « Quel bonheur, tu es venu »2 correspond aux paroles que prononçait Serge Ernst à l’hôpital quand Dimitri venait le voir. En dehors du cercle des connaissances russes, nous devons évoquer bien évidemment la relation entre Serge Ernst et Frits Lugt (1884-1970), collectionneur néerlandais et créateur de la Fondation Custodia. Dans les brouillons de ses lettres, Serge Ernst le remercie pour ses renseignements au sujet du catalogue de la vente des œuvres de la comtesse Julie Samoïloff, née Pahlen, ou le félicite pour l’exposition L’Art du timbre néerlandais (1961) à l’Institut Néerlandais. 5. Carte postale de Nicolas Plater à Serge Ernst, 11-XII-1949, Wassenaar Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, inv. 1993-A.1878 Il demeure cependant une interrogation sur la façon dont Serge Ernst fit la connaissance de Frits Lugt. Les deux hommes ont pu se rencontrer car ils partageaient le cercle de l’élite intellectuelle et le goût pour l’art des XVIe-XVIIIe siècles. Par ailleurs, une des hypothèses peut coïncider avec la personne de Nicolas Plater (vers 1880-1957), une relation de jeunesse de Serge Ernst à Saint-Pétersbourg. Nicolas Plater est un grand ami du collectionneur Stepan Jaremitch sous l’influence duquel il s’est mis à rassembler des dessins anciens pendant ses voyages à l’étranger, ce qui l’a orienté plus tard vers l’activité de marchand d’art en France et aux Pays-Bas. Dans une carte postale envoyée à Serge Ernst le 25 août 1949 de Wassenaar (ill. 5), Nicolas Plater décrit la manière dont il est reçu à Paris chez Frits Lugt « pour le thé » : « Il était très gentil. À sa maison musée, comme chez Bredius3, les cartons avec des dessins de Rembrandt, (et mon) Rubens, les dessins de Durer, M.[ichel] Angelo […] Les trésors. Parmi les invités, l’ambassadeur de Suède, ministre de l’Espagne et votre dévoué ont été présents ». Dans la collection de Frits Lugt, le don Bouchène nous offre un ensemble de documents qui touchent plusieurs aspects de l’activité de la diaspora russe dans les domaines de l’art, de la littérature, de l’histoire et du marché de l’art, du théâtre ou de l’édition. Aujourd’hui, les documents qui relèvent de la « correspondance » du don Bouchène sont entièrement traités et classés. Il reste alors à finaliser une étude des manuscrits, des notes privées et de recherche de Serge Ernst. Olga Furman 1Catalogue de l’Exposition-dossier VI, Mélange russe. Dessins, estampes et lettres russes de la Fondation Custodia. Fondation Custodia, Paris, 2005. 2La phrase est gravée en russe : « Какая радость, ты пришелъ ». 3Abraham Bredius (Amsterdam 1855 – 1946 Monaco) est un historien de l’art, collectionneur, directeur du Mauritshuis entre 1889 et 1909 à La Haye. Sa collection constitue la base du musée Bredius de La Haye, qui était son domicile.
Découverte de la collection de dessins et d’estampes de Wilhelm von Blanckenhagen, de Riga Le récent signalement par Christiane Lukatis, conservatrice en chef du cabinet des Arts graphiques du Museumlandschaft Hessen-Kassel, de la marque au nom de Blanckenhagen (ill. 1), ne figurant ni parmi les marques déjà répertoriées par Frits Lugt ni parmi celles repérées depuis, nous a permis de découvrir une collection demeurée jusque-là inconnue. Sa localisation lointaine, aux confins de l’Europe, à Riga en Livonie précisément, a sans doute favorisé le fait que nous en ignorions encore tout. 1. Marque de Wilhelm von Blanckenhagen Pour en savoir plus La découverte, et du cachet et de l’activité du collectionneur Wilhelm von Blanckenhagen (1762-1840), revient au musée de Kassel qui a acquis en 2019 auprès des descendants du collectionneur un remarquable Album amicorum, assorti de la donation, au même moment, de 276 estampes, toutes estampillées avec le même cachet. De nouvelles recherches ont en outre permis de comprendre que la marque n’a pas été envisagée à l’époque par le collectionneur lui-même, mais par ses descendants issus de la lignée de Drobbusch. On voit d’ailleurs très nettement à l’intérieur de la marque, autour des armoiries de la famille, à la fois le nom Blanckenhagen et celui du domaine de Drobbusch, aujourd’hui Drabeši mõis. En septembre 2020, la marque a été intégrée à la base des marques de collections de dessins & d’estampes sous le numéro Lugt 5675. Par chance les descendants ont conservé le cachet signé du fabriquant Kretzer, destiné aux œuvres non encore estampillées (ill. 2). 2. Le cachet de Wilhelm von Blanckenhagen signé du fabricant Kretzer Wilhelm von Blanckenhagen, propriétaire de manoirs et agriculteur, né dans une famille fortunée de Riga, a constitué son Album amicorum au cours de l’année 1810, à Rome, où il occupa la villa Aldobrandini pendant près d’un an avec les siens. Son séjour romain ne fut d’ailleurs pas le premier puisqu’avant même d’entreprendre ses études à l’université de Leyde et de Leipzig, Wilhelm en avait auparavant effectué bien d’autres, dès 1780 et 1781, en Italie déjà, mais également en France et en Angleterre. Il est d’ailleurs cité dans le Journal de Johann Georg Wille (1715-1808) (Paris, Fondation Custodia, inv. 2005-A.688, pp. 183-184), qui mentionne en février 1781 le retour d’Italie du voyageur accompagné de son précepteur, Christoph Gottlob Heinrich (1748-1810). En mars, Wille note les faits suivants : « Mssrs Heinrich et de Blanckenhagen ont pris congé de moi. Ils vont d’icy en Angleterre et de la en Allemagne. Je les estimais beaucoup. » Pendant ses nombreux voyages, Wilhelm von Blanckenhagen a fait l’acquisition, notamment à Rome, de tableaux, de gravures et d’antiquités. Une partie de sa collection a été acquise de son vivant par le musée de l’université de Dorpat (Tartu), mais une autre partie est restée dans la famille. 3. Dessin de Johann Friedrich Overbeck dans l’Album amicorum de Wilhelm von Blanckenhagen, 1810 Les 32 dessins de l’Album amicorum sont de la main d’artistes allemands et danois dont Blanckenhagen avait fait la connaissance par l’intermédiaire de Caroline von Humboldt (1766-1829), épouse du savant et diplomate Wilhelm von Humboldt (1767-1835). L’album contient des dessins inédits des peintres Joseph Anton Koch, Johann Friedrich Overbeck (ill. 3), Franz Pforr, Christian Daniel Rauch, mais aussi des frères Franz et Johannes Riepenhausen, de Christian Gottlieb Schick ou du sculpteur Bertel Thorvaldsen. Tous les dessins de cet album pourront être admirés dans l’exposition Treffpunkt Rom 1810. Die Geschichte eines Künstlerstammbuchs, qui a lieu au Schloss Wilhelmshöhe, à Kassel, du 23 octobre 2020 au 24 janvier 2021, et le beau catalogue publié à cette occasion permettra aux visiteurs d’approfondir leur découverte. Peter Fuhring
Une bibliothèque londonienne traverse la Manche Au sud d’Islington, non loin du British Museum, serpente Clerkenwell Close. Les petites maisons du début de la rue, les pubs et l’église St James lui donnent un air de village qui contraste avec le bâti industriel surgissant ensuite. C’est le théâtre des premières rapines d’Oliver Twist. C’est aussi dans ce charmant coin de Londres qu’habitait encore il y a peu de temps Christopher Mendez, célèbre marchand d’estampes. Christopher Mendez avec son estampe d’Esaias van de Velde, Le Paysage carré, 1610 J’ai eu la chance de l’y rencontrer en octobre 2019, à l’occasion du don de sa bibliothèque de référence à la Fondation Custodia. Amoureuse de Londres, je me réjouissais à l’avance de cette excursion anglaise et ne fus pas déçue. Dès l’entrée, des estampes liées à l’histoire du quartier accueillaient le visiteur au long d’un couloir et d’un étroit escalier menant aux pièces principales. Là-haut, presque tous les murs étaient ornés de feuilles de sa collection, les maîtres anciens répondant au contemporain Pannekoek. Lorsque j’ai souhaité le photographier pour notre newsletter, monsieur Mendez a insisté pour poser avec une gravure. Il s’est éclipsé et est revenu avec son exemplaire de la rare eau-forte d’Esaias van de Velde de 1610 Le Paysage carré. C’était quelque temps avant son déménagement, le moment pour lui de se séparer de ses livres et de nous les confier. Mendez a participé à l’histoire de la Fondation Custodia. Il nous explique comment à travers ce message : « I started my career as an Independent Printseller in 1965 and met Mr Lugt several times before he died in 1970. Carlos van Hasselt was his Curator and we began a long and happy relationship. I was on the lookout for unusual and interesting prints and shared an affection for Dutch art and discovered many treasures for the collection. I occasionally also found rare Chiaroscuro woodcuts and even bid on their behalf for some very important works from the Weld-Blundell collection at Christie’s. Carlos and his colleague Mària van Berge introduced me to the work of Frans Lodewijk Pannekoek and I held an exhibition of his works here in London in 1976, a first for me of works by a living artist ! When Carlos retired Mària took over the reins until she was succeeded by another good friend Ger Luijten who carries on the good work. Earlier this year I donated my collection of Print Auction Catalogues to the Fondation Custodia and now, downsizing, have offered my Print Reference Library. It could not find a better home ! Thanks Mr Lugt » Christopher MendezOctober 2019 Thomas Wilson, A descriptive catalogue of the prints of Rembrandt, Londres, 1836 C’est avec joie que nous avons reçu les livres de cet ami de la maison. Ils sont arrivés par le tunnel de la Manche en novembre 2019 en nombreux cartons et représentent environ dix-sept mètres linéaires. Ces ouvrages de référence sur l’estampe viennent compléter notre fonds de manière précise et utile. C’est le cas par exemple du catalogue de 1836 du collectionneur anglais Thomas Wilson sur l’œuvre gravé de Rembrandt. « Ouvrage anonyme bien connu » selon Frits Lugt, il ne se trouvait pourtant pas chez nous et nous sommes ravis de pouvoir le conserver à présent. Copies d’estampes de Jacques Callot dans le catalogue de J. Lieure Le plaisir de cataloguer une bibliothèque privée réside dans la découverte du travail de la personne l’ayant constituée. Notes manuscrites, choix des sujets, habitudes. Christopher Mendez a par exemple laissé dans certains de ses livres, comme c’était l’usage auparavant, des copies d’estampes qui lui servaient de documentation. Nos conservateurs intègrent désormais ce type d’œuvres à la collection, et les décrivent dans notre base de données, comme ils le font pour les estampes originales. Une tâche supplémentaire, mais non déplaisante, consiste donc à feuilleter chaque volume à la recherche d’éventuelles estampes cachées entre les pages. Ex-libris de Christopher Mendez Dans un catalogue d’exposition sur Leonard Baskin, graveur, sculpteur et collectionneur, nous avons trouvé cinq lettres autographes envoyées à Christopher Mendez, au sujet d’achats d’estampes. Nous possédions déjà une lettre de Baskin et une gravure de Jan Fouceel qui était précédemment dans la collection de cet artiste. C’est donc encore une belle découverte pour la Fondation. Quelques notes manuscrites de Christopher Mendez sont aussi une valeur ajoutée à tous ses ouvrages. Ils viennent rejoindre chez nous ceux de James Byam Shaw, Carlos van Hasselt et Olivier Michel. En plus de l’ex-libris qui figurait déjà dans ses livres, nous avons marqué ce fonds de la note « Don Mendez » dans notre catalogue, ce qui vous permet de les retrouver par une simple recherche. Merci Mr Mendez Cécile Raymond
Joachim Jacoby (1956-2020) C’est de manière tout à fait inattendue que notre ami Joachim Jacoby, éminent historien d’art allemand, nous a quittés, bien trop jeune, le 16 septembre dernier. Joachim en discussion avec Catherine Monbeig-Goguel Paris, 2015Photo Philip Provily J’ai rencontré Joachim tandis que nous travaillions tous les deux sur le volume consacré à Hans von Aachen pour la collection de catalogues de référence The New Hollstein German au milieu des années 1990 et cela a été un plaisir d’apprendre à le connaître. Très investi dans son travail, il attachait une grande importance aux données et aux faits. Il a œuvré à l’inventaire des tableaux allemands du Herzog Anton Ulrich-Museum de Brunswick, a publié des ouvrages à propos de Hans von Aachen et Raphaël, et a terminé, en 2008, le catalogue raisonné des dessins d’Adam Elsheimer. L’exposition de dessins de Raphaël à Francfort en 2012, ainsi que le colloque organisé à cette occasion resteront notamment des expériences inoubliables. En 2014, il avait en outre rédigé le catalogue de l’exposition Raffael bis Tizian avec une sélection de dessins italiens de la Renaissance du Städel Museum, exposition que nous avions eu la chance d’accueillir l’année suivante à la Fondation Custodia et qui avait rencontré un franc succès. Vue de l’exposition Raphaël, Titien, Michel-Ange. Dessins italiens du Städel Museum de Francfort (1430-1600) Fondation Custodia, 2015Photo Philip Provily Joachim s’intéressait tout particulièrement à la provenance des dessins et au parcours qu’ils pouvaient suivre dans les collections. Un ensemble conséquent de dessins regroupés par Johann Friedrich Städel (1728-1816) comporte la marque de collection Lugt 3000, marque que Lugt lui-même n’avait pas été en mesure d’identifier. Après des années d’un travail de fin limier, Joachim avait découvert qu’elle était utilisée par Guillaume Jean Constantin (1755-1816), marchand de dessins parisien, et avait écrit un texte à son propos contenant une manne d’informations jusqu’alors inconnues. Ses recherches l’ont souvent amené à Paris, où il écumait les archives et bibliothèques, ce qui nous donnait alors autant d’occasions de partager un moment ensemble. Ceci s’est traduit par un manuscrit publié en 2018 en tant que premier volume des Fondation Custodia Studies in the History of Art. Au printemps dernier, il a organisé à Francfort une exposition au catalogue extraordinaire : Städels Erbe. Meisterzeichnungen aus der Sammlung des Stifters, présentant les idéaux du grand collectionneur éclairé, qui aspirait à cultiver le goût et le sens de beau de ses concitoyens. Après la réouverture de l’exposition consacrée à Raphaël aux Scuderie del Quirinale à Rome, Joachim s’y était rendu à quatre reprises afin d’étudier les œuvres en détail dans le but d’écrire une critique bien documentée. Il est décédé à la fin du jour même où il commençait un nouveau projet s’attachant à répertorier les dessins baroques italiens du Städel. Être en sa compagnie était toujours source de joie. Il était doté d’un merveilleux sens de l’humour – son visage arborait souvent un petit sourire amusé – et faisait preuve d’une grande empathie. Mon téléphone regorge de messages se souciant du bien-être de nos proches. Il manquera à nombre de ses collègues et amis, mais aussi et surtout à son épouse, Anette, et à leurs enfants, Moritz, Ruth et Louis. Ger Luijten
Publication à venir Manet to Bracquemond : Unknown Letters to an Artist and a Friend Jean-Paul Bouillon Cette nouvelle édition publie les lettres adressées par Édouard Manet (1832–1883) à son ami, l’artiste Félix Bracquemond (1833–1914). La correspondance, pour la plupart inconnue, fit surface lors d’une vente à Paris en juin 2016 et fut acquise l’année suivante par la Fondation Custodia avec l’aide généreuse de Jean-Luc Baroni. Elle est éditée pour la première fois par Jean-Paul Bouillon, dont la passion de longue date pour la vie et le travail de Bracquemond, lui a permis de situer précisément les lettres, pour la plupart non datées, et d’analyser leur contenu dans le contexte de la carrière des deux artistes. Bracquemond et Manet se sont probablement rencontrés vers 1860, au moment où Manet commençait à s’intéresser à l’avantage de la gravure pour disséminer son travail. Tous deux firent partie des fondateurs de la Société des Aquafortistes en 1862. Pendant ces années de premières tentatives, Manet dut fortement s’appuyer sur Bracquemond, le graveur le plus important de sa génération. De nombreuses lettres prouvent la fréquence des échanges, souvent quotidiens, entre les deux hommes qui avaient l’habitude de se retrouver dans l’atelier de Manet, dans des cafés d’artistes comme le café de Bade et le Guerbois et lors de dîners chez Manet avec sa femme et sa mère. D’autres lettres témoignent des projets en commun tels que l’illustration de la brochure d’Émile Zola présentée à l’occasion de l’exposition de 1867 consacrée aux œuvres de Manet ou l’ex-libris de Manet dessiné par Bracquemond en 1875. Leur forte amitié se manifeste plus clairement à travers deux longues lettres dans lesquelles Manet ouvrit son cœur à Bracquemond au sujet de la situation politique du moment. Ces lettres arrivèrent d’Arcachon, où il attendait la fin de la Commune en essayant de se remettre des privations dont il avait souffert pendant le Siège de Paris en 1870. Malgré le ton laconique de la plupart des lettres, cette correspondance s’avèrera être une source importante pour notre connaissance de la vie de Manet qui, après plus d’un siècle de recherches importantes, présente encore certaines zones d’ombre. Ce livre est publié par Ad Ilissum, Londres, en tant que deuxième volume de la série The Fondation Custodia Studies in the History of Art et paraîtra à la fin de l’année.