a commencé depuis quelque temps et déjà la Fondation Custodia a accueilli des milliers de visiteurs dans ses deux expositions Sur le motif. Peindre en plein air 1780-1870 et Charles Donker. D’abord regarder.
Il nous est agréable de savoir que tant de gens sont réceptifs à ce que nous leur proposons et qu’ils repartent satisfaits. Les réactions dans la presse vont également dans ce sens : « C’est une exposition merveilleuse, qui vaut le voyage ; c’est surtout un de ces événements qui font reconsidérer en profondeur la façon dont l’image du monde a été construite au cours des siècles passés », écrit Koen Kleijn dans l’hebdomadaire néerlandais De Groene Amsterdammer. « Fini les grandes machines religieuses ou mythologiques. Fini les batailles, les scènes de chasse, les portraits d’apparat. La Fondation Custodia ramène l’homme à son niveau, modeste figurant dans la grandiose symphonie de la nature ; laquelle vit sereinement en se passant bien de lui. Dans une temporalité infiniment plus longue, ponctuée de levers et de couchers du soleil, de saisons... », se félicite Eric Biétry-Rivierre dans Le Figaro. Philippe Lançon dans Libération note pour sa part : « Les choses vues sont peintes vite, en plein air, pour ce qu’elles sont. La Fondation Custodia donne à voir, dans une magnifique exposition, ce voyage intérieur à l’air libre. »
Cet accueil favorable fait d’autant plus plaisir que l’exposition a dû être reportée deux fois à cause de la pandémie et qu’elle sera présentée cet été au Fitzwilliam Museum à Cambridge – après avoir été accueillie auparavant à la National Gallery de Washington, dans une version plus réduite. La manière de regarder des peintres de plein air s’inscrit dans la parfaite continuité du dessin « sur le motif » tel qu’il se pratiquait au XVIIe siècle. Pour le souligner, nous avons ajouté dans l’exposition des feuilles de la Fondation Custodia qui mettent clairement en évidence cette parenté : ainsi les études d’arbres sont-elles accompagnées d’une aquarelle de Jan Siberechts (ill. 1) et le groupe des rochers d’un dessin à la plume de Bartholomeus Breenbergh, d’une modernité inimaginable, réalisé en 1625 dans le parc de Bomarzo (ill. 2). Les vues de volcans sont enrichies d’un dessin d’Angeluccio, suiveur de Claude Lorrain (ill. 3), récemment acquis par la Fondation, et le thème des toits d’un dessin attribué à François Stella II (ill. 4).
Les préparatifs ont déjà largement commencé pour les expositions qui s’ouvriront à l’automne : une présentation consacrée à nos dessins français du XIXe siècle, dont beaucoup n’ont jamais été montrés précédemment, et une exposition monographique dédiée au peintre Léon Bonvin (1834-1866), qui s’accompagnera de la parution d’un catalogue raisonné. Des expositions sont également en préparation pour 2023, notamment sur Jacobus Vrel, fruit d’un partenariat avec le Mauritshuis de La Haye et le Bayerische Gemäldesammlung de Munich. Le catalogue raisonné des œuvres de Vrel, rédigé avec la collaboration des deux musées, a déjà été publié en trois langues. De son côté, Maud Guichané travaille de concert avec le spécialiste Christian Jörg sur le catalogue raisonné de la porcelaine chinoise de la Fondation Custodia. Et l’enrichissement de la base de données bat son plein.
Acquisitions
Corps de garde
Jusqu’à présent, la collection de peintures hollandaises de Frits Lugt ne comprenait pas de scènes de « corps de garde », un genre en soi au XVIIe siècle, dans lesquelles des mercenaires et/ou des civils sont occupés à jouer et à flirter en attendant de retourner à la guerre. Une exposition spéciale leur a jadis été dédiée dans la ville fortifiée néerlandaise de Naarden et en 2017, Léonard Pouy-Engler leur a consacré une vaste étude sous le titre Luctor et Emergo. Un peintre qui s’est illustré dans ce genre est Simon Kick (1603-1651), dont la Fondation Custodia a récemment pu acquérir une œuvre maîtresse : un panneau qui avait disparu dans une collection madrilène depuis sa vente aux enchères à Paris en 1951 et qui a refait surface l’année dernière (ill. 5). Les héritiers du collectionneur lui cherchaient un nouveau foyer et, grâce à la médiation de l’Anglais Adrian Biddell, c’est la Fondation Custodia qui a été choisie.
L’œuvre frappe le spectateur par sa palette de couleurs, composée de bruns, de gris et de beiges, et l’attention portée à la porte et au carrosse à gauche, aux brins de paille et à la charpente de l’étable à l’intérieur de laquelle se déroule l’action. Des tonneaux en bois servent de tables de jeu. Il y a de magnifiques détails, comme la nature morte du chapeau tombé par terre et la botte arrachée représentée en raccourci. Le nœud de l’écharpe roulée autour des reins du personnage assis de dos est un régal pour les yeux et évoque les œuvres de Michael Sweerts. Et puis il y a ce personnage debout qui a les yeux tournés vers nous : comme le disent si bien les Allemands, « Der Betrachter im Bilde » (« Le spectateur dans l’image »). Comme c’est souvent le cas dans les tableaux anciens, il pourrait s’agir d’un autoportrait de l’artiste, mort prématurément à Delft, nous regardant. Le catalogue raisonné que Simon Kick méritait vient enfin de paraître, sous la plume de Jochai Rosen, qui a dû se satisfaire d’une vieille photographie en noir et blanc pour sa notice concernant notre panneau.
Le tableau a trouvé sa place dans le salon hollandais de l’hôtel Turgot après avoir reçu un superbe cadre en noyer datant de l’époque de sa réalisation. Il nous était arrivé dans un cadre du XIXe siècle chargé de dorures un peu trop lourdes. Nous l’avons accroché à côté de Vénus et Amour pleurant la mort d’Adonis de Reynier van der Laeck, œuvre récemment acquise qui fit son entrée dans la collection dans un faux cadre d’époque. L’encadreur Michael Gregory, de la maison Arnold Wiggins à Londres, a trouvé dans le stock de sa société un cadre de toute beauté aux dimensions exactes alors que le panneau a un format tout sauf standard (ill. 6). C’est trop beau pour être vrai, mais on pourrait penser que nous avons réuni le tableau avec son cadre d’origine ! Le jeu des lignes et les tons roussâtres de l’ébène s’harmonisent à la perfection avec les tons bruns du panneau. L’ensemble contribue à l’authenticité du « salon hollandais », qui a été très récemment enrichi de deux « torchères » (ill. 7).
Aux peintures du XVIIe siècle s’est ajouté un tondo, un exemple précoce rarissime d’une œuvre sur papier exécutée à l’huile. Il semble qu’il soit de facture française, mais le nom de l’auteur demeure inconnu (ill. 8). Il représente un chevalier casqué de dos, l’épée levée, affrontant une masse grouillante de créatures diaboliques – certaines dans les arbres – sur un fond de lueur rouge, qui suggère probablement les feux de l’enfer. Il est possible que l’iconographie renvoie à une scène de la littérature contemporaine ou du XVIe siècle, mais on peut aussi bien voir le tableau comme une invitation convaincante d’un point de vue rhétorique à prendre fait et cause pour le guerrier dans sa lutte contre le mal et le vice. Il s’agit d’une œuvre hautement originale, tant dans sa mise en scène que dans son usage d’une palette réduite à quelques tons de brun, d’orange, de blanc et de rouge ardent. Elle a été accrochée dans le voisinage des grisailles et des brunailles et de la Tentation de saint Antoine d’Herri met de Bles, dans laquelle flambe aussi un brasier rouge.
TIVOLI
Des flammes de l’enfer à une chute d’eau à Tivoli. Ces dernières années, grâce à l’acquisition de peintures, d’autographes, d’un grand et riche carnet de dessins et d’un registre de vente dans lequel l’artiste notait les œuvres qui quittaient son atelier, la Fondation Custodia est devenue la maison où étudier l’œuvre de l’artiste d’origine flamande Simon Denis (1755-1813) – plus encore qu’en 2003, lorsque Valentina Branchini, historienne de l’art à l’université de Bologne, rédigea sa thèse sur Denis. Après quelques esquisses à l’huile et la sensationnelle Étude d’arbres baignée de soleil qui est devenue une icône de l’exposition Sur le motif (voir plus haut), nous avons acquis une Vue près d’Albano, datée de 1784 (la première œuvre que nous connaissons de lui à avoir été peinte en Italie) et l’année dernière, un tableau exécuté d’une main beaucoup plus preste qui constitue de surcroît un magnifique document. Dans son journal, Elisabeth Vigée Le Brun (1755-1842) décrit la scène : « J’étais arrivée à Rome, où il pleut si rarement, précisément à l’époque des pluies d’automne, qui sont de vrais déluges. Il me fallut attendre le bon moment pour visiter les environs. M. Ménageot alors me mena à Tivoli avec ma fille et Denis, le peintre ; ce fut une charmante partie. Nous allâmes d’abord voir les cascatelles, dont je fus si enchantée que ces messieurs ne pouvaient m’en arracher. Je les crayonnai aussitôt avec du pastel, désirant colorier l’arc-en-ciel qui ornait ces belles chutes d’eau. La montagne qui s’élève à gauche, couverte d’oliviers, complète le charme du point de vue. »
Le tableau représente nul autre que l’artiste Vigée Le Brun au premier plan à droite en train d’esquisser ou de rendre au pastel les chutes d’eau, accompagnée de sa fille Julie, âgée de quatorze ans, appuyée contre elle, et de leur gouvernante Madame Charost (ill. 9). En bas se trouvent probablement François-Guillaume Ménageot (1744-1816), directeur de l’Académie de France à Rome, et le mari d’Elisabeth, le peintre et marchand d’art Jean-Baptiste-Pierre Le Brun (1748-1813), professeur et mécène de Simon Denis. Les Le Brun, trop proches de la cour et de Marie-Antoinette, furent contraints de quitter la France au moment de la Révolution et rencontrèrent à Rome Denis, chez qui ils séjournèrent. Le tableau, qui résume d’une manière saisissante la journée décrite par Vigée Le Brun, était certainement un geste d’amitié de Denis pour la remercier du soutien reçu par sa famille. Il semble que la visite à Tivoli eut lieu à l’automne 1789 et que le tableau ait été réalisé au début de l’année 1790, sur la base de dessins exécutés sur place et d’une étude en plein air que les descendants de Simon Denis mirent sur le marché en 2006. Le tableau est demeuré très longtemps hors de vue des historiens de l’art, jusqu’à ce qu’il refasse surface lors d’une vente aux enchères à Stockholm en 1996.
La Fondation Custodia possède quelques vues de Tivoli exceptionnellement belles, peintes par les italianisants néerlandais du XVIIe siècle Nicolaes Berchem et Caspar van Wittel. Frits Lugt a nourri une prédilection pour ces peintures à une époque où elles étaient peu en vogue, les collectionneurs préférant s’intéresser aux paysages néerlandais. En même temps que le Simon Denis, une Vue de la Villa d’Este a été ajoutée, autre curiosité touristique des lieux, de la main d’un artiste qui n’a pas encore été identifié (ill. 10). La vue en contre-plongée sur la villa est remarquable et la facture avec la lumière scintillante du soleil surprenante. Le traitement magistral de cette perspective audacieuse évoque presque un travail d’architecte. Dans la série d’attributions qui ont été proposées, on relève les noms de Nicolas Didier Boguet, Joseph Bidauld et Alexandre-Hyacinthe Dunouy. La Fondation possède depuis quelques années une Vue de Rome depuis les jardins de la Villa Borghèse, qui présente un traitement similaire du feuillage et un même degré de clarté dans la lumière de la ville éternelle avec Saint-Pierre et le château Saint-Ange au loin (ill. 11). Ce tableau est traditionnellement attribué à Guillaume Bodinier (1795-1872), né à Angers et contemporain de Corot. L’identification n’est pas tout à fait certaine. Heureusement pour l’historien de l’art, le créateur d’une œuvre laisse en général sa signature. Sinon, il y a l’œil, et il est bon que l’ensemble des études à l’huile et des tableaux d’un fini plus achevé conservés à la Fondation Custodia laissent également à cet œil toute latitude pour explorer et découvrir. On vit très bien avec des chefs-d’œuvre sans savoir encore de quelles mains ils sont.
EUGÈNEDELACROIX
Très différent est le traitement de la lumière dans un petit paysage peint que nous pouvons attribuer avec certitude à Eugène Delacroix (1798-1862) (ill. 12). Découvert par Stéphane Rouvet dans une collection privée du sud de la France, il a dû être réalisé à Champrosay, à vingt kilomètres au sud-est de Paris, un décor que l’artiste connaissait bien depuis qu’il y avait loué une maison de campagne en 1844. Il devait plus tard y acheter une résidence. Nous savons avec l’exemple des séries de Claude Monet aux jours de gloire de l’impressionnisme, que les artistes aiment travailler sur la répétition d’un même motif et le peindre sous une lumière différente, mais Corot, rapporte Odilon Redon, donnait déjà ce conseil : « Allez tous les ans peindre au même endroit ; copiez le même arbre. » Et il a également été compris par Delacroix. Une chose est sûre, il a représenté ce paysage deux fois : une fois dans une huile sur toile ayant appartenu à la collection d’Edgar Degas (ill. 13), en consacrant un peu plus d’attention à l’espace sur la gauche, et une autre fois dans cette esquisse à l’huile sur papier, qui reprend la même vue sur le groupe de peupliers, mais dans un contre-jour nettement plus accentué. Nous ressentons que Delacroix a plissé les yeux pendant qu’il peignait.
L’effet et la clarté du contre-jour, à travers lequel les formes présentent une globalité compacte, l’auront certainement fasciné et il s’est efforcé de les capter au pastel (dans la Vue de sa maison à Champrosay de 1853 dédiée à Jenny Le Guillou, sa gouvernante ; Paris, musée du Louvre, inv. 1143) et dans une sublime aquarelle avec une touche et des valeurs tonales très similaires (ill. 14). On admire la manière dont Delacroix réussit à réduire un paysage à sa plus simple expression et à donner à une peinture à l’huile sur papier la qualité d’une aquarelle.
La Fondation Custodia possédait déjà deux esquisses à l’huile sur papier d’un des amis les plus proches de Delacroix, Léon Riesener (1808-1878), qui hérita de sa maison de Champrosay en 1862. L’une d’elles présente la même légèreté d’exécution que le paysage de Delacroix acquis par la Fondation, au rendu également proche d’une aquarelle (ill. 15). L’autre est un merveilleux crépuscule, de tonalité romantique, plus huileux mais d’une atmosphère très semblable (ill. 16).
La peinture en plein air deviendra de plus en plus synthétique au cours du XIXe siècle, pour aboutir finalement à la lumière vespérale, où un seul trait suffit à indiquer un soleil couchant – un effet que le chanteur américain John Hiatt célébrait avec justesse en 1988 en le décrivant comme un « lipstick sunset ». La guitare de l’inégalable Ry Cooder joue autour de ce « couchant de rouge à lèvres » des lignes que peu de peintres peuvent approcher, excepté l’Allemand Manuel Wielandt (1863-1922), qui fit son entrée il y a quelques années dans la collection de la Fondation Custodia (ill. 17).
Ger Luijten
Lettres d’artistes acquises en 2021
Les premières lettres d’Eugène Delacroix (1798-1863) sont adressées à des camarades de classe avec lesquels il restera lié toute sa vie, et leur longueur leur donne une place à part dans sa correspondance. Source essentielle pour nos connaissances de la vie de leur auteur pendant ces années, elles reflètent ses états d’âme, sa découverte de la littérature, du théâtre, de la musique, de la nature et de la chasse, et ses premiers pas sur le chemin de la peinture. La Fondation Custodia a pu acquérir sept de ces épîtres en 2021, ainsi que plusieurs missives datant d’autres périodes de la longue carrière de Delacroix (ill. 1).
Achille Piron (1798-1865), à qui les lettres sont adressées, avait fait carrière dans l’administration des Postes. Il fut désigné par l’artiste comme son légataire universel et publia, deux ans après la mort de celui-ci, une première monographie sur son ami, où il donna à lire un choix de textes tirés des archives personnelles de Delacroix qui lui étaient échues. Resté entre les mains de ses héritiers pendant plus d’un siècle, ce fonds fut dispersé de façon inattendue lors d’une vente aux enchères organisée à Caen en 1997. La Fondation Custodia, à peine préparée, a pu mettre la main sur quelques lots, dont trente-sept lettres, jamais publiées, que Piron adressa à son ami entre 1816 et 1863. Celles de Delacroix n’ont pas eu le même sort : seule une vingtaine de lettres nous est parvenue jusqu’ici, toutes datant des premières années de leur amitié. La plupart avaient trouvé leur chemin vers le marché des autographes auparavant et furent publiées en 1954 par leur propriétaire de l’époque, Alfred Dupont. Deux, dont une inédite de 1815, avaient déjà rejoint la Fondation dans les années 1990. Une nouvelle étude de cette correspondance, dont maints passages attendent encore leurs explications, se révélera certainement fructueuse maintenant qu’un grand nombre des originaux a refait surface et que nous pouvons leur adjoindre les réponses de Piron. Trois lettres de la décennie suivante sont adressées à un autre ami, Charles Soulier (1792-1866), dont Delacroix avait fait la connaissance quelques années plus tard, lorsqu’il était élève à l’École des Beaux-Arts. Soulier, qui a passé sa jeunesse en Angleterre, est connu pour avoir enseigné à Delacroix la technique de l’aquarelle. Les deux hommes sont également restés liés toute leur vie.
D’autres ensembles importants sont venus renforcer des fonds épistolaires présents dans nos collections. Au dossier déjà substantiel des lettres d’Edgar Degas (1834-1917), une de ses rares missives illustrées a pu être ajoutée en 2019, dont le petit croquis garde le souvenir de son buste perdu d’Hortense Valpinçon. En 2020, les dix-huit lettres qu’il envoya durant les dernières années de sa vie à Louis Braquaval ont été acquises. En 2021, le fonds s’est enrichi des vingt lettres qui témoignent de son amitié avec Hortense Howland, née Delaroche-Laperrière (1835-1920), dont Degas fréquenta le célèbre salon à partir des années 1880. La correspondance débute avec une lettre enjouée envoyée du Mont-Saint-Michel (ill. 2), où Degas s’était joint à une compagnie de l’Opéra de Paris, après un ballet donné à Paramé pour lequel son ami Ludovic Lepic avait conçu les costumes. Il goûta tellement à son séjour à l’auberge de Madame Poulard qu’il y retourna deux semaines plus tard. Dans les dernières lettres de la série – qui s’interrompt en 1896 – le ton ironique et galant dissimule mal l’inquiétude croissante du peintre suscitée par sa vision déclinante.
La centaine de vues de la Tamise réalisée par Claude Monet (1840-1926) est le fruit des trois voyages qu’il fit à Londres durant les hivers 1899, 1900 et 1901. La concrétisation de ce projet, avec sa production en série de motifs toujours identiques montrés sous le même angle mais selon des éclairages différents, est exceptionnellement bien documentée par les lettres que Monet écrivait presque quotidiennement à sa (deuxième) épouse, Alice Hoschedé (1844-1911). Onze de ces lettres, datant de février 1900 et de février et mars 1901, ont pu rejoindre en 2021 les deux courriers de février 1901 déjà présents dans la collection. Pour ses tableaux du Charing Cross Bridge et du Waterloo Bridge, le peintre a travaillé depuis sa chambre du Savoy Hotel. Pour ceux des Chambres du Parlement, il s’était assuré un emplacement dans la salle de réception du St Thomas’ Hospital sur la rive sud du fleuve, ainsi que nous l’apprend sa lettre du 12 février 1900 (ill. 3).
Ces écrits témoignent surtout de sa lutte avec les changements incessants des conditions météorologiques – pluie, neige, pas assez de soleil, brouillard trop épais – qui l’empêchaient d’avancer sur les tableaux déjà commencés. En raison d’une indisposition, dont il est question dans sa lettre du 12 mars 1901, la fin de son dernier séjour ne fut pas productive et il n’eût d’autre choix que de terminer un certain nombre de peintures dans son atelier de Giverny. Une lettre rare de Monet datant de ses premières années à Paris, adressée à Georges de Bellio (1842-1898), un de ses premiers collectionneurs, et six lettres au poète Stéphane Mallarmé (1828-1894), ont également été acquises en 2021.
Curt Glaser (1879-1943), conservateur au Kupferstichkabinett de Berlin, puis directeur de la Kunstbibliothek dans cette même ville, possédait une importante collection de maîtres contemporains, dans laquelle l’œuvre d’Edvard Munch (1863-1944) tint une place centrale à partir de 1910. En 1912, il réussit à nouer un premier contact avec le peintre reclus, rapidement suivi d’une visite qui fut le début d’une amitié chaleureuse. Au long des années, les deux hommes ont entretenu une abondante correspondance, dont la part de Glaser est toujours conservée au Munchmuseet d’Oslo. Les lettres de Munch étaient considérées comme perdues jusqu’en 2013, lorsque huit d’entre elles firent surface. En 2021, la Fondation Custodia a pu les ajouter aux trois lettres de l’artiste qu’elle possédait déjà. La correspondance a certainement dû être beaucoup plus nourrie, puisque 145 lettres de Glaser à Munch sont conservées à Oslo, dont la dernière date de 1939, ainsi des dizaines de brouillons de Munch pour ses réponses. Un examen attentif précisera sans doute où les lettres acquises en 2021, dont trois seulement sont datées, devront s’intégrer dans cet ensemble. Elles comprennent très certainement la première lettre de Munch à son admirateur. Datée de 1912, elle traite de la vente à son beau-père du tableau Travailleurs dans la neige (Tokyo, National Museum of Western Art) – en partie pour remercier Glaser de son engagement en faveur de sa peinture.
En janvier 1922, Munch décrit à ce dernier son travail sur l’Attelage de chevaux dans la neige (Oslo, Munchmuseet) et ses décorations pour la chocolaterie Freia à Oslo (ill. 4), en octobre 1931 la vie d’ermite qu’il s’est choisie, sa nervosité et sa vue déficiente – un thème qui revient également dans les autres lettres. La correspondance met clairement en évidence le rôle d’intermédiaire joué au fil des années par Glaser dans les relations du peintre avec les musées, les collectionneurs et les revues allemands. Une feuille volante avec des observations de Munch sur quelques-unes des toiles de ses débuts fut peut-être rédigée pour les besoins de la monographie que Glaser lui consacra en 1917.
Les ensembles mentionnés ne représentent qu’une partie des acquisitions d’une année que l’on peut qualifier sans exagération d’exceptionnelle, et qui a vu passer beaucoup d’autres documents passionnants. Pour n’en citer que quelques-uns : vingt-et-unes lettres d’Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824) ont également trouvé leur voie vers la collection, accompagnées de plusieurs manuscrits pour des poèmes, six lettres de Camille Pissarro (1830-1902), douze d’Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), sept de Paul Signac (1863-1935), sept d’Henri Matisse (1869-1954) – à sa femme, de 1910-1912, les trois premières précédant immédiatement une série acquise en 2018 –, des lettres d’Édouard Manet (1832-1883), Alfons Mucha (1860-1939), Antoine Wiertz (1806-1865) et Félicien Rops (1833-1898), et des lettres illustrées d’Auguste Renoir (1841-1919), Paul Klee (1879-1940), René Magritte (1898-1967) et Koloman Moser (1868-1918) – cette dernière faisant suite, cinq jours plus tard, à un courrier relatant un projet de robe « Reform », probablement adressée à sa future épouse, Ditha Mautner von Markhof (1883-1969), conservée dans la collection depuis 2003 (ill. 5 et 6 ).
Il convient aussi de signaler le don très apprécié d’une lettre rarissime de Michel-Ange Slodtz (1705-1764), au sujet de son monument dédié aux archevêques Armand de Montmorin et Henri de La Tour d’Auvergne dans la cathédrale de Vienne.
L’acquisition la plus extraordinaire de l’année fut certainement la correspondance de Théodore Géricault (1791-1824) avec une femme inconnue, avec laquelle il a dû entretenir une liaison environ deux ans avant sa mort, et dont nous ne savons rien de plus que son nom. Nous étions au courant de l’existence de cette correspondance depuis plusieurs décennies mais, à l’exception de quelques fragments, elle n’avait jamais été publiée. En 2021, plusieurs lettres sont apparues sur le marché et, avec une missive précédemment détachée du groupe, qui a pu être achetée en 2016, on peut désormais supposer que la plus grande partie de la correspondance – onze lettres de Géricault auxquelles s’ajoutent dix de Mme Trouillard – se trouve désormais rassemblée rue de Lille. On s’explique mal leur préservation car, si on compte aujourd’hui une cinquantaine de lettres de Géricault, il semble que la totalité du courrier qu’il a reçu a disparu. Une main inconnue a dû sauver de la succession les lettres que Madame Trouillard, leur idylle terminée, lui a renvoyées par dépit amoureux, en même temps que les siennes propres.
Dans une lettre de février 1821, acquise par la Fondation en 2019, Géricault avait déjà fait allusion à cette relation à son ami Dedreux-Dorcy : « [...] une conquête aussi [...] une femme qui n’est pas de la première jeunesse mais belle encore et entourée de tout le prestige de la fortune s’est fourrée dans la tête d’être folle de moi [...] elle m’appelle le dieu de la peinture et elle m’adore à ce titre [...] ce qui me désole c’est que son mari est un excellent homme qui a mille bontés pour moi [...]. » Des recherches futures permettront sans doute de mettre plus d’éclairage sur les époux Trouillard et leurs rapports avec Géricault, et de préciser la chronologie de la correspondance, le plus souvent non datée. Les lettres d’amour d’artistes sont rares – la Fondation en possède un spécimen précoce avec celle d’Eglon van der Neer (1635/36-1703) datant de 1658 – mais l’intérêt principal de cette correspondance réside bien sûr dans les possibilités qu’elle nous offre d’approfondir nos connaissances de la vie et du caractère de Géricault. En plus, elle révèle par moments, davantage que les autres lettres du peintre qui ont survécu, un talent littéraire qui n’a rien à envier aux grands épistoliers de l’époque romantique :
« Voici l’heure charmante où l’amant fortuné repose délicieusement entre les bras de sa maîtresse, que le souvenir du plaisir semble encore agiter. Ses rêves sont aussi le bonheur pour elle. Ne les troublons point. Nous avons assez à faire. Je parlerai bien bas, écoutez moi sans faire de bruit. Cette nuit j’ai cru vous voir, les songes nous abusent, ils nous flattent, vous le savez peut-être. Je vous faisais ma première visite, il est toujours fort poli de débuter que vous me parûtes belle ! Que l’amitié me semble peu de chose à vous offrir. Je rougis sans oser parler, car toutes les folies me passèrent à la fois par la tête, de l’amitié ! Je ne vous les redirai point, quoique le sommeil rende tout excusable : mais qu’il vous serait facile d’imaginer mon trouble, si je pouvais décrire convenablement toutes les grâces d’un beau corps mollement étendu sur un lit tout de duvet, et qu’une tunique fine et légère enveloppe sans en cacher les contours ; si je pouvais vous dire aussi tout le charme de deux bras paresseux qui essayent à soutenir une belle tête que le sommeil engourdit et dont les cheveux d’ébène relèvent si bien la blancheur. J’ai vu plus que tout cela, aurai-je tort de l’avouer, – la bienveillance et l’amitié ont-elles jamais troublé le cœur ? Me voici levé, occupé à vous écrire sans avoir pu me rendre compte de rien, avec le réveil toutes les illusions ont disparu, la raison reprend son empire, je me vois – tel que je suis, heureux encore si je ne vous parais pas un mauvais bouffon ou quelque nain que l’on a la curiosité de voir pour s’en amuser... – vous visiter ! » (ill. 7 ; ponctuation légèrement adaptée).
Hans Buijs
Exposition
Sur le motif. Peindre en plein air 1780-1870
jusqu’au 3 avril 2022
Plus de 150 études à l’huile sont réunies dans l’exposition, provenant de la Fondation Custodia, de la National Gallery of Art de Washington, du Fitzwilliam Museum de Cambridge et d’une collection particulière.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la pratique de l’esquisse de paysage, réalisée à l’huile, en plein air, se répandit largement à travers l’Europe. Nourris par les écrits des philosophes, les questionnements scientifiques et le sentiment poétique, les artistes s’aventuraient hors de leur atelier, munis d’un matériel portatif, pour travailler sur le motif, s’exerçant ainsi l’œil et la main à la transcription des fugitifs effets de lumière et d’atmosphère.
L’Italie était au cœur de cette tradition. Venus de l’Europe entière, les artistes affluaient dans le Sud pour peindre les monuments de Rome et les paysages idéalisés de la Campagne romaine. La plupart de ces esquisses à l’huile ignorent toutefois les sites célèbres et s’intéressent à des lieux sans prétention et à des aperçus de la nature restitués avec spontanéité – la forme mouvante d’un nuage, la texture d’une écorce d’arbre, le flot rapide d’un cours d’eau.
À mi-chemin entre peinture et dessin, ces études de paysages constituaient un matériel de travail qui ne sortait guère de la sphère privée de l’artiste ; une ressource précieuse dans laquelle il était possible de puiser à loisir pour insuffler fraîcheur et immédiateté à des grandes compositions d’atelier. Mais dans leur grande majorité, les peintres n’auraient jamais envisagé d’exposer ces travaux.
L’exposition Sur le motif est ainsi une occasion unique d’examiner en détail ces paysages d’une étonnante modernité. Le choix d’un regroupement thématique des œuvres, jouant sur des juxtapositions rythmiques et poétiques, invite à s’immerger dans chaque motif, à percevoir le caractère très personnel des réponses artistiques et à comprendre combien la technique menait à l’expérimentation.
Exposition
Charles Donker. D’abord regarder
jusqu’au 3 avril 2022
Charles Donker est un aquafortiste qui vit et travaille à Utrecht, où il est né en 1940. Sa technique et son raffinement le classent parmi les plus grands artistes graphiques néerlandais contemporains.
Donker crée principalement sur le motif. « Je ne sais pas être ailleurs que dehors », confie le dessinateur et graveur, « j’ai besoin de voir le ciel, d’entendre le bruissement des arbres, de regarder les oiseaux voler ou de ressentir le silence absolu de la nature. Je serais affreusement malheureux si je ne pouvais plus sortir. »
Ce dehors peut être situé n’importe où. Charles Donker a voyagé en France, en Angleterre, en Espagne, en Pologne, en Amérique du Sud et en Israël. À Rhijnauwen, aux alentours d’Utrecht, il travaille depuis 1970 dans une ancienne maison de forestier. Les grands paysagistes du XIXe siècle croquaient sur le vif le paysage, qu’ils recomposaient en atelier. Donker, quant à lui, préfère graver directement sur sa plaque en extérieur.
Une eau-forte de Charles Donker est un précis d’événements observés sur plusieurs jours dans des endroits où quasiment rien d’autre n’a lieu que le lieu. Le moindre mouvement est proscrit. Les oiseaux voltigent trop vite à son goût, il ne peut les représenter que s’ils sont tout près et ne remuent ni aile ni patte pendant un long moment.
Ceux qui connaissent Charles Donker uniquement en tant que graveur découvriront grâce à cette exposition une tout autre facette de son talent. Avec ses paysages d’Espagne et d’Amérique du Sud, ils appréhenderont le coloriste qui sommeille en lui, à travers une sélection d’aquarelles. L’ensemble des œuvres exposées retrace les cinquante ans de carrière de l’artiste.
Quelques notes sur les dessins de
Nicolas Didier Boguet père (1755–1839)
conservés à la Fondation Custodia
Depuis 1980, la Fondation Custodia conserve un dessin localisé et daté « Moulin de Tosi prés vall’ombrosa 1793 » (ill. 1). Ce vaste paysage montagneux est traversé par une lumière éclairant un chemin avec un petit pont voûté et bordé d’une construction en pierre, le moulin sur la droite. Sur la gauche, de beaux arbres largement ombrés s’inclinent en direction du cours d’eau, rejoignant dans un même mouvement les autres châtaigniers et végétaux représentés.
Ce dessin est attribué à Constant Bourgeois (1767–1841) depuis son acquisition sous ce nom auprès de la galerie de Bayser en 19801. Mais la date du dessin induit qu’il peut difficilement en être l’auteur puisque selon ses biographes, en 1793-1794, Constant Bourgeois est engagé volontaire au 4e bataillon de la Haute-Garonne, envoyé à Nîmes et à Paris.
L’attention portée à la lumière, les valeurs de gris et de beige, ainsi que la technique bien particulière observée dans la description des arbres et des arbustes nous éloignent des paysages un peu secs de l’élève de David et nous incitent à proposer le nom de Nicolas Didier Boguet père. Ce paysagiste renommé, établi en Italie depuis 1783, avait rejoint Florence dès le début de l’année 1793 et il vécut un temps à Vallombrosa.
Fervent dessinateur, Boguet est à cette époque un maître tant dans l’emploi du double lavis de couleur que dans ses propositions de jeu de lumière. Il a aussi une manière reconnaissable d’utiliser le graphite et les touches de lavis pour préciser les feuillages des différentes végétations, dont les frondaisons sont notamment matérialisées par de petites boucles. Enfin le recours aux hachures obliques au graphite sous le lavis se distingue souvent dans ses dessins. Ses deux principaux biographes, Paul Marmottan2 et Marie-Madeleine Aubrun3, ont souligné aussi la distribution parfaite de ses plans et sa grande souplesse picturale. Toutes ces caractéristiques se retrouvent dans Paysage avec un moulin à Tosi, près de Vallombrosa.
Nicolas Boguet localise souvent ses paysages comme en témoignent de très nombreux dessins et notamment ceux conservés à l’Istitituto Centrale per la Grafica / Gabinetto Nazionale delle Stampe. C’est dans ce fonds, riche de 1200 dessins de l’artiste4, que l’on trouve au moins deux autres études situées dans cette même localité de Toscane : une Vue de Vallombrosa et Arbres près du Couvent de Vallombrosa5.
Ce dessin est, en outre, estampillé de trois marques de collections qui nous renseignent sur son historique précédant son exposition à la galerie Prouté puis à la galerie de Bayser : celle du baron Dominique Vivant Denon (1747–1825 ; L.779), puis celle du marquis Philippe de Chennevières (1820–1899 ; L.2073) et enfin celle de Jean Cantacuzène (1863–1934 ; L.4030). Il n’est pas possible de retrouver précisément ce dessin dans la vente de juin 1969 de Jean Cantacuzène, où seul un dessin attribué à Bourgeois pourrait être mis en relation avec notre dessin6. Dans la vente de Chennevières, en avril 1900, on remarque qu’aucun dessin de Constant Bourgeois n’est cité, mais qu’un dessin de Boguet figure dans le lot 538 (sans description de sujet cependant)7. À la vente du baron Dominique Vivant Denon en mai 1826, un dessin décrit au lot 846, pourrait correspondre à notre dessin : « Un précieux dessin, au crayon et au lavis au bistre et à l’encre de la Chine, par Boguet, représentant un moulin à eau dans un pays montagneux, et en partie ombragé par des arbres »8.
Si cette nouvelle attribution est acceptée, ce paysage serait le troisième dessin de l’artiste conservé dans la collection de la Fondation Custodia.
Le premier d’entre eux, une Vue de l’Adige (ill. 2) peut être mis en relation avec le tableau du Champ de bataille de Rivoli. Ce tableau commandé par le général Bonaparte dès 1797, avec le Passage du Pô par l’armée, était terminé en 18019. Le dessin présente les mêmes dispositions si bien décrites dans le tableau par Paul Marmottan dans la Gazette des Beaux-Arts10, que ce soit : « le terrain rocailleux du premier plan », « les arbres couverts de feuilles à droite et à gauche de la composition », le second plan avec « le plateau de Rivoli entouré de montagnes que domine à gauche le Mont Baldo dont le sommet disparait derrière un nuage » ou enfin « à droite le cours sinueux de L’Adige qui s’engouffre au fond de la gorge ». Notre dessin pourrait être une étude d’après nature datée de 1797 et être associé aux trois jours passés par l’artiste avec quatre grenadiers dans les environs du village de Rivoli où il prit « des vues du champ de batailles, dans tous les sens » pour préparer la commande proposée par le Général11.
Il ne semble pas que nous puissions relier le deuxième dessin, Paysage montagneux avec une vallée (ill. 3), à une composition connue. Il est daté 1829, l’artiste est alors âgé de 74 ans. À cette époque, Boguet travaille souvent avec son fils unique, Didino, peintre comme lui, et parcourt encore la campagne romaine comme en témoigne Chateaubriand en 1828 : « J’ai recommencé avec lui nos anciennes excursions ; je ne m’aperçois de sa vieillesse qu’à la lenteur de ses pas ; j’éprouve une sorte d’attendrissement en contrefaisant le jeune, et en mesurant mes enjambées sur les siennes. Nous n’avons plus ni l’un ni l’autre longtemps à voir couler le Tibre »12.
Laurence Lhinares
1Cat. de Bayser, Dessins et Sculptures de maîtres anciens et modernes, 1979, n° 4 ; ce dessin avait auparavant figuré dans un catalogue de la galerie Prouté (cat. n° 71, Automne 1978, n° 23).
2Paul Marmottan, Le Paysagiste Nicolas-Didier Boguet (1755-1839), Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1925.
3Marie-Madeleine Aubrun, Nicolas-Didier Boguet (1755-1839), ’un émule du Lorrain’, Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1974.
4Fonds composé de 4 volumes de dessins (respectivement 147, 188, 190 et 252 œuvres) entrés en 1909, puis de 244 dessins et une étude très poussée entrés en 1910 ; l’ensemble provenant de C. Rossinani, arrière-petit-fils par alliance de l’artiste.
6Vente J. Cantacuzène, Paris, 4-6 juin 1969, lot 539 : « Paysages. 2 lavis attribués à Bourgeois et à Lallemand ».
7Vente marquis de Chennevières, Paris, 4-7 avril 1900, lot 538 : « Onze dessins par Bellanger, Berthélemy, N. Bertin, Blondeau, Blondel, Boguet, J. Bremant, Brenet, Briard ».
8Vente D.-V. Denon, Paris, 1-19 mai 1826, lot 846.
9Musée de Périgueux, dépôt du musée du Louvre, inv. 2677.
10Paul Marmottan, Le Paysagiste Nicolas-Didier Boguet (1755-1839), Paris, Gazette des Beaux-Arts, 1925, p. 21.
11Le livret du Salon de 1836 précise que : « Bonaparte, général en chef de l’armée d’Italie, chargea l’auteur trois jours après la bataille, de se rendre sur le terrain, pour faire la vue de ce lieu devenu si mémorable ».
Un dessin inconnu de l’atelier de Johannes Bosboom
En 2020, la Fondation Custodia a acquis une aquarelle de l’artiste néerlandais Johannes Bosboom (1817-1891). Il s’agit d’une vue inédite de l’atelier du peintre (ill. 1), qui complète magnifiquement l’ensemble d’aquarelles de sa main que possède déjà la Fondation Custodia.
La collection réunissait à ce jour vingt-et-uns dessins de l’artiste, tous acquis par Frits Lugt. Par la suite, la Fondation a pu faire l’acquisition d’une lettre illustrée d’une esquisse. Bosboom est surtout réputé pour ses intérieurs d’église, qui sont sa spécialité. Ces tableaux trahissent l’influence des maîtres hollandais du XVIIe siècle. En outre, il était un aquarelliste talentueux.
Bosboom connut le succès de son vivant et fut un artiste estimé dans sa ville natale de La Haye, où il travailla toute sa vie. Au cours de l’été 1877, son épouse, la célèbre écrivaine Anna Louisa Geertruida Bosboom-Toussaint (1812-1886), et lui, emménagèrent dans la Veenlaan (rebaptisée aujourd’hui Toussaintkade, du nom de sa femme), où ils vécurent jusqu’à leurs morts respectives. Le peintre y fit construire un atelier au fond du jardin. Diverses sources – tout particulièrement des lettres de l’artiste, des descriptions données par ses visiteurs et des dessins – nous permettent de nous faire une idée assez précise de l’endroit. Bosboom le décrivit en détail à Jan Diederikus Kruseman (1828-1918) dans une missive de 1879 : l’atelier au toit en bâtière était rectangulaire et mesurait 10 mètres de long sur 5,5 mètres de large. À l’intérieur, la charpente laissait béant le comble avec ses poutres. L’espace longiligne était divisé par une cloison en une grande pièce, l’atelier, et une antichambre plus petite par laquelle on entrait. Cette cloison permettait un passage en forme de porte. Bosboom y avait soigneusement disposé sa collection de meubles anciens, d’objets religieux et de sculptures. Ses visiteurs rapportent que l’endroit ressemblait à une vieille église hollandaise !
Une série de treize petites aquarelles intimes que Bosboom a réalisées de son atelier, conservées à la Fondation Custodia, constituent une image visuelle de premier ordre. Lugt a pu les acquérir lors d’une vente aux enchères à Amsterdam le 18 juin 1968. Les dessins sont rangés dans un portefeuille dont la page de titre manuscrite porte la mention : Mijn Atelier in Schetsen (« Esquisses de mon atelier »). Bosboom les exécuta en 1880 expressément à l’intention de son ami et mécène Gijsbert van Tienhoven (1841-1914). Il leur ajouta une lettre, datée du 11 février 1880, dans laquelle il explique les six premiers dessins (il n’avait alors pas encore produit le reste des esquisses). Chaque petite esquisse représente une partie différente de l’atelier et la série, en accumulant ces coups d’œil dans les coulisses, en donne une image la plus complète possible. Malgré les petites dimensions des feuilles, l’artiste réussit à chaque fois à transposer avec beaucoup de finesse et de précision l’agencement des objets, l’atmosphère et la lumière.
Environ dix ans avant l’acquisition du portefeuille, Frits Lugt avait acheté un grand dessin de l’intérieur de l’atelier représentant la porte insérée dans la cloison (ill. 2). Cette aquarelle provient de la collection du peintre Hendrik Willem Mesdag (1831-1915). Une version plus grande et plus élaborée de cette même vue est conservée au Kunstmuseum de La Haye. Cette feuille fait partie des dessins les plus fameux de l’artiste.
Lorsque j’ai décrit la série susnommée de treize aquarelles ainsi que les autres vues connues de l’atelier dans un article de 2017 (R. S. Blok, « Johannes Bosboom’s studio in watercolour sketches », Master Drawings, 55, 2017, no 2, p. 153-174), j’ignorais l’existence de la vue acquise par la Fondation Custodia en 2020. Celle-ci nous révèle un aspect encore inconnu de l’atelier.
La feuille est datée du 21 avril 1887 et a été réalisée après les autres vues, qui datent de 1880 et 1881. Il semble donc que Bosboom ait éprouvé le besoin en 1887 de retraiter le thème. Cette fois, nous voyons à droite l’arrière du chevalet et, si l’on regarde bien, on remarque que Bosboom s’est représenté lui-même au travail : sous le chevalet, il y a les jambes de l’artiste et, à gauche, sa canne à peindre qui dépasse de derrière la toile ! Dans le fond, des chaises et des armoires sur lesquelles sont posés des statues et des objets religieux.
La question est maintenant de savoir quelle partie de l’atelier représente l’aquarelle de 1887. Nous retrouvons la grande armoire de gauche dans un petit croquis de la paroi du fond de l’atelier (ill. 3). Dans la lettre qui accompagne le portefeuille, Bosboom le commente en ces termes : « N. 5 représente une partie du grand atelier, vue du mur opposé avec l’armoire gothique et ma table à dessin au premier plan ». Dans l’esquisse, Bosboom a ajouté une figure en costume historique, qui semble examiner des dessins posés sur la table. Dans la lettre à Kruseman mentionnée précédemment, Bosboom se montre encore plus précis sur ce coin de l’atelier : « L’armoire gothique au fond avec les Évêques identiques au-dessus et derrière les panneaux goth[iques], dans lesquels sont insérés quelques vieux portraits, et au milieu, par-dessus, un blason, tandis que de chaque côté de l’armoire mentionnée tombent de vieux rideaux rouges, derrière lesquels sont visibles de vieux in-folios. Cela produit un ensemble typique ». Dans la feuille nouvellement acquise, il s’agit donc d’une vue vers le mur du fond de l’atelier.
D’autres éléments représentés dans cette aquarelle de 1887 apparaissent également dans les esquisses du portfolio. On retrouve ainsi l’armoire étroite au milieu, remplie de livres, dans une des petites feuilles de la série de 1880 (ill. 4). Et il est possible que l’ostensoir en haut à gauche de l’armoire soit identique à celui dessiné dans la nature morte d’objets religieux que l’artiste exposait dans son atelier (ill. 5).
Enfin, nous trouvons un dernier indice dans un dessin de Willem Steelink (1826-1913). Le 11 mars 1887, Steelink avait dessiné l’artiste travaillant derrière son chevalet (Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen, inv. PAK 4949). Il est possible que le portrait ait été réalisé à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du maître, célébré le 26 mars de cette même année lors d’un dîner organisé par l’association d’artistes Pulchri Studio. En 1893, le portrait a été publié dans le Haagsch Jaarboekje pour illustrer un article consacré à Johannes Bosboom.
Dans le dessin de Steelink, Bosboom regarde de derrière son chevalet vers la petite porte construite dans la cloison. Fait remarquable, Bosboom est assis dans la même position que dans l’aquarelle acquise par la Fondation Custodia et tient pareillement sa canne à peindre. Un tabouret sur lequel est posé un album ouvert, placé à côté du chevalet, réapparaît dans les deux feuilles. Dans notre dessin du 21 avril, ultérieur de quelques semaines à la feuille de Steelink, la disposition du chevalet devait encore être inchangée.
Grâce à cette acquisition d’une vue inédite de l’atelier de Bosboom, la Fondation Custodia possède non seulement une nouvelle esquisse qui nous fait pénétrer dans les coulisses de son lieu de travail, mais aussi un autoportrait caché du peintre, qui vient enrichir notre collection de portraits d’artistes.
Rhea Sylvia Blok
Tablettes à croquer
Un rare carnet d’esquisses de la Renaissance acquis par la Fondation Custodia
Rares sont les dessins des tout jeunes apprentis artistes de la Renaissance qui sont parvenus jusqu’à nous. Ils devaient sans doute ressembler aux feuilles que les enfants rapportent aujourd’hui encore de l’école comme le laisse présumer le tableau de Gian Francesco Caroto (1480-1555) conservé à Vérone (ill. 1).
S’ils présentaient cette charmante maladresse, pourquoi leurs maîtres auraient-ils en effet conservé ces dessins dans l’atelier ? Mais surtout, ces feuilles n’ont peut-être jamais existé. Au XVIe siècle, le papier était un produit coûteux : une rame pouvait représenter le salaire d’un mois de travail. Trop onéreux sans doute pour que les petits débutants y fassent leurs exercices. Car l’Exercice, « Usus » en latin, était alors la clé de l’apprentissage du dessin. Il fallait entrainer la main et l’œil, copier et copier encore des modèles dont on trouve la trace dans les traités et les livres à dessiner du XVIIe siècle.
Alors sur quel support les peintres en herbe travaillaient-ils ? C’est le regretté Ernst van de Wetering qui a formulé l’hypothèse la plus intéressante à ce sujet : les tout jeunes apprentis ont peut-être utilisé des supports effaçables et réutilisables à l’envi1. Non pas des ardoises, comme les écoliers d’hier et d’aujourd’hui, mais des pages de parchemin préparées avec un enduit fait de poudre d’os animal calciné mêlée à un liant – variant au fil des siècles – offrant ainsi une surface rigide, de couleur ivoire sur laquelle on pouvait dessiner avec une pointe de métal, généralement en argent (ill. 2).
Ce support permettait d’effacer les croquis ou les lignes avec un pinceau humide ou – plus radical encore – d’être enduit d’une nouvelle couche de préparation, recouvrant le tracé. La première description que l’on connaisse de ces tablettes à dessiner est celle qu’en donne l’artiste Cennino Cennini (1370-vers 1440) dans son Libro dell’ Arte en 1390. Il les désigne du nom de « tavolette ». Pour les apprentis dessinateurs, il recommande des tavolette faites avec des planches bien polies de buis ou de figuier, mais il ajoute que l’on peut également les préparer avec des morceaux de parchemin recouverts d’un mélange de blanc de plomb et d’huile puis enduits de la même pâte de poudre d’os que les planches. Selon lui, ces tavolette de parchemin étaient souvent utilisées comme livres de comptes par les marchands. Elles devaient alors être reliées pour former un carnet qui tenait dans la poche. Il faut croire que leur usage était répandu dans l’Europe de la Renaissance car un manuscrit bavarois décrit un siècle plus tard comment confectionner de telles tablettes à écrire avec du parchemin et précise que l’on pouvait aisément les réutiliser en effaçant les inscriptions avec de la salive.
On ne sait pas précisément à quel moment ces carnets de tavolette commencèrent à être utilisés par les artistes, mais les plus anciens que nous conservons aujourd’hui datent pour la plupart de la seconde moitié du XVIe siècle et furent produits en Allemagne ou dans les Pays-Bas du Nord comme du Sud où ils furent appelés des « tafeletten », nom probablement dérivé du terme italien.
La collection de la Fondation Custodia est riche de carnets d’esquisses, mais il manquait jusqu’à l’an passé un tafelet à l’ensemble représentatif de cette pratique artistique du XVIe au XXe siècle. Ger Luijten, qui connait bien celui du Rijksprentenkabinet d’Amsterdam, et sait l’extrême rareté de ces carnets, n’a pas hésité un instant lorsqu’il vit passer la belle reliure allemande sur le marché de l’art (ill. 3).
Le plat supérieur du carnet à tablettes s’orne de la date de 1584 et du médaillon de l’imprimeur et relieur Jacob Guldenmund (actif vers 1580/90), dont le nom et la profession entourent les armes de la ville d’Amberg, où il naquit et avait repris l’activité de son père. Si le dos de la reliure était endommagé et a dû recevoir les soins de Florence Malo, restauratrice de l’atelier de Coralie Barbe, la pointe d’argent utilisée pour dessiner est toujours en place, ce qui est rare. S’achevant sur un élégant motif de crosse épiscopale, elle peut être glissée dans les trois fermoirs métalliques permettant ainsi de maintenir le carnet fermé.
Le tafelet de la Fondation Custodia renferme dix-huit folios sur lesquels on pouvait dessiner au recto et au verso grâce à la rigidité de la préparation du parchemin, offrant ainsi trente-six pages à l’artiste en herbe. Quelques-unes portent en effet des dessins de débutants, qui ne datent pas du XVIe siècle mais du XIXe siècle : des essais de portraits en profil (ill. 4) et quelques paysages (ill. 5-6).
Deux d’entre eux portent des annotations en allemand indiquant que le carnet ne s’était pas beaucoup éloigné de son lieu de production. Il est probable que les dessins soient l’œuvre d’un ou de plusieurs enfants de bonne famille entre les mains desquels le précieux carnet était tombé. Peut-être habitaient-ils la grande maison de maître croquée sur l’une des pages : « Das / Haus / Laucksche [ ?] / von hinten » (la maison Laucksche [ ?] vue de l’arrière), qu’il n’a pas encore été possible d’identifier (ill. 6).
Certains carnets à tablettes contiennent des œuvres de jeunes artistes datables autour de 1600. Il s’agit généralement de copies d’après des gravures comme cela est le cas pour le carnet du Rijksmuseum et pour celui, moins connu, du Hood Museum of Art à Dartmouth dans le New Hampshire2. Les copies d’après des gravures indiquent que les dessinateurs étaient encore en formation car cet exercice était l’une des premières étapes du curriculum de l’apprentissage du dessin tel qu’on le concevait – et qu’il fut décrit dans les traités – au XVIe et XVIIe siècles.
Les carnets d’esquisses à la pointe d’argent n’étaient toutefois pas uniquement utilisés pour les premiers pas des dessinateurs. Des artistes confirmés s’en servaient pour y consigner des croquis, notamment lorsqu’ils étaient en voyage. Le format de poche de ces reliures et la technique sèche de la pointe d’argent (pas d’encre à transporter, pas de pierre noire laissant de la poudre sur les vêtements) les rendaient en effet fort pratiques. Ainsi Albrecht Dürer (1471-1528) avait-il emporté avec lui un carnet à tablettes lors de son voyage dans les Pays-Bas dont on conserve quelques folios sur lesquels il a consigné des portraits ou des études de bâtiments aperçus lors de son périple. On connaît de même trois paysages exécutés par Rembrandt (1606-1669) sur des parchemins préparés qui durent faire partie d’un carnet.
L’extrême rareté des tafeletten vient du fait que la plupart furent démembrés afin d’en extraire les folios les plus intéressants. La conservatrice de l’Ashmolean Museum, An Van Camp, a récemment répertorié de nombreux dessins d’artistes hollandais et flamands qui furent sans aucun doute d’abord les folios d’une de ces reliures de poche3. C’est le cas de la belle étude que Hendrick Goltzius (1558-1617) fit de son chien au recto et au verso d’une même page d’un carnet de croquis et aujourd’hui conservée à la Fondation Custodia (ill. 7).
Des analyses scientifiques des folios du petit carnet vont prochainement être conduites sous la houlette de Corinne Letessier, restauratrice de la Fondation Custodia, afin de déterminer la composition précise de la préparation appliquée sur le parchemin et de savoir si des dessins plus anciens se trouvent sous la surface visible. Car si Joseph Meder dans son célèbre ouvrage Die Handzeichnung avait dès 1919 noté l’importance qu’avaient pu revêtir ces carnets d’esquisses à la pointe d’argent pour des artistes comme Léonard de Vinci ou Albrecht Dürer, il fallut attendre de nombreuses décennies pour que les chercheurs se penchent de nouveau sur ces objets et la Fondation Custodia espère ainsi contribuer à une meilleure connaissance des tafeletten4.
Cécile Tainturier
1Ernst van de Wetering, Rembrandt. The Painter at Work, Amsterdam, 2000 (chapitre III : « Lost Drawings and the Use of Erasable Drawing Boards and ‘Tafeletten’ »).
2Ce carnet est en cours d’étude par la conservatrice Elizabeth Rice Mattison que je remercie vivement pour les informations qu’elle m’a fournies.
3Dessins de Hans Bol (1534-1593), Johannes Wierix (1549-1620), Jacques de Gheyn (III) (1596-1641), Crispijn de Passe (II) (1594/95-1670), Andries Both (1611-1642), Gillis van Tilborgh (1625-1678). An Van Camp, « Metalpoint Drawings in the Low Countries in the Sixteenth and Seventeenth Centuries », dans Drawing in Silver and Gold : Leonardo to Jasper Johns, cat. exp. Washington, National Gallery of Art, Londres, The British Museum, p. 145-188. La plupart de ces dessinateurs étaient aussi des graveurs pour lesquels la technique de la pointe de métal, dont le rendu est proche de la gravure, devait revêtir un attrait particulier.
4Die Handzeichnung. Ihre Technik und Entwicklung, Vienne, 1919 (traduction anglaise : The Mastery of Drawing, New York, 1978).
Les albums de dessins de Louis Charles Hora Siccama
Trois albums de dessins de l’artiste néerlandais Louis Charles Hora Siccama (Utrecht 1807 – 1880 Utrecht), récemment acquis par la Fondation Custodia, ont fait l’objet d’une importante campagne de conservation-restauration en 2020 et 2021.
Chaque album contenait environ 200 dessins exécutés par Hora Siccama au cours du voyage qui le conduisit depuis les Pays-Bas jusqu’au sud de la France, au milieu du XIXe siècle. Tous minutieusement datés, localisés et annotés, ces petits dessins illustrent les paysages, les portraits et les scènes de la vie quotidienne que l’artiste rencontra (ill. 1).
Les techniques graphiques utilisées par celui-ci sont variées : crayon graphite et pierre noire, encre brune, aquarelle, craie blanche et gouache pour les rehauts. Il employa des papiers vélins blancs et de couleur bleue ou brune.
Sans doute constitués par l’artiste lui-même au retour de son périple, ces trois albums posaient des problématiques de conservation similaires : la nature des matériaux constitutifs, les manipulations et les conditions de conservation antérieures peu adaptées ont d’une part largement fragilisé les reliures (ill. 2), et d’autre part rendu les feuilles du corps d’ouvrage, support des dessins, très acides, et par conséquent susceptibles de mettre en péril la pérennité des œuvres sur le long terme.
De nombreux dessins présentaient un jaunissement important, ainsi que des taches provoquées par des moisissures et par la colle utilisée pour leur fixation (ill. 3). Il n’était plus possible de garder ces objets en l’état, même dans les conditions de conservation optimales qui leur sont désormais offertes dans les réserves de la Fondation Custodia.
Les dessins ont donc été décollés de leurs supports et traités individuellement par des opérations de dépoussiérage, puis de traitements aqueux adaptés à la nature des papiers et aux techniques utilisées par l’artiste. L’emploi de gels aqueux, fabriqués à partir d’un mélange d’eau et de poudre de gommes gellane ou d’agarose, permet un apport en humidité lent et contrôlé, couplé à un effet de succion efficace des produits de dégradation contenus dans les papiers altérés. Ils s’avèrent également particulièrement adaptés pour des œuvres présentant des techniques graphiques sensibles à l’humidité comme la gouache, ou pulvérulentes comme la craie blanche.
Une fois les opérations de traitement terminées, des répliques des albums originaux ont été fabriquées pour recevoir les dessins (ill. 4). Ces albums de conservation ont été conçus en respectant le format, la reliure et la couleur des papiers des corps d’ouvrage des albums originaux. Les dessins ont ensuite été insérés en reproduisant la mise en page voulue par Hora Siccama. Pour les fixer, un système de charnière en papier japonais permet l’accès aux versos de ces œuvres.
Témoignages historiques importants, les reliures originales sont également conservées avec la trace des emplacements des dessins avant leur décollage.
Pauline Guidoni Stagiaire en Master 2 de Conservation-restauration des Biens Culturels, Université Paris 1
Enquête autour du banc n° 5688
Depuis de nombreuses années, les personnes de passage au 121 rue de Lille – lecteurs de la bibliothèque, visiteurs des expositions, invités ou habitués de la maison – utilisent ce banc qui, adossé au grand miroir, domine la mosaïque du rez-de-chaussée de l’hôtel Lévis-Mirepoix. Elles lui confient leur attente ou leur répit, mais elles ignorent sans doute qu’il date du XVIIIe siècle et qu’il fait partie intégrante des collections de la Fondation Custodia, comme le révèle le numéro d’inventaire « I. 5688 F.L. » peint en blanc au revers du dossier.
Avec ses courbes, ses volutes et ses lignes fluides qui évoquent le monde végétal, ce banc incarne le style rococo hollandais. La composition des motifs est élégante mais leur disposition symétrique reste rare, le rococo lui préférant généralement la variation et l’asymétrie.
Ce type de bancs, entièrement en bois sculpté, prenaient place dans les vestibules ou dans les jardins des demeures hollandaises aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ils sont mentionnés dans les inventaires de succession et se retrouvent dans les maisons de poupées, comme celle de Petronella Oortman (ill. 2). Assez peu confortables, ils servaient avant tout au décor, mais accueillaient aussi les visiteurs qui attendaient d’être reçus.
Depuis janvier 2021, un vaste projet d’inventaire et de récolement du mobilier ancien de la Fondation Custodia a été lancé, mené à bien grâce à l’aide d’Anne-Zoé Le Gal, stagiaire de l’École du Louvre. Il permet l’identification, la localisation et l’évaluation de la bonne conservation des meubles qui composent les intérieurs des hôtels Turgot et Lévis-Mirepoix et qui constituent une partie de la Collection Frits Lugt. Aux côtés des peintures, des dessins, des estampes et autres objets d’art de sa collection, Lugt acquit du mobilier ancien, de production essentiellement néerlandaise ou française et datant principalement des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
En 1939, Frits Lugt acheta ce banc au baron Michiels van Verduynen pour 50 florins. Cherchant à s’installer à La Haye, Frits Lugt et son épouse acquirent la propriété du Lange Vijverberg 14 en 1936, puis, trois ans plus tard, celle du numéro 15 (ill. 3 et 4), que Lugt considérait comme « the finest old house in Vijverberg, particularly the interior ». Michiels van Verduynen en était le propriétaire. Frits Lugt était en effet coutumier du fait de racheter une partie du mobilier de la maison qu’il convoitait, comme il le fit, une vingtaine d’années plus tard à Paris, lors de l’achat des hôtels Turgot et Lévis-Mirepoix, siège actuel de la Fondation Custodia. À La Haye, il se porta acquéreur de divers meubles : une commode Louis XV, des ensembles de chaises ou de fauteuils, des dressoirs, des armoires ou des cabinets. Parmi eux, le banc constitue l’un des rares rescapés des pillages de la Seconde Guerre mondiale dont Lugt fut victime.
Pendant la guerre, Frits Lugt et sa famille partirent vivre en Suisse puis aux États-Unis, alors que leurs biens et une grande partie des collections restèrent à La Haye où ils furent confiés à l’assistant de Lugt, Adriaan Louis Domis (1908–1979). En l’absence des Lugt, celui-ci se révéla de peu de confiance, collabora avec les occupants allemands et revendit de nombreux biens et œuvres. À son retour en Europe, Frits Lugt engagea une véritable enquête pour récupérer, dans la mesure du possible, ce qui lui avait été spolié pendant la guerre. Il parvint à rassembler une partie de ses collections mais beaucoup d’objets et d’œuvres restèrent introuvables.
Parmi les meubles qu’il avait acquis de Michiels van Verduynen, il ne parvint ainsi à récupérer que le banc n° 5688 et une partie des chaises de style Chippendale qui se trouvent aujourd’hui encore dans la salle à manger de l’hôtel Turgot (ill. 5).
Frits Lugt semble avoir réuni ces meubles anciens comme des objets d’usage tout autant que comme des objets de collection à valeur patrimoniale. À l’image de ce banc rococo qui depuis le XVIIIe siècle reçoit les visiteurs, cette double considération perdure à la Fondation Custodia.
Maud Guichané
Les dessins de Rembrandt et son cercle publiés dans la Collection Online
Les œuvres de Rembrandt et son cercle ont fait l’objet d’une attention toute particulière au sein de notre base de données car elles forment un ensemble de première importance parmi les fonds de la Fondation Custodia. La plupart ont été acquises par le collectionneur Frits Lugt (1884-1970), lui-même grand connaisseur des dessins de Rembrandt. Considérant ce groupe de dessins comme capital, Lugt les conserva séparément de ses autres feuilles néerlandaises du XVIIe siècle, dans des albums spéciaux réservés à Rembrandt et son école.
Lugt s’est intéressé dès son plus jeune âge à Rembrandt et continua d’admirer son œuvre tout au long de sa vie, étudiant et collectionnant inlassablement ses dessins et ses estampes. C’est en 1899, à l’âge de 15 ans, qu’il achète sa première eau-forte de Rembrandt (bien qu’il s’agisse d’un tirage posthume). En 1918, il réussit à acquérir deux des sept lettres connues de l’artiste. Et un an plus tard, il fait entrer dans sa collection le premier dessin de Rembrandt. Cette feuille, Intérieur avec Saskia au lit (ill. 1), est aujourd’hui l’une des œuvres phares de la collection. Lugt avait lui-même noté à son propos : « Rembrandt a maintes fois dessiné sa Saskia malade ou en couches dans son lit, mais aucun de ces dessins n’a été réalisé avec autant de dévotion et de soin que celui-ci. L’effet obtenu est celui d’une petite peinture. »
Spécialiste des dessins et estampes de Rembrandt, Lugt est l’auteur de quelques publications essentielles, une notamment portant sur les dessins de paysage du maître (Wandelingen met Rembrandt in en om Amsterdam, 1915), ainsi que le catalogue des dessins de Rembrandt au musée du Louvre à Paris publié en 1933. Cependant, il n’a jamais établi le catalogue de sa propre collection.
Catalogue de Peter Schatborn
On doit au spécialiste des dessins de Rembrandt Peter Schatborn d’avoir étudié et publié en 2010 le groupe de dessins dans un important catalogue en deux volumes : Rembrandt and his circle. Drawings in the Frits Lugt Collection. C’est ce catalogue qui constitue le socle des informations sur les dessins regroupés dans notre base de données de la collection en ligne.
Le catalogue de Schatborn contient 165 feuilles, parmi lesquelles figurent pas moins de 21 dessins de la main de Rembrandt. Schatborn proposa un ou deux changements d’attribution concernant le maître, notamment en donnant à Rembrandt, sur la base de critères stylistiques, le dessin d’un Vieil homme assis que Frits Lugt pensait être de Salomon Koninck (1609-1656) (ill. 2).
Les autres numéros se rapportent à des dessins de ses élèves et d’artistes de son entourage. En 2010, un choix délibéré a été fait de manière à obtenir une large sélection, ne limitant pas à l’école de Rembrandt, mais incluant également des feuilles de ses prédécesseurs immédiats (appelés pré-rembranesques), de son cercle, et même quelques copies, reprenant pour une large partie les classements opérés par Lugt dans ses albums susmentionnés. Dans deux cas cependant, la sélection a davantage suivi les artistes référencés par Werner Sumowski dans ses dix volumes sur les dessins de l’école de Rembrandt (1979-1992). En effet, bien que Lugt ait classé les dessins d’Abraham Rutgers (vers 1632-1699) parmi ses albums de l’école de Rembrandt – même s’il ne fut pas un élève du maître – ceux-ci n’ont pas été inclus par Sumowski et Schatborn. Les dessins de Roelant Roghman (1627-1692), qui n’était pas non plus un élève de Rembrandt mais un de ses amis, ont en revanche été publiés par Sumowski et Peter Schatborn (tandis que Lugt ne rangeait pas les dessins de Roghman parmi ses albums de l’école de Rembrandt).
Dans son catalogue, Schatborn propose pour la première fois des attributions pour un grand nombre de dessins jusqu’alors répertoriés comme anonymes ou appartenant à l’école de Rembrandt. Ces attributions ne sont pas toutes définitives et plusieurs hypothèses avancées par Schatborn continuent d’être débattues, en particulier un ensemble de dessins appartenant au groupe dit des « pseudo Victors », appelé ainsi car plusieurs historiens de l’art ont cru y reconnaître la main de Jan Victors (1619-1676). D’autres attributions ont été proposées depuis, surtout celles de Nicolaes Maes (1634-1693) et de son beau-fils Justus de Gelder (1650-après 1707). La Fondation Custodia conserve cinq dessins de ce groupe (ill. 3). Peter Schatborn les a publiés en 2010 comme étant de la main de Justus de Gelder (inv. 866, 6694, 1971-T.28, 5198, 6963), mais dans le récent catalogue de l’exposition Nicolaes Maes de 2020, Marijn Schapelhouman estime que le groupe de dessins pourrait être l’œuvre du jeune Maes.
Collection Online
Ces publications et attributions récentes ont permis de mettre à jour les informations fournies par le catalogue de Schatborn dans la base de données de notre collection. Nous nous sommes efforcés d’être aussi complets que possible, en mentionnant les critiques du catalogue de Schatborn, car elles proposent parfois des attributions alternatives. Il est fait référence à d’autres publications importantes, telles le catalogue de 2018 de Holm Bever sur les dessins de l’école de Rembrandt conservés au Kupferstichkabinett de Berlin, quand un dessin de la Fondation Custodia est mentionné. Des renvois à certains catalogues en ligne sont également inclus, notamment la version révisée du catalogue raisonné des dessins de Rembrandt par Benesch établi par Martin Royalton-Kisch, entreprise en 2012 et toujours en cours. C’est aussi le cas des catalogues en ligne sur lesquels le Rijksmuseum travaille activement, à savoir Drawings by Rembrandt and his School in the Rijksmuseum (une mise à jour du catalogue de Peter Schatborn de 1985), et Dutch Drawings of the Seventeenth Century in the Rijksmuseum. Les notices de ces catalogues en ligne contiennent désormais des liens vers la base de données de la Fondation Custodia lorsqu’un dessin de notre fonds est cité.
En ce qui concerne les publications plus anciennes, les fiches comprennent une bibliographie sélective. Le cas échéant, les numéros Benesch et Sumowski des dessins sont indiqués, puisqu’il est devenu habituel de les utiliser comme référence pour les dessins de Rembrandt (Benesch) et de son école (Sumowski).
Pour finir, il nous a été possible d’apporter quelques menues corrections après avoir réexaminé une nouvelle fois les dessins eux-mêmes. Ainsi, conformément aux catalogues en ligne du Rijksmuseum, nous avons établi une distinction entre les dessins sur papier préparé (avec un enduit de type gesso) et le papier teinté de lavis d’encre de couleur. Rembrandt a utilisé du papier teinté de lavis brun clair pendant la seconde moitié des années 1630 et certains de ses élèves semblent avoir employé la même technique de temps à autre. L’application du lavis sur le papier est cependant souvent très subtile et difficilement vérifiable, tant elle est difficile à distinguer même sous grossissement.
Nous avons également réétudié les inscriptions sur les dessins, car de nouvelles découvertes ont été faites depuis la publication de notre base de données de référence sur les marques de collections d’estampes et de dessins, www.marquesdecollections.fr. En particulier, un numéro inscrit dans le coin inférieur droit d’un dessin de Gerbrand van den Eeckhout (1621-1674), Moïse piétinant la couronne du Pharaon (ill. 4), a été identifié comme correspondant à celui associé au célèbre collectionneur français Pierre Crozat (1665-1740). La numérotation (inscrite dans notre base de données des marques de collections sous Lugt 3612) et la prestigieuse provenance qu’elle indique ont maintenant été précisées.
De manière générale, un regard neuf a été porté sur les provenances lorsqu’il y avait des doutes concernant leur exactitude. Par exemple, un dessin de Rembrandt, Une femme volant dans la poche d’un ivrogne (inv. 5993), était supposé provenir de la collection de Francis Seymour Haden (1818-1910), mais un autre dessin, conservé au musée du Louvre à Paris (inv. RF 4731,) correspond en réalité davantage à la description de la vente Haden de 1891.
Nous espérons que la publication en ligne de notre fonds de dessins de Rembrandt et son cercle contribuera à de futurs travaux de recherche et de nouvelles découvertes. Dans les années à venir, nous continuerons d’enrichir notre base de données d’autres œuvres d’art. Actuellement, nous préparons la publication des eaux-fortes de Rembrandt, prévue pour la fin du mois de mars, des dessins français du XIXe siècle, des tableaux de maîtres anciens flamands et hollandais et d’une partie de notre collection de lettres et de manuscrits d’artistes (autographes français datant du XIVe au XVIIe siècle).
Rhea Sylvia Blok
Trésors de la Fondation Custodia
La série de reportages Trésors de la Fondation Custodia met à l’honneur les œuvres des collections de la Fondation, présentées par ses conservateurs et bibliothécaires. Trois vidéos sont à découvrir.
Laurence Lhinares, conservateur, a choisi de parler d’un ensemble consacré à Louis Albert Guislain Bacler d’Albe (1761-1824), le cartographe de Napoléon.
Ce dossier, acheté par la Fondation Custodia en 1999, a été constitué par Louis Philippe Joseph Girod de Vienney, baron de Trémont. Ancien conseiller d’état et préfet de l’Empire, il possédait une collection d’autographes considérée comme l’une des plus importantes de l’époque.
Le dossier est composé en premier lieu d’une lettre datée du 1er octobre 1808, écrite par Bacler d’Albe et adressée à Dominique Vivant Denon (1747-1825), alors directeur du musée du Louvre. Bacler d’Albe y évoque son tableau Napoléon visitant les bivouacs de l’armée française à la veille de la bataille d’Austerlitz.
Aux côtés de cette lettre, le dossier comporte un portrait gravé de Bacler d’Albe par Godefroy Engelmann, d’après Charles-Étienne Le Guay, ainsi qu’un petit dessin (7 sur 11 cm) de la main de Bacler d’Albe, très différent des autres œuvres graphiques que nous connaissons du peintre.
Dans la deuxième vidéo, Cécile Raymond, assistante bibliothécaire, met en lumière les catalogues de marchands qui sont consultables par tous au quatrième étage de l’hôtel Lévis-Mirepoix, à la bibliothèque de la Fondation Custodia.
Parmi les milliers d’ouvrages consacrés à l’histoire de l’art conservés à la bibliothèque, la Fondation Custodia possède une importante collection de catalogues de marchands (près de 700 maisons différentes). Ces documents sont édités par les marchands d’art eux-mêmes, parfois au moment d’une exposition, afin de donner un descriptif à leurs clients des œuvres qu’ils proposent à la vente.
Dans ces catalogues, ils diffusent leurs recherches dans des notices complètes, avec des notes bibliographiques, constituant une source d’information considérable sur ces œuvres. Depuis quelques années ces catalogues ont été réorganisés et complétés à la bibliothèque. Ils sont au fur et à mesure signalés dans le SUDOC (catalogue collectif des bibliothèques de recherche françaises) et sont ainsi plus visibles et accessibles lors des recherches des lecteurs. On peut les consulter à la bibliothèque de la Fondation Custodia sur rendez-vous.
Qui était donc cette Margaret Lemon représentée dans le portrait miniature du XVIIe siècle conservé à la Fondation Custodia ? Habillée de vêtements d’homme, elle nous fixe de son regard altier et intrigue depuis longtemps les historiens.
Célèbre beauté londonienne, maîtresse du grand peintre Van Dyck alors au sommet de sa carrière, cette jeune femme nous est décrite par les sources du XVIIe siècle comme dangereuse et très libre. La collection de la Fondation Custodia préserve en tout cinq portraits de Margaret Lemon et de récentes découvertes sur la destinée tragique de cette fougueuse égérie éclairent ces œuvres d’un nouveau jour.
Cette vidéo présentée par Cécile Tainturier vous invite à en apprendre davantage.
Bibliothèque : les artistes et la nature, les voyages et les paysages
Notre fondateur Frits Lugt s’est promené autour d’Amsterdam pour voir où Rembrandt aurait pu dessiner sur le vif des paysages, des fermes, des polders. Sortir, voyager, une activité presque proscrite ces derniers temps. Pendant cette période l’équipe de la bibliothèque a continué d’acquérir des livres, des périodiques et des catalogues, pour que les conservateurs de la Fondation puissent faire leur travail de recherche, d’écriture, de préparation des expositions. Heureusement, depuis le printemps 2021 la bibliothèque est de nouveau ouverte aux lecteurs externes, sur rendez-vous. Voici une petite sélection des récentes arrivées. On s’est laissé inspirer par l’exposition Sur le motif. Peindre en plein air 1780-1870.
McConkey nous emmène à travers le monde pour montrer comment des voyageurs britanniques, équipés d’appareils photo et de toiles, ont créé des œuvres d’art commémorant des scènes et des expériences en Europe du Sud, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Inde et au Japon. Il nous présente une génération de peintres, formés dans des académies et des colonies d’artistes en Europe qui ont servi de berceau à ceux qui allaient explorer la vie et le paysage plus loin. Richement illustré, le livre enquête sur un large éventail d’artistes, dont Frank Brangwyn, Mary Cameron, Alfred East, John Lavery, Arthur Melville et Mortimer Menpes.
Né à Alexandrie en 1834 et mort à Rome à l’aube du 20e siècle, Pietro Sassi, peintre de paysages, est resté à ce jour un artiste « presque inconnu ». Grâce à une recherche minutieuse dans les archives, à la découverte de nombreuses œuvres inédites et à la collaboration des descendants, qui ont mis à disposition des documents, des photographies d’époque et les carnets de travail de l’artiste, Monica Tomiato reconstitue et contextualise son activité, depuis ses débuts dans son Piémont natal jusqu’au moment final de son séjour de plus de trente ans à Rome.
La collection privée de Pal Gundersen contient le plus grand ensemble d’œuvres de Peder Balke au monde. Dans ce catalogue, Knut Ljøgodt retrace la vie de cet artiste norvégien et nous fait voyager à travers les sublimes paysages du grand Nord.
Dreber est formé par Ludwig Richter à l’Académie de Dresde. En 1843, un héritage lui permet de voyager en Italie. Après avoir séjourné au lac de Garde, à Venise et à Florence, il s’installe à Rome. La Ville éternelle et ses environs, la Campagna Romana, les monts Alban et les monts Sabines, l’ont tellement captivé qu’il y a passé presque toute sa vie. Dreber a étudié la nature de manière intensive en tant que dessinateur, mais n’a jamais peint sur le motif. Thomas Herbig nous fait découvrir cet œuvre graphique.
Les catalogues des marchands constituent un fonds important à la bibliothèque, comme vous pouvez le voir dans cette vidéo sur notre site web. Guy Peppiat et Sarah Hobrough nous font voyager dans l’Angleterre du 19e siècle, grâce au catalogue de l’exposition de tableaux, de dessins et d’aquarelles d’artistes de l’École de Bristol, qui était également à l’honneur au Musée des Beaux-arts de Bordeaux l’été dernier.
L’Association Pour les Études Nordiques, qui siège à l’Université de Strasbourg, publie la revue thématique annuelle Deshima. Dans ce dernier numéro, Géographie et imaginaires, vous pouvez consulter entre autres un texte de Margot Damiens sur les récits de voyage sur l’île de Rügen autour de 1800 ou l’article de Francesca Fabbri, Adele Schopenhauer. La communauté danoise à Rome et les paysages du Nord.
Nouvelle publication
Peter Vos. 333 Oiseaux
Les oiseaux ont exercé de tout temps une attraction sur les hommes, qui ont cherché à reproduire leur apparence. L’artiste néerlandais Peter Vos (1935–2010) était fasciné par les oiseaux et il tenait des journaux d’oiseaux dans lequel il notait les volatiles qu’il croisait sur son chemin et les reproduisait à la plume, à l’encre et à l’aquarelle. Cependant, 333 Oiseaux est tout sauf un carnet de croquis ; c’était un projet, une commande faite à soi-même : remplir un livre vierge de 333 oiseaux dessinés du mieux possible. Vos y a travaillé pendant dix-huit mois – de juin 1980 à décembre 1981. Il allait d’abord au zoo pour faire des études sur le vif, qu’il reprenait quelques jours plus tard dans les pages du livre.
Avec sa mise en page savamment pensée et les noms latins, Vos renvoie aux guides de terrain et livres illustrés du XIXe siècle. Toutefois, contrairement à ces derniers, il ne cherche pas à dessiner l’espèce, mais l’individu. Les plumes en désordre ne sont pas arrangées, telle posture incongrue n’est pas corrigée et un œil aveugle est noté comme le reste. Les dessins de Peter Vos sont les récits de ses rencontres avec un oiseau particulier. Nous devons regarder 333 Oiseaux comme une déclaration d’amour à ses amis ailés, qu’il nous présente en un long défilé dans toute leur splendeur et dans toutes leurs spécificités.
Fac-similé d’un livre d’esquisses de Peter Vos Livret avec textes introductifs de Jan Piet Filedt Kok, Ger Luijten et Siegfried Woldhek
Peter Vos. 333 Oiseaux Bussum, Uitgeverij THOTH et Paris, Fondation Custodia, 2021 2 volumes : fac-similé 320 pages | livret 95 pages, 350 illustrations en couleur, 19,5 × 11,5 cm, brochés, en français (aussi disponible en anglais et néerlandais) ISBN 978 90 6868 844 3 44,95 €