122. Arie Schippers

Né à Rotterdam en 1952

Sans titre, vers 1997

Dès son arrivée à la direction de la Fondation Custodia en 2010, Ger Luijten consacra une partie de la programmation d’expositions aux artistes contemporains, essentiellement néerlandais. Cette politique d’expositions s’est faite dans la continuité de ses prédécesseurs1.

Ces artistes, essentiellement dessinateurs et graveurs, ne s’illustrent pas dans l’art abstrait, conceptuel ou minimaliste. Ils s’inscrivent au contraire dans une tradition : pour la plupart d’entre eux, leur travail fait écho aux œuvres de la collection Frits Lugt. Ger Luijten décrivait ces expositions « comme l’aboutissement de mon travail au Rijksmuseum », lui qui avait passé quinze ans auprès des artistes contemporains pour constituer des fonds représentatifs de leurs carrières pour le Rijksprentenkabinet d’Amsterdam2. Arie Schippers a pu être découvert par le public parisien en 2015 à l’occasion d’une telle rétrospective3.

Dessinateur, peintre, sculpteur, Schippers se dédie intensément à un style, une thématique, un médium, avant de tourner la page, souvent pour toujours. Celui dont Ger Luijten écrivait qu’il avait un « œil si pénétrant4 » a tour à tour produit des paysages à la manière d’Ingres dans le trait, mais très contemporains par leurs sujets5, des portraits imaginaires – bustes sculptés inspirés de personnages historiques et littéraires –, des portraits de groupe espagnols qu’il surnomme ses « rêves », sortes de paraphrases de Goya ou Velázquez6, ou encore des fantaisies animalières colorées qu’il appelle ses « fables ». Notre dessin appartient à cette dernière catégorie.

Si Arie Schippers a reçu une formation de peintre classique à la Rijksakademie van Beeldende Kunsten (Académie royale des Beaux-Arts) d’Amsterdam de 1972 à 1978, il entretient une relation d’amour-haine avec cette tradition académique, contrebalancée par un puissant sens de l’imagination7. Ses fables animalières en sont un parfait exemple. Alors qu’il s’installa en 1995 dans le zoo Artis d’Amsterdam et passa plusieurs années à remplir des carnets de croquis d’animaux réalisés d’après nature, il commença à produire en alternance ces œuvres de pure fantaisie. On découvre dans ces mêmes carnets ses premières fables, des scènes imaginaires stylisées ayant pour protagonistes des animaux. Présentant un caractère édénique, elles dépeignent pour beaucoup des prédateurs et leurs proies dans des scènes hautes en couleurs.

Notre dessin8 figure dans un grand format à l’acrylique deux canidés, probablement des dingos d’Australie, au pied d’un arbre où sont perchés sept corbeaux. Cela rappelle irrésistiblement une illustration de conte ou de livre pour enfants. Cette œuvre n’a pas été exécutée d’après un modèle : à force de dessiner les locataires du zoo, Schippers a, selon ses dires, « intériorisé l’animal »9. Peignant rapidement, distribuant les couleurs à grands coups de brosse, il a ainsi créé une image très forte, entre réalité et onirisme.

Juliette Parmentier-Courreau

1Nombredes artistes mis en avant par Ger Luijten avaient déjà exposé leurs œuvres dans les salles du 121 rue de Lille, avec des expositions organisées par l’Institut Néerlandais : Frans Pannekoek (né en 1937, voir cat. 120) en 1970, où Frits Lugt lui-même s’enthousiasma de ses œuvres  ; Charles Donker (né en 1940, voir cat. 125) en 1973 avec le cercle de gravure De Luis, en 1975 seul, en 1979 avec Pannekoek  ; Peter Vos (1935–2010, voir cat. 127) en 1973 avec De Luis, en 1979 avec d’autres artistes  ; Marian Plug (née en 1937, voir cat. 118) en 1977  ; Anna Metz (née en 1939, voir cat. 126) en 1980. Carlos van Hasselt (1929–2009), directeur de la Fondation Custodia de 1970 à 1994, a commencé à acquérir des œuvres de ces artistes pour la collection Frits Lugt à l’occasion de ces expositions : de Donker dès 1973, de Vos également dès 1973, de Pannekoek pour sa collection personnelle qu’il offrit à la Fondation en 1994. Mària van Berge-Gerbaud, directrice de 1994 à 2010, continua d’enrichir la collection d’œuvres de Donker et Pannekoek et prit l’initiative de l’exposition et du catalogue sur Pannekoek de 2011. Une première œuvre de Jakob Demus (né en 1959, voir cat. 119) rejoignit encore la collection en 2001.

2Entretien avec Ger Luijten, «  Le paysage hollandais d’aujourd’hui dans la lignée de Seghers et Rembrandt  », dans Guy Boyer, Figurations. Un autre art d’aujourd’hui, cat. exp. Yerres (Maison Caillebotte), 2023, p. 84. Voir également : Erik Desmazières, «  Ger Luijten et les artistes d’aujourd’hui  », Nouvelles de l’estampe, n° 269, 2023.

3Gijsbert van der Wal, avant-propos de Ger Luijten, Tussen notitie en droom. Werk op papier van Arie Schippers / Entre notation et rêve. L’œuvre sur papier d’Arie Schippers, cat. exp. Paris (Fondation Custodia), 2014-2015.

4Ger Luijten dans Van der Wal 2014-2015, op. cit. (note 3), p. 5.

5Ger Luijten disait de ces paysages qu’ils étaient réalisés «  avec ce trait pur, fin et précis qu’on prête volontiers à Ingres, mais un Ingres d’aujourd’hui, vivant aux Pays-Bas, notant sur le vif des voitures garées le long d’une digue, des baraques de chantier, toute une variété d’architectures à peine séduisantes  », dans Van der Wal 2014-2015, op. cit. (note 3), p. 6 («  Avant-propos  »).

6Van der Wal 2014-2015, op. cit. (note 3), p. 34-37.

7«  Pour se libérer de l’enseignement académique, Schippers cherche donc son salut dans l’imaginaire. Et quand l’imaginaire ne suffit plus, il trouve refuge dans une discipline artistique totalement différente.  », Van der Wal 2014-2015, op. cit. (note 3), p. 19.

8À sa manière habituelle, Schippers n’a pas donné de titre officiel à cette œuvre  ; voir Stefan Kuiper, Arie Schippers. Mens wordt hond, cat. exp. Kampen (Stedelijk Museum Kampen), 2019, p. 6.

9Van der Wal 2014-2015, op. cit. (note 3), p. 27-28. On peut comparer notre œuvre à plusieurs dessins et peintures reproduits dans ce catalogue, représentant des lycaons, autre canidé mais dont certaines postures sont similaires et peuvent être inspirées de tels croquis  ; voir notamment p. 121 les pages de carnet : Lycaon, 5 août 1996, crayon graphite, 296 × 208 mm et Lycaon, 1996, crayon graphite, 300 × 200 mm. La première feuille propose des études de têtes de canidés allongés, la seconde présente un canidé assis de dos qui rappelle celui de notre œuvre. Voir encore les études à l’huile sur toile reproduites p. 24-25 de ce même catalogue.