Accueil Catalogues en ligne Enfants du Siècle d’or 28. Nicolaes Maes Dordrecht 1634 – 1693 Amsterdam Portrait d’une fillette avec un chevreuil, vers 1675 L’identité de cette charmante Boucle d’or n’est aujourd’hui plus connue, mais il y a une certitude : la fillette venait d’une famille aisée, sans doute de patriciens d’une des grandes villes de la riche province de Hollande. En témoigne le costume de fantaisie inspiré des élégants portraits de cour français dont la mode avait déferlé dans la République à partir des années 16501, et dont le goût n’allait pas faiblir alors même que les attaques de Louis XIV contre les Pays-Bas s’intensifiaient dans les années 1670. Le peintre Nicolaes Maes se fit une spécialité de ce type d’effigies à la fin de sa carrière. Il l’avait débutée dans l’atelier de Rembrandt, dont il fut l’un des meilleurs élèves. Ses premières œuvres sont très marquées par son apprentissage auprès du maître. De retour dans sa ville natale de Dordrecht, Maes peint d’abord des tableaux de genre et d’histoire ainsi que des portraits caractérisés par un clair-obscur rembranesque. À mesure qu’il avance dans sa carrière, sa palette s’éclaircit et s’égaie de couleurs vives. Ce tournant stylistique, qui a porté certains historiens de l’art du XIXe siècle à croire qu’il existait deux peintres du même nom, s’accentue encore lorsque Maes revient s’installer à Amsterdam en 1673. Selon le biographe Arnold Houbraken (1660-1719), ce sont ses clientes qui instillèrent ce changement dans le coloris du peintre car « il avait bien noté que les jeunes femmes en particulier appréciaient plus le blanc que le brun »2. Que Maes ait été à l’écoute de ses modèles ou qu’il ait développé un nouveau type de portraits qui plut particulièrement aux familles de l’élite d’Amsterdam, le fait est que la production du peintre augmente alors considérablement et qu’il dut probablement être à la tête d’un atelier important. On estime à environ 900 tableaux sa production3 et Maes est célèbre et très fortuné à la fin de sa carrière. Comme le prouve le tableau de Johannes Mijtens présenté dans l’exposition (cat. 30), l’attrait pour les portraits dans des décors champêtres s’était déjà développé dès les années 1640 dans les Pays-Bas du Nord, notamment à la cour du stathouder et dans les milieux aristocratiques sensibles à l’art d’Anthony van Dyck (1599-1641). Nicolaes Maes en fera cependant une caractéristique de ses portraits tardifs avec leur mise en scène pastorale. C’est le cas de notre fillette blonde qui est présentée, dans un paysage boisé au crépuscule, accompagnée d’un chevreuil. Elle récolte l’eau d’une fontaine dans une coquille, motif que Maes emploie fréquemment lorsqu’il peint des enfants. L’eau de la source symbolise peut-être la pureté de l’âme humaine et donc du jeune modèle4. Quant au coquillage, il fait sans doute allusion à Granida, pièce de théâtre écrite en 1615 par Pieter Cornelisz. Hooft (1581-1647), fort célèbre au XVIIe siècle, contant les amours de la princesse Granida et du berger Daïfilo. À l’acte I, l’héroïne assoiffée qui s’est égarée dans les bois reçoit du jeune homme un coquillage rempli de l’eau d’une source. De nombreux peintres hollandais ont représenté Granida – parfois dans des portraits historiés – tenant une coquille pour se désaltérer. Ce motif devait donc dénoter le contexte pastoral pour les spectateurs du XVIIe siècle. Enfin, le chevreuil qui accompagne la fillette est également un élément récurrent de ces effigies d’enfants produites par Maes et contribue encore à l’atmosphère bucolique de ces représentations5. CT 1Voir notamment Wayne Franits, « Young women preferred white to brown : Some remarks on Nicolaes Maes and the cultural context of late seventeenth-century Dutch portraiture », Nederlands Kunsthistorisch Jaarboek, 46 (1995), p. 394-415. 2« […] hy […] wel zag dat inzonderheit de jonge Juffrouwen meer behagen namen in het wit dan in ’t bruin », Arnold Houbraken, De Groote Schouburg der Nederlandsche Konstschilders en Schilderessen, 3 vols., Amsterdam, 1718-1721 et La Haye, 1753, vol. I, p. 174. Voir aussi Franits, op. cit., p. 395. 3Krempel, op. cit., p. 38, 40. 4Voir Jan Baptist Bedaux dans Kinderen op hun mooist. Het kinderportret in de Nederlanden 1500-1700, cat. exp., Haarlem, Frans Hals Museum, Anvers, Musée royal des beaux-arts, 2000, p. 284, sous n° 81. 5Pour J. B. Bedaux, ibid., ces chevreuils seraient au contraire un symbole de la sexualité naissante des enfants qu’il conviendrait de brider par l’éducation. L’auteur cite en effet Karel van Mander qui affirme dans le Livre des peintres que « la femelle du chevreuil auprès d’une source symbolise un ardent désir » (« de Hinde by een Borne / beteeckent vyerighe gegheerte », ma traduction). Karel van Mander, Het Schilderboeck, Haarlem, 1604, fol. 128 verso. 6La signature correspond à la quatrième forme répertoriée par L. Krempel, celle utilisée par le peintre à partir des années 1670 (« Monogrammtypus ») ; Léon Krempel, Studien zu den datierten Gemälden des Nicolaes Maes (1634-1693), Petersberg, 2000, p. 28. 7L’exemplaire du catalogue de la vente Mersch conservé à la Bibliothèque nationale de France porte dans la marge du lot la mention manuscrite « 3 200 / Montaignac ». Hofstede de Groot 1907-1927 donne le même acquéreur (et prix d’achat). Il s’agit probablement d’Isidore Montaignac, expert actif en ventes publiques à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. 8Fiche Hofstede de Groot n° 1298302 sur le site du RKD : https://rkd.nl/nl/explore/excerpts/record?query=1298302&start;=0.
L’identité de cette charmante Boucle d’or n’est aujourd’hui plus connue, mais il y a une certitude : la fillette venait d’une famille aisée, sans doute de patriciens d’une des grandes villes de la riche province de Hollande. En témoigne le costume de fantaisie inspiré des élégants portraits de cour français dont la mode avait déferlé dans la République à partir des années 16501, et dont le goût n’allait pas faiblir alors même que les attaques de Louis XIV contre les Pays-Bas s’intensifiaient dans les années 1670. Le peintre Nicolaes Maes se fit une spécialité de ce type d’effigies à la fin de sa carrière. Il l’avait débutée dans l’atelier de Rembrandt, dont il fut l’un des meilleurs élèves. Ses premières œuvres sont très marquées par son apprentissage auprès du maître. De retour dans sa ville natale de Dordrecht, Maes peint d’abord des tableaux de genre et d’histoire ainsi que des portraits caractérisés par un clair-obscur rembranesque. À mesure qu’il avance dans sa carrière, sa palette s’éclaircit et s’égaie de couleurs vives. Ce tournant stylistique, qui a porté certains historiens de l’art du XIXe siècle à croire qu’il existait deux peintres du même nom, s’accentue encore lorsque Maes revient s’installer à Amsterdam en 1673. Selon le biographe Arnold Houbraken (1660-1719), ce sont ses clientes qui instillèrent ce changement dans le coloris du peintre car « il avait bien noté que les jeunes femmes en particulier appréciaient plus le blanc que le brun »2. Que Maes ait été à l’écoute de ses modèles ou qu’il ait développé un nouveau type de portraits qui plut particulièrement aux familles de l’élite d’Amsterdam, le fait est que la production du peintre augmente alors considérablement et qu’il dut probablement être à la tête d’un atelier important. On estime à environ 900 tableaux sa production3 et Maes est célèbre et très fortuné à la fin de sa carrière. Comme le prouve le tableau de Johannes Mijtens présenté dans l’exposition (cat. 30), l’attrait pour les portraits dans des décors champêtres s’était déjà développé dès les années 1640 dans les Pays-Bas du Nord, notamment à la cour du stathouder et dans les milieux aristocratiques sensibles à l’art d’Anthony van Dyck (1599-1641). Nicolaes Maes en fera cependant une caractéristique de ses portraits tardifs avec leur mise en scène pastorale. C’est le cas de notre fillette blonde qui est présentée, dans un paysage boisé au crépuscule, accompagnée d’un chevreuil. Elle récolte l’eau d’une fontaine dans une coquille, motif que Maes emploie fréquemment lorsqu’il peint des enfants. L’eau de la source symbolise peut-être la pureté de l’âme humaine et donc du jeune modèle4. Quant au coquillage, il fait sans doute allusion à Granida, pièce de théâtre écrite en 1615 par Pieter Cornelisz. Hooft (1581-1647), fort célèbre au XVIIe siècle, contant les amours de la princesse Granida et du berger Daïfilo. À l’acte I, l’héroïne assoiffée qui s’est égarée dans les bois reçoit du jeune homme un coquillage rempli de l’eau d’une source. De nombreux peintres hollandais ont représenté Granida – parfois dans des portraits historiés – tenant une coquille pour se désaltérer. Ce motif devait donc dénoter le contexte pastoral pour les spectateurs du XVIIe siècle. Enfin, le chevreuil qui accompagne la fillette est également un élément récurrent de ces effigies d’enfants produites par Maes et contribue encore à l’atmosphère bucolique de ces représentations5. CT 1Voir notamment Wayne Franits, « Young women preferred white to brown : Some remarks on Nicolaes Maes and the cultural context of late seventeenth-century Dutch portraiture », Nederlands Kunsthistorisch Jaarboek, 46 (1995), p. 394-415. 2« […] hy […] wel zag dat inzonderheit de jonge Juffrouwen meer behagen namen in het wit dan in ’t bruin », Arnold Houbraken, De Groote Schouburg der Nederlandsche Konstschilders en Schilderessen, 3 vols., Amsterdam, 1718-1721 et La Haye, 1753, vol. I, p. 174. Voir aussi Franits, op. cit., p. 395. 3Krempel, op. cit., p. 38, 40. 4Voir Jan Baptist Bedaux dans Kinderen op hun mooist. Het kinderportret in de Nederlanden 1500-1700, cat. exp., Haarlem, Frans Hals Museum, Anvers, Musée royal des beaux-arts, 2000, p. 284, sous n° 81. 5Pour J. B. Bedaux, ibid., ces chevreuils seraient au contraire un symbole de la sexualité naissante des enfants qu’il conviendrait de brider par l’éducation. L’auteur cite en effet Karel van Mander qui affirme dans le Livre des peintres que « la femelle du chevreuil auprès d’une source symbolise un ardent désir » (« de Hinde by een Borne / beteeckent vyerighe gegheerte », ma traduction). Karel van Mander, Het Schilderboeck, Haarlem, 1604, fol. 128 verso. 6La signature correspond à la quatrième forme répertoriée par L. Krempel, celle utilisée par le peintre à partir des années 1670 (« Monogrammtypus ») ; Léon Krempel, Studien zu den datierten Gemälden des Nicolaes Maes (1634-1693), Petersberg, 2000, p. 28. 7L’exemplaire du catalogue de la vente Mersch conservé à la Bibliothèque nationale de France porte dans la marge du lot la mention manuscrite « 3 200 / Montaignac ». Hofstede de Groot 1907-1927 donne le même acquéreur (et prix d’achat). Il s’agit probablement d’Isidore Montaignac, expert actif en ventes publiques à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. 8Fiche Hofstede de Groot n° 1298302 sur le site du RKD : https://rkd.nl/nl/explore/excerpts/record?query=1298302&start;=0.