Un mot d’introduction

Il n’a sans doute pas échappé à ceux qui reçoivent cette lettre d’information qu’il s’est écoulé deux ans depuis sa dernière parution. En effet, après le choc du décès tout à fait inattendu de notre directeur Ger Luijten, en décembre 2022, s’est ouverte une période difficile pour la Fondation Custodia, pendant laquelle la continuité de l’ensemble de ses activités courantes n’a pas toujours pu être assurée.

Ger Luijten montre des estampes dans l’hôtel Turgot, 2021

Le décès de Ger Luijten a mis fin abruptement à un brillant mandat, qui, pour le monde extérieur, s’est surtout matérialisé dans une impressionnante politique d’acquisitions et d’expositions, mais qui a aussi transformé en profondeur la Fondation Custodia. En succédant à Mària van Berge-Gerbaud en 2010, Ger s’est rapidement signalé dans le monde de l’art parisien par son approche énergique et novatrice. Sa personnalité charismatique et son talent pour la communication y ont contribué et la dissolution de l’Institut Néerlandais en 2013 a fait que ses activités ne se cachaient plus derrière la bannière de notre partenaire de la rue de Lille. Mais la carrière de Ger Luijten a connu de nombreuses autres facettes. Pour beaucoup, et notamment hors de France, il était avant tout considéré comme un phénoménal connaisseur de l’estampe, auteur de quelques-uns des meilleurs et des plus originaux catalogues d’exposition publiés sur le sujet, et éditeur scientifique de l’indispensable série Hollstein. Cette image reste surtout associée aux vingt années qu’il a passées comme conservateur, puis chef du Cabinet des arts graphiques du Rijksmuseum d’Amsterdam, bien qu’il ait ensuite mené une politique d’acquisition d’estampes tout aussi remarquable pour la Collection Frits Lugt.

« Tous ceux qui ont rencontré Ger ont très certainement gardé son souvenir gravé dans leur mémoire », a écrit Chris Stolwijk dans les premiers mots de son obituaire dans le RKD Bulletin. L’afflux de témoignages dans les premiers jours qui ont suivi son décès a confirmé le prestige dont jouissait Ger – parmi ses collègues, auprès des marchands d’art, comme conseiller, comme mentor, comme ami. Le quotidien NRC Handelsblad et l’hebdomadaire De Groene Amsterdammer ont consacré des articles à son décès, et dans Die Zeit, Florian Illies a magistralement résumé la capacité de Ger à plaire à n’importe quel public par la formule « Nie war alte Kunst so neu » (« Jamais l’art ancien n’aura paru si nouveau »). Plus tard en 2023, des articles commémoratifs rédigés par des collègues ont paru dans des revues spécialisées telles que The Burlington Magazine, Master Drawings, Print Quarterly, La Tribune de l’Art et les Nouvelles de l’Estampe.

  • Peter Hecht à l’Oude Lutherse Kerk, Amsterdam, le 4 mars 2023
  • Carel van Tuyll à la Maison de la Chimie, Paris, le 26 mars 2023

Peter Hecht, Huigen Leeflang, Gijsbert van der Wal, Klaas Teeuwisse, Taco Dibbits, Ilona van Tuinen, Arjan de Koomen, Carel van Tuyll van Serooskerken, Christophe Leribault, Jane Munro, Bob Haboldt, Cécile Tainturier et des membres de la famille de Ger ont pris la parole lors des deux commémorations du 4 mars à Amsterdam à l’Oude Lutherse Kerk et du 26 mars à la Maison de la Chimie à Paris. Des centaines d’intéressés étaient présents. Le Salon du Dessin, qui se tenait également en mars, a organisé en l’honneur de Ger une petite exposition de ses acquisitions faites à ce Salon, dans une salle séparée, tandis que la traditionnelle réception au musée du Louvre, la veille du vernissage, a aussi été conçue comme un hommage à Ger avec la présentation d’un florilège de dessins associés aux étapes de sa carrière. En sa mémoire, le Rijksmuseum a acquis quatre dessins uniques du peintre et dessinateur Adriaen de Weert et il en va de même pour une contribution privée dans l’achat d’un tableau de Berthe Morisot pour le Museum Boijmans Van Beuningen de Rotterdam. L’exposition De l’esquisse à l’étude au musée Plantin-Moretus d’Anvers lui a été dédié, tout comme l’ouvrage Listening to What You See. Selected Contributions on Dutch Art, que vient de publier Peter Hecht. Un numéro spécial de Simiolus sera publié en 2024 en l’honneur de Ger, qui fit partie du comité de rédaction de ce périodique pendant plus de trente ans. Les collaborateurs de Ger, y compris ceux qui ont depuis quitté la Fondation Custodia, préparent actuellement une exposition qui mettra en lumière sa politique d’acquisition par un choix parmi les milliers d’œuvres entrées dans la collection depuis sa nomination en 2010. Elle sera présentée rue de Lille du 27 avril au 7 juillet sous le titre Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten.

Nombreux sont les dons que notre institution a reçus en souvenir de Ger, de la part de marchands d’art avec lesquels il avait noué des relations privilégiées, mais aussi de particuliers qui ont souhaité rendre hommage à une amitié parfois fondée sur une seule rencontre inspirante. Je tiens ici à les remercier une nouvelle fois chaleureusement pour leur engagement auprès de la Fondation et la générosité avec laquelle ils ont enrichi nos collections. Les œuvres d’art concernées sont reprises dans une liste séparée ci-après dans cette newsletter.

Hans Buijs

Retour sur 2023

Fort heureusement, le programme des expositions pour l’année 2023 était déjà en grande partie établi.

Vue de l’exposition Dessins français du XIXe siècle
8 octobre 2022 – 8 janvier 2023
© Philip Provily

Le 8 janvier se sont terminées les deux expositions que Ger Luijten avait encore pu organiser dans leurs derniers détails : Dessins français du XIXe siècle et Léon Bonvin (1834-1866). Une poésie du réel. La première, mise sur pied avec son équipe de conservateurs, dressait un panorama de ce qui est devenu, au cours des dernières décennies, un domaine de collection de plus en plus important, et réunissait un nombre considérable de feuilles acquises par Ger lui-même. Certaines révélaient déjà son intention de constituer, à côté d’un panorama du paysage dessiné, un fonds de dessins de la figure humaine. Il n’a pas eu le temps de la concrétiser davantage.

Vue de l’exposition Léon Bonvin (1834–1866). Une poésie du réel
8 octobre 2022 – 8 janvier 2023
© Philip Provily

Consacrer une rétrospective au jeune Léon Bonvin (1834-1866), tragiquement et prématurément disparu, était une aspiration de Ger depuis qu’il avait découvert son œuvre raffiné et mélancolique au Walters Art Museum de Baltimore, où est conservé l’essentiel de son œuvre. Le projet a pris forme en étroite collaboration avec Gabriel P. Weisberg et son épouse Yvonne, connaisseurs de Bonvin de la première heure, encadré à la Fondation Custodia par Maud Guichané. Les deux expositions ont été accompagnées de solides publications scientifiques, comme c’est la tradition à la Fondation Custodia, la seconde ayant également donné lieu à une parution en anglais sous le titre Drawn to the Everyday. L’inclusion d’un catalogue raisonné en fait d’office un ouvrage de référence.

  • Affiche de l’exposition Créer. Dessiner pour les arts décoratifs, 1500-1900
    25 février – 14 mai 2023
  • Affiche de l’exposition Cabinet de dessins néerlandais. Le XVIIIe siècle
    25 février – 14 mai 2023

Présentées à partir du 24 février de l’année dernière, les deux expositions Créer. Dessiner pour les arts décoratifs, 1500-1900 et Cabinet de dessins néerlandais. Le XVIIIe siècle étaient consacrées au dessin ancien, toujours au cœur des activités de la Fondation Custodia. La première montrait près de deux cents feuilles dans le domaine des arts décoratifs du XVIe au XIXe siècle provenant de la collection du Rijksmuseum d’Amsterdam. Un ensemble unique, en grande partie rassemblé par Reinier Baarsen, conservateur émérite du musée, et décrit par ses soins dans le catalogue en anglais Process. Design Drawings from the Rijksmuseum 1500-1900. L’exposition, précédemment montrée au Design Museum Den Bosch, s’est surtout distinguée par son approche originale du sujet, qui s’attachait à établir la fonction réelle des dessins dans le processus de création.

Le fait que le Musée royal des Beaux-Arts de Bruxelles possède un splendide ensemble de dessins néerlandais du XVIIIe siècle, en partie déjà constitué au cours de ce même siècle, n’était connu que des initiés. Les quatre-vingts feuilles, pour la plupart inconnues, sélectionnées par le conservateur Stefaan Hautekeete pour le Cabinet de dessins néerlandais, toutes de grande qualité et remarquablement conservées, offraient un panorama complet de cette période encore négligée de l’art hollandais. L’exposition avait été présentée à Bruxelles en 2019 et au Rijksmuseum Twente à Enschede en 2020. Ger Luijten caressait depuis longtemps le souhait de la montrer à Paris, et elle accompagnait parfaitement l’exposition Créer. Quelques-uns des meilleurs spécialistes, emmenés par Stefaan Hautekeete, ont rédigé le catalogue Cabinet des plus merveilleux dessins. Dessins néerlandais du XVIIIe siècle issus des collections des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.

Vue de l’exposition Jacobus Vrel. Énigmatique précurseur de Vermeer
17 juin – 17 septembre 2023
© Philip Provily

Le 16 juin, l’exposition sur le peintre quasi inconnu du XVIIe siècle Jacobus Vrel, un projet commun de l’Alte Pinakothek de Munich, du Mauritshuis à La Haye et de la Fondation Custodia, put enfin être inaugurée. Après des années de recherches menées par une pléiade de spécialistes sous la supervision des initiateurs, Bernd Ebert, Quentin Buvelot et notre collègue Cécile Tainturier, le catalogue était en 2021 déjà imprimé en trois langues quand la pandémie de Covid est venue donner un coup d’arrêt aux projets d’exposition. Lorsque ceux-ci purent redémarrer, il s’avéra que l’Alte Pinakothek était contrainte de se retirer du projet. Le 16 février, l’exposition a ouvert ses portes à La Haye. Pour sa présentation parisienne, intitulée Jacobus Vrel. Énigmatique précurseur de Vermeer, elle a été considérablement enrichie, de sorte que la moitié de l’œuvre aujourd’hui connu, soit 22 peintures plus le seul dessin attribué à l’artiste, a pu être admirée rue de Lille. À travers un large choix de peintures, dessins et estampes de contemporains, les thèmes et motifs de Vrel ont également été mis en lumière et replacés dans un contexte plus large. L’événement a connu un grand succès et le catalogue, devenu un ouvrage de référence traitant de tous les aspects soulevés par le travail de l’artiste mystérieux, a été épuisé plusieurs semaines avant le dernier jour de l’exposition.

Au terme des recherches exhaustives qui ont précédé l’exposition, Vrel n’a pas voulu révéler beaucoup de ses secrets. Le dépouillement des archives n’a pas suffi à faire émerger de nouvelles données biographiques. Il a en revanche été possible de situer à Zwolle, aux Pays-Bas, certains bâtiments représentés dans ses vues de ville et d’affiner la datation de ses panneaux grâce à des recherches dendrochronologiques. Dans les derniers jours de l’exposition, les 10 et 11 septembre, un symposium organisé par CODART s’est tenu à la Fondation Custodia, qui a permis aux auteurs du catalogue et aux confrères intéressés de discuter des résultats des recherches devant les tableaux.

Rein Dool, Domaine Dordwijk, Dordrecht, 2015
Fusain sur papier oriental. – 700 × 970 mm
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2023-T.164
Don de Rein Dool et Jorien de Bruijn

Dans le même temps, le public parisien a pu découvrir l’artiste de Dordrecht Rein Dool (né en 1933) lors d’une rétrospective de son œuvre dessiné, présentée au Dordrechts Museum quelques mois aurapavant. Une version française du catalogue rédigé par Huigen Leeflang, conservateur au Rijksprentenkabinet d’Amsterdam et ami de longue date de l’artiste, fut publié à cette occasion sous le titre Rein Dool. Les dessins. Après l’exposition, la Collection Frits Lugt a reçu un don très généreux de l’artiste, une série de quinze dessins représentatifs de différentes périodes de sa carrière, dans autant de styles et de techniques. Ils ont été choisis avec lui par Huigen Leeflang et Rhea Sylvia Blok, qui, avec Juliette Parmentier-Courreau, était responsable de l’organisation de l’exposition à Paris. Le chef-d’œuvre de cet ensemble est certainement une des monumentales vues de parcs à Dordrecht exécutées au fusain, série à laquelle Dool travaille depuis 2013 et qui force l’admiration par sa technique qui frise la perfection.

Le catalogue raisonné de la collection méconnue de porcelaines asiatiques de la Fondation Custodia, datant principalement des XVIe et XVIIe siècles et acquise par Frits Lugt et son épouse, était en préparation depuis plusieurs années par de Christiaan J. A. Jörg, conservateur émérite du Groninger Museum et éminent expert en la matière. Pendant le « Printemps asiatique » en juin 2023, Chinese and Japanese Porcelain in the Frits Lugt Collection a pu enfin être présenté. Ouvrage de référence indispensable, la publication se distingue grâce à la photographie soignée des objets par Pascal et Catherine Faligot, et à la maquette originale de notre graphiste attitré Wigger Bierma. Le livre, dont le suivi éditorial a été fait par Maud Guichané, est dédié à la mémoire de Ger Luijten.

Christelle Téa signe son livre à la Fondation Custodia, le 12 décembre 2023

Depuis le printemps 2021, les collaborateurs de la Fondation Custodia ont eu maintes fois l’occasion de se trouver nez à nez avec la dessinatrice Christelle Téa, dans les endroits les plus inattendus, son grand carnet à dessin sur les genoux, reproduisant tous les coins de nos deux bâtiments. Son projet a donné lieu à quarante grands dessins, que Ger Luijten souhaitait dès le départ voir réunis dans une édition spéciale. Celle-ci est sortie juste avant Noël et les très nombreux admirateurs de l’artiste ont pu acquérir un exemplaire de Christelle Téa à la Fondation Custodia, avec une dédicace de sa main, généralement accompagnée d’un dessin réalisé ad hoc. Cette édition a pu voir le jour grâce aux bons soins de Maud Guichané, qui a réalisé avec Ger l’entretien introductif avec l’artiste.

Séminaire The Art of Drawing à la Fondation Custodia, juillet 2023

Du 2 au 7 juillet dernier s’est tenu rue de Lille le séminaire The Art of Drawing, qui a donné à une douzaine d’étudiants de troisième cycle d’universités néerlandaises et étrangères l’occasion de s’initier aux questions et aux problèmes spécifiquement liés à la recherche dans le domaine du dessin ancien. Organisée par l’Institut interuniversitaire néerlandais d’histoire de l’art à Florence (NIKI), en partenariat avec la Fondation Custodia, cette semaine d’étude, initialement prévue en janvier 2023, constituait le second volet d’un programme qui avait débuté à Florence au mois de septembre 2022. Sous la conduite de Gert Jan van der Sman, collaborateur scientifique du NIKI, et d’Arjan de Koomen, professeur associé à l’Université d’Amsterdam et membre du Conseil de notre Fondation, les étudiants ont pu participer à Paris à des présentations de la collection par les conservateurs de la Fondation Custodia et notre restauratrice Corinne Letessier, et croisaient les points de vue à partir d’études de cas. Ils furent également reçus par Jean-Gérald Castex et Dominique Cordellier au Département des Arts Graphiques du musée du Louvre et eurent droit à une visite préliminaire du fonds de dessins allemands réuni par Nicolas Schwed.

Acquisitions

Quelques jours avant sa mort, Ger Luijten était encore absorbé dans l’acquisition de nouvelles œuvres pour la collection. Certaines d’entre elles seront présentées dans le cadre de l’exposition Un œil passionné organisée ce printemps, mais un aperçu des activités de la Fondation Custodia au cours de la période récente ne serait pas complet si l’on n’en signalait pas quelques-unes.

  • 1. Harald Jerichau (Copenhague 1851 – 1878 Rome), Vue de la mer avec Capri au loin
    Huile sur panneau. – 22,3 × 37,8 cm
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2023-S.64
  • 2. George Garrard (Londres 1760 – 1826 Brompton), Hyde Park vu depuis la fenêtre de l’atelier de l’artiste à Knightsbridge, 1793
    Huile sur papier. – 16,3 × 19,9 cm
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2023-S.54
  • 3. Attribué à Antoine Chazal (Paris 1793 – 1854 Paris), Une citrouille
    Huile sur toile. – 31,8 × 38 cm
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2023-S.25

Avec une vue lumineuse du golfe de Naples avec l’île de Capri du jeune Danois Harald Jerichau (1851-1878) (fig. 1), mort prématurément, et la vue de Hyde Park de George Garrard (1760-1826) (fig. 2), peinte en 1793 depuis sa maison de Knightsbridge, quelques maîtres manquants sont venus compléter le panorama de l’esquisse à l’huile européenne que Ger a rassemblé à travers plus de cinq cents exemples. L’attribution de l’étude d’une citrouille à Antoine Chazal (1793-1854) (fig. 3) n’est pas entièrement certaine, mais le tableau n’en reste pas moins unique en son genre.

  • 4a. Adriaen van Ostade (Haarlem 1610 – 1685 Haarlem), Un couple de paysans en balade, vers 1647
    Plume et encre brune, lavis gris et brun. – 70 × 56 mm
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2023-T.10
  • 4b. Adriaen van Ostade (Haarlem 1610 – 1685 Haarlem), Un couple de paysans en balade, vers 1647
    Eau-forte. – 79 × 64 mm
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2023-P.9
5. Jan Lagoor (Gorinchem vers 1620 – 1660 ou après), Paysage avec bergers et bergères, vers 1650
Eau-forte. – 155 × 180 mm
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2023-P.1

D’Adriaen van Ostade (1610-1680) (fig. 4a-b), Ger a pu ajouter l’étude préparatoire à une estampe aux trois projets d’eau-fortes que comptait déjà la collection qui, en plus d’un magnifique fonds de dessins de sa main, possède l’œuvre gravé quasi-complet de l’artiste. Et avec l’acquisition d’une estampe de paysage extrêmement rare, il a réussi à compléter le petit œuvre de Johannes Lagoor (vers 1620-1660 ou après) (fig. 5) déjà présent dans la collection Frits Lugt, comptant six feuilles en total.

6. Paul Scheppers (mort en 1577 ou avant), Apôtres agenouillés devant la Vierge assise dans une niche
Plume et encre brune, aquarelle, rehauts de gouache blanche, sur un tracé à la pierre noire, sur papier bleu. – 405 × 285 mm
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2023-T.41

Paul Scheppers, actif à Malines et mort à Saragosse sous le nom de « Pablo Esquert », séjourna quelques années à Naples. Ger a pu acquérir un projet unique pour la décoration de la coupole de l’église du couvent des Santi Severino e Sossio à Naples (fig. 6). Il s’agit très probablement d’un vidimus, dessin contractuel présenté au commanditaire pour approbation : la feuille est signée à la fois par « Paulo Scheppers » et par un certain père Petropaulo, en qualité de représentant du couvent. Scheppers exécuta les fresques, pour la plupart encore conservées, en collaboration avec son compatriote Jan van Stinemolen (1518-1589), dont il épousa la fille. La feuille, qui doit dater de 1565, est le seul dessin que l’on puisse mettre avec certitude à son nom, celui d’un de ces artistes néerlandais itinérants aujourd’hui oubliés qu’on rencontre dans toute l’Europe à partir du XVIe siècle.

  • 7a. Rembrandt Harmensz van Rijn (Leyde 1606 – 1669 Amsterdam), Vieille femme assise dans une chaumière, avec un chapelet d’oignons sur le mur, vers 1629
    Eau-forte, premier état. – 115 × 84 mm
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, acquisition 2023
    Photo : Christie’s
  • 7b. Rembrandt Harmensz van Rijn (Leyde 1606 – 1669 Amsterdam), Vieille femme assise dans une chaumière, avec un chapelet d’oignons sur le mur, vers 1629
    Eau-forte, deuxième état. – 127 × 85 mm
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 8665

Enfin, il convient de mentionner un achat exceptionnel fait en décembre 2023, un an après la mort de Ger Luijten. Lors de la vente de la célèbre collection de Sam Josefowitz (1921-2015) de Lausanne, il a été possible d’acquérir le premier état de la Vieille femme assise dans une chaumière, avec un chapelet d’oignons sur le mur de Rembrandt (1606-1669) (fig. 7a), l’une des eaux-fortes des débuts de l’artiste à Leyde, généralement datée autour de 1629. Un exemplaire du deuxième état (fig. 7b) faisait déjà partie du prestigieux fonds Rembrandt réuni par Frits Lugt. Dans ce deuxième état, la plaque a été remaniée, probablement par une autre main, et pourvue de la signature du maître et de l’année 1631. Il n’est pas très rare, tandis qu’il n’existe qu’un seul autre exemplaire du premier état. L’eau-forte fait partie d’un petit groupe d’estampes, le plus souvent avec une seule figure, dans lesquelles Rembrandt expérimentait la technique de l’eau-forte et qu’il n’a probablement imprimées qu’en quelques exemplaires seulement. Ici, il a tenté pour la première fois de rendre en eau-forte un intérieur faiblement éclairé et certaines ombres, à cause d’une morsure trop prolongée de la plaque, sont un peu lourdes. L’exemplaire, imprimé avec beaucoup de ton de surface, peut se flatter d’une illustre provenance remontant probablement à Willem Six (1662-1733), le neveu de l’ami de Rembrandt, le bourgmestre Jan Six, et compte parmi ses anciens propriétaires Edward Rudge (1763-1846), dont la collection n’est apparue sous le marteau à Londres qu’en 1924, offrant à Frits Lugt la possibilité d’ajouter en une fois 30 estampes du maître à son ensemble en pleine expansion. En tant que co-organisateur d’une des meilleures expositions sur l’œuvre gravé de Rembrandt, Rembrandt the Printmaker (2000), Ger Luijten aurait sans nul doute été ravi de cette acquisition.

Donations faites à la Fondation Custodia en mémoire de Ger Luijten

Beaucoup reconnaissaient à Ger Luijten ses qualités très humaines, son œil remarquable et son goût sensible. L’ancien directeur marqua de ces qualités la politique d’acquisition de la Fondation Custodia et tissa des liens très forts avec marchands et collectionneurs du monde entier. Après sa disparition, ces derniers ont souhaité lui rendre hommage et témoigner de leur attachement en faisant don d’œuvres d’art, dont ils savaient qu’elles sauraient trouver leur juste place parmi nos collections. Nous souhaitons ici leur adresser toute notre gratitude pour leurs gestes généreux.

1. Attribué à Gillis de Hondecoeter (Anvers 1575 – 1638 Amsterdam), Village hollandais près d’une rivière
Plume et encre brune, lavis brun, sanguine, traits d’encadrement à la plume et encre noire. – 173 × 245 mm
Inv. 2023-T.96
Don de Hinrich Sieveking, Munich, en souvenir reconnaissant de Ger Luijten
Télécharger (507.8 kio)
2. Manière de Hendrick Avercamp ? (Amsterdam 1585 – 1634 Kampen), Scène de patinage
Plume et encre brune, aquarelle, traits d’encadrement à la plume et encre brune. – 141 × 217 mm
Inv. 2023-T.98
Don de Hinrich Sieveking, Munich, en souvenir reconnaissant de Ger Luijten
Télécharger (387.1 kio)
3. Attribué à Cornelis Saftleven (Gorinchem 1607 – 1681 Rotterdam), Scène avec des animaux fantastiques
Pierre noire et sanguine, traits d’encadrement à la plume et encre brune. – 257 × 223 mm
Inv. 2023-T.97
Don de Hinrich Sieveking, Munich, en souvenir reconnaissant de Ger Luijten
Télécharger (807.6 kio)
4. Theodoor van Thulden (Bois-le-Duc 1606 – 1669 Bois-le-Duc), Un berger et une bergère
Eau-forte. – 119 × 159 mm (plaque) ; 126 × 168 mm (feuille)
Inv. 2023-P.63
Don de Jaco Rutgers, Tilburg, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (740.2 kio)
5. Jan de Bray (Haarlem 1626/1627 – 1697 Amsterdam), Vue du Brouwersbeek près de Haarlem
Pierre noire et lavis gris. – 149 × 196 mm
Inv. 2023-T.143
Don d’Onno van Seggelen, Rotterdam, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (513.7 kio)
6. Pieter van Schuppen (Anvers 1627 – 1702 Paris), d’après Gilbert de Sève (Moulins 1618 – 1698 Paris), Thèse et portrait de Chrétien François de Lamoignon, 1680
Gravure au burin, imprimée sur soie blanche. – 983 × 580 mm (plaque du portrait : 404 × 357 mm)
Inv. 2023-P.32
Don d’Alain Levy-Alban, Paris, en souvenir de Ger Luijten
Télécharger (546.7 kio)
7. Francis Place (Dinsdale 1647 – 1728 York), Tobie et l’ange
Plume et encre brune, lavis gris et brun. – 245 × 200 mm
Inv. 2023-T.169
Don de Nicholas Stogdon, Londres, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (697.1 kio)
8. Anne-Louis Girodet (Montargis 1767 – 1824 Paris), Scène de l’Énéide
Graphite. – 118 × 180 mm
Inv. 2023-T.85
Don de Jane Munro, Cambridge, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (344.1 kio)
9. Anders Christian Lunde (Copenhague 1809 – 1886 Copenhague), Paysage près de Narni, vers 1826-1827
Huile sur papier marouflé sur toile. – 25 × 45 cm
Inv. 2023-S.70
Don de Peter Hecht, Utrecht, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (406.9 kio)
10. Anonyme français (XIXe siècle), Un dessinateur et son assistant dans le Tepidarium des thermes du Forum de Pompéi, vers 1830
Plume et encre brune, aquarelle, sur un tracé au crayon. – 130 × 200 mm
Inv. 2023-T.141
Don de Christine Bethenod, Paris, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (482.5 kio)
11. François Debret (Paris 1777 – 1850 Saint-Cloud), Vue de la Seine avec un bain public en train de couler et un pêcheur, 1836
Aquarelle sur un tracé au graphite. – 96 × 175 mm
Inv. 2023-T.56
Don d’Alice Koenigswarter et Gerald Lefebvre, Paris, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (326.4 kio)
12. Théodore Caruelle d’Aligny (Chantenay-Saint-Imbert 1798 – 1871 Lyon), Cloître de l’Abbaye de Montmajour, près d’Arles
Plume et encre noire sur un tracé au graphite, traits d’encadrement à la plume et encre noire. – 253 × 325 mm
Inv. 2023-T.86
Don de Nicolaas Teeuwisse, Berlin, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (448.8 kio)
13. André Giroux (Paris 1801 – 1879 Paris), Cascade d’un moulin à eau en forêt
Huile sur papier marouflé sur panneau. – 13,6 × 21,8 cm
Inv. 2023-S.72
Don de la Galerie Christian Le Serbon, Paris, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (734.3 kio)
14. Alexandre Ségé (Paris 1819 – 1885 Coubron), Projet de frontispice pour un recueil de gravures, vers 1865
Plume et encre brune, traits d’encadrement à la plume et encre brune sur papier beige. – 231 × 316 mm
Inv. 2023-T.89
Don de la Galerie La Nouvelle Athènes, Paris, en souvenir de Ger Luijten
Télécharger (710.7 kio)
15. Ludovic-Napoléon Lepic (Paris 1839 – 1889 Paris), Plage à marée basse, 1873
Aquarelle sur un tracé au graphite, rehauts de gouache. – 218 × 488 mm
Inv. 2023-T.78
Don de Chantal Kiener, Paris, en souvenir de Ger Luijten
Télécharger (199 kio)
16. Giovanni Battista Camuccini (Rome 1819 – 1904 Rome), Étude de rochers
Pierre noire sur papier bleu. – 308 × 204 mm
Inv. 2023-T.115
Don de Francesca Antonacci et Damiano Lapiccirella, Rome, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (686.6 kio)
17. François Auguste Ravier (Lyon 1814 – 1895 Morestel), Quatre carnets d’esquisse et un ensemble de dessins de paysage
Inv. 2023-T.117 à 140
Don de Christine Boyer-Thiollier, Ars-en-Ré, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (301.4 kio)
18. François Auguste Ravier (Lyon 1814 – 1895 Morestel), Paysage côtier, deux grands arbres au premier plan
Graphite, traits d’encadrement à la pierre noire, sur papier beige. – 283 × 418 mm
Inv. 2023-T.100
Don de Benoît Choné, Paris, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (450.9 kio)
19. Léon Lhermitte (Mont-Saint-Père 1844 – 1925 Paris), Une rue de Mont-Saint-Père
Fusain sur papier beige. – 315 × 432 mm
Inv. 2023-T.99
Don de Benoît Choné, Paris, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (509.2 kio)
20. Joan Berg (Amsterdam 1851 – 1935 ’s-Graveland), Vue d’un jardin, probablement vers l’entrée de l’atelier de Bresdin, 1885
Fusain. – 36 × 48,5 cm
Inv. 2023-T.87
Don de Patrick Majoor, Laren, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (699.3 kio)
21. Jacob Maris (La Haye 1837 – 1899 Karlovy Vary), Petit pont au-dessus d’un canal à Rijswijk
Huile sur panneau. – 21,7 × 53,7 cm
Inv. 2023-S.74
Don de Wilma Schuhmacher, Amsterdam, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (330.8 kio)
22. Anonyme anversois (XIXe siècle), Intérieur d’une forteresse, vers 1895
Huile sur toile, sur panneau. – 35 × 28 cm
Inv. 2023-S.71
Don de Patrick Majoor, Laren, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (624.1 kio)
23. Eugène Delâtre (Paris 1846 – 1938 Paris), Saint-Jean-de-Monts, Vendée, septembre 1897
Aquarelle et rehauts de gouache blanche, sur un tracé à la pierre noire. – 204 × 311 mm
Inv. 2023-T.88
Don de Dr Gabriel P. et Yvonne Weisberg, Minneapolis, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (336 kio)
24. Peter Vos (Utrecht 1935 – 2010 Utrecht), Portrait d’Otto B. de Kat
Graphite. – 138 × 105 mm
Inv. 2023-T.144
Don de la Stichting Otto B. de Kat, Deventer, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (482.5 kio)
25. Otto B. de Kat (Dordrecht 1907 – 1995 Laren), Paysage, 13 septembre 1971
Pierre noire et aquarelle. – 207 × 280 mm
Inv. 2023-T.146
Don de la Stichting Otto B. de Kat, Deventer, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (521.6 kio)
26. Otto B. de Kat (Dordrecht 1907 – 1995 Laren), Vue du château de Cortenbach, à Voerendaal, 1955
Pierre noire et aquarelle. – 178 × 255 mm
Inv. 2023-T.145
Don de la Stichting Otto B. de Kat, Deventer, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (553 kio)
27. Kees Stoop (Werkendam 1929 – 2019 Hulten), Paysage en Espagne
Graphite sur papier gris. – 74 × 210 mm
Inv. 2023-T.116
Don de la Kees Stoop Stichting, Enschede, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (280.2 kio)
28. Frans Pannekoek (Den Dolder 1937), Valle II (Apus Apus) [Espagne]
Eau-forte, imprimée avec des effets d’encrage. – 124 × 200 mm (plaque) ; 165 × 257 mm (feuille)
Inv. 2023-P.33
Don de Mària van Berge-Gerbaud, Paris, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (664.9 kio)
29. Bert Osinga (Amsterdam 1953), Vue de la rue de l’Université, à Paris, 2003
Acrylique. – 319 × 240 mm
Inv. 2023-T.113
Don de Wendelien Schönfeld, Amsterdam, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (585.9 kio)
30. Pascale Hémery (Paris 1965), Les Mats au Lavandou
Linogravure en rouge, bleu et jaune. – 323 × 216 mm (plaque) ; 400 × 320 mm (feuille)
Inv. 2023-P.24
Don de Pascale Hémery, Paris, en mémoire de Ger Luijten
Télécharger (856.3 kio)

Exposition

Un œil passionné. Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten

27 avril – 7 juillet 2024

Ger Luijten a dirigé la Fondation Custodia pendant douze ans, entre juin 2010 et son décès prématuré en décembre 2022. Au cours de ces années, il a mis au service de l’institution son expérience et son œil avisé afin de mener une politique d’acquisition dynamique et originale.

Parmi les quelques 10 000 œuvres entrées dans les collections depuis 2010, certaines ont été présentées au public à l’occasion d’expositions, d’autres seront ici dévoilées. Le visiteur est invité à découvrir cet ensemble remarquable au fil d’un parcours organisé par technique (dessins, estampes, tableaux, études à l’huile, lettres et manuscrits, artistes contemporains).

La variété des œuvres témoigne de la grande curiosité de Ger Luijten. Si les écoles hollandaise et flamande sont richement représentées, des dessins danois côtoient des estampes britanniques ou un dessin allemand, une esquisse espagnole. Des noms célèbres avoisinent des artistes moins connus ou mêmes anonymes, tous unis par le goût si idiosyncratique et poétique qui animait les choix de Ger Luijten.

Nomination de Stijn Alsteens

Le conseil d’administration de la Fondation Custodia a nommé Stijn Alsteens comme son nouveau directeur. Il succédera le 1er avril 2024 à Ger Luijten.

Stijn Alsteens, nouveau directeur de la Fondation Custodia
© David Atlan

Stijn Alsteens, né à Louvain (Belgique) en 1976, est un éminent expert en dessins anciens, en particulier ceux des Pays-Bas, et dirige actuellement le département des dessins anciens de la maison de ventes Christie’s. Auparavant, il a été conservateur à la Fondation Custodia à Paris (2001-2006) et au département des dessins et estampes du Metropolitan Museum of Art à New York (2006-2016). Son érudition et sa vaste expérience, sa carrière internationale et son enthousiasme pour le dessin et l’estampe anciens sont autant de garanties qu’il saura poursuivre le travail de Frits Lugt et de ses successeurs au niveau qu’on connaît. L’accessibilité et l’élargissement de la collection, ainsi que le souhait de la partager avec un public aussi large que possible, resteront des objectifs primordiaux.

Stijn Alsteens : « Plus que tout autre lieu, la Collection Frits Lugt a façonné mon parcours d’historien de l’art, et c’est un grand honneur pour moi d’y retourner en tant que directeur. Les collections que Frits et Jacoba Lugt-Klever ont réunies au cours de leurs longues vies, toujours enrichies après leur mort, continueront d’inspirer le programme d’expositions, de publications et d’acquisitions que j’aurai le plaisir d’élaborer avec le conseil d’administration et l’équipe de la Fondation Custodia. Lugt était non seulement un historien et un connaisseur important, il était aussi un amateur d’art passionné, et je me réjouis de partager son émerveillement pour l’art avec un large public, à Paris et bien au-delà. »

Quelques lettres d’artistes récemment acquises

  • 1. Antonio Mini (vers 1507-1533)
    Lettre à Michelangelo Buonarroti, Lyon, 27 février 1532
    p. 1 & adressage
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, acquisition 2023

« Dessine Antonio, dessine Antonio, dessine et ne perds pas de temps », c’est avec ces mots, souvent cités, que Michel-Ange annota un dessin d’Antonio Mini (1506-1533) qui devint son élève en 1523, à l’âge de 16 ans. C’est sans doute grâce à ce commentaire que Mini jouit encore d’une certaine notoriété, car il ne semble pas avoir été un grand talent. Michel-Ange (1475-1564) devait néanmoins l’affectionner particulièrement. Lorsqu’Antonio conçut le projet de tenter sa chance en France, en 1531, il lui remit un grand nombre de dessins et deux caisses de modèles de sculptures. De surcroît, il lui donna le grand tableau avec Léda et le cygne, destiné à l’origine au duc de Ferrare, ainsi que le carton préparatoire à l’échelle du tableau. Un autre grand carton, pour un Noli me tangere, deviendrait le sien une fois achevé le tableau auquel il était destiné.

Mini était déterminé à se rendre à la cour de France et à proposer en personne la Léda au roi François Ier. On peut suivre ses aventures depuis son départ dans les neuf lettres qu’il adressa à Michel-Ange à Florence, entre fin novembre 1531 et début mai 1533. Récemment, la Fondation Custodia a pu acquérir l’une de ces missives lors d’une vente aux enchères à Londres (fig. 1)1. La lettre fut écrite à Lyon le 27 février 15322, où Mini, en attendant que la Léda arrive à Marseille par la mer, est logé depuis fin décembre par une connaissance de son maître, l’un de ces nombreux marchands que compte la colonie florentine de la ville. Avec son compagnon de voyage, le jeune peintre Benedetto del Bene (dates inconnues), il passe son temps à faire des copies de la Léda à partir du carton qu’ils avaient apporté avec eux, copies qui, à en juger par notre lettre, se vendent promptement : « Qui veut une Léda et qui veut un autre tableau dans notre manière, si seulement ils peuvent l’obtenir ils payent ce que nous demandons, sans regarder le prix [...] Je vous assure que les hommes progressent loin de leur maison ».

La Léda elle-même est arrivée entre-temps. Sur les conseils de Michel-Ange, Mini a confié le panneau à un banquier florentin de Lyon, Leonardo Spina, non sans réitérer son intention d’aller le présenter lui-même au roi : « Je voudrais être celui qui attrapera ce lièvre. Sachez qu’il y a beaucoup de chiens de chasse qui veulent l’attraper pour eux [...] et montrer au roi la grande affection qu’ils lui portent, mais avec les peines d’autrui ». D’autre part, il demande à Michel-Ange de l’aider à finalement obtenir le carton pour le Noli me Tangere, dont celui-ci avait confié l’exécution à Jacopo Pontormo (1494-1557). Pour le transport à Lyon, Mini s’est déjà arrangé avec Girolamo Gondi à Florence, via son père Antonio, banquier à Lyon.

La lettre est adressée à Michel-Ange « à Florence, ou là où il se trouve ». Apparemment, la rumeur de la convocation imminente du sculpteur à Rome avait déjà gagné Lyon : « Ici, on dit que le pape vous a fait venir pour régler votre affaire », écrit Mini en allusion au futur nouveau contrat pour le tombeau de Jules II, le malheureux projet qui avait occupé son maître depuis 1505. « À Dieu plaise [qu’il soit ainsi], car je ne pourrais jamais avoir au monde plus grande satisfaction et joie que de vous voir, depuis tant de temps que je sais que vous avez été tourmenté, vous reposer un peu à l’avenir avec l’esprit tranquille [...] souvenez-vous que, s’il était possible, vous eussiez plus qu’un fils [en moi]. ». La grande affection de Mini pour son maître s’exprime également dans la signature : « votre affectueux Antonio Mini à Lyon, qui grâce à vous est vivant, bien portant et heureux ».

« Beaucoup de chiens de chasse qui veulent l’attraper pour eux » – malgré toute sa confiance en lui, Mini semble avoir un pressentiment de ce qui allait se produire. Après plusieurs tentatives d’accès à la cour, à Paris et à Nantes, il rentra provisoirement à Lyon, laissant la Léda à son voisin parisien, Giuliano Buonaccorsi, un Florentin qui occupait de hautes fonctions en tant que trésorier et receveur des finances de Provence. Ce dernier profita de son absence pour offrir lui-même le tableau au roi. Lorsque Mini vint le récupérer un an plus tard, Buonaccorsi refusa de reconnaître sa propriété sur le tableau. Des démarches judiciaires n’aboutirent apparemment pas car la Léda est mentionnée en 1536 comme étant en possession du roi, pourvue d’un somptueux cadre conçu par Rosso Fiorentino (1494-1540). À ce moment, le pauvre Mini était déjà décédé, probablement à la fin de l’année 1533. Ses dessins de Michel-Ange ont dû rapidement se répandre parmi les artistes italiens de la cour de France, si l’on en juge par l’usage qu’ils en ont fait dans leurs propres œuvres. La Léda a probablement péri à Fontainebleau au XVIIe siècle.

  • 2. Paul Gauguin (1848-1903)
    Lettre à Daniel de Monfreid, [Tahiti], juin 1901
    p. 1 & 2, 5
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, acquisition 2024

Alors qu’il s’apprêta à s’installer aux Marquises, en juin 1901, Paul Gauguin (1848-1903) découvrit qu’il avait besoin de l’autorisation de son épouse, Mette-Sophie Gad (1850-1920), pour vendre sa maison de Tahiti. Elle vivait à Copenhague avec leurs enfants depuis 1884, et il s’empressa d’envoyer une lettre à son ami et agent d’affaires Daniel de Monfreid (1856-1929), lui demandant de la persuader de signer une procuration. Cette lettre a pu être acquise récemment (fig. 2)3, une missive de six pages dans lesquelles, bien sûr, il est question de beaucoup d’autres choses qui préoccupaient Gauguin à l’époque : l’achat éventuel par Gustave Fayet (1865-1925) à Béziers, qui s’intéressait de plus en plus à son travail, d’un relief en bois qu’il avait fait expédier à Marseille (La Guerre et la Paix, Paris, musée d’Orsay), l’exposition de la Société des beaux-arts de Béziers, la potentielle acquisition d’un tableau par cette ville, dans lequel Fayet pourrait intervenir, les bas prix payés par Ambroise Vollard (1866-1939) pour ses toiles, sa participation à des expositions en Suède et en Norvège. Mais surtout, il parle de ce qu’il attend de sa nouvelle vie aux Marquises : « Je crois qu’aux Marquises, avec la facilité qu’on a pour avoir des modèles (chose qui devient de plus en plus difficile à Tahiti), et avec des paysages alors à découvert [sic] - bref des éléments tout à fait nouveaux et plus sauvages, je vais faire de belles choses. Ici mon imaginaire commençait à se refroidir, puis aussi le public à trop s’habituer à Tahiti. [...] Quant à la clientèle Degas, par exemple, il se peut aussi que pour compléter la collection on achète des Marquises ».

3. Paul Gauguin (1848-1903)
Lettre à Daniel de Monfreid, [Tahiti], novembre 1900
p. 1
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2022-A.127

La lettre se compose d’une feuille double et d’une feuille simple, toutes deux ornées d’une vignette gravée sur bois avec les initiales de Gauguin entre deux paons, une fois imprimée en entier, l’autre seulement dans sa partie centrale4. La lettre avait déjà été mise en vente en 20225, mais le second feuillet manquait, et il avait été décidé alors d’acquérir une lettre de Gauguin légèrement antérieure, également adressée à Daniel de Monfreid, portant elle aussi une vignette gravée sur bois (fig. 3)6. En effet, les deux feuilles de la lettre de 1901 semblent avoir été séparées à une date inconnue après 1970, le moment où elle apparut en vente, en même temps que toute une série de lettres de Gauguin à Monfreid7. Ce n’est que récemment qu’elles ont été réunies par un collectionneur suisse8.

 

 

  • 4. Victor Segalen (1878-1919)
    Lettre à Pierre Paul Roux, dit Saint-Paul-Roux, Papeete, 14 décembre 1903
    p. 1 & 2, 3 & 4
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, acquisition 2024

Quelques mois après la mort de Gauguin sur l’île d’Hiva Oa, le 8 mai 1903, ce qui restait de ses biens fut transféré à Papeete pour être vendu aux enchères. Un jeune médecin maritime français aux aspirations littéraires se trouvait sur le bateau qui vint chercher les 16 caisses et avait encore la chance de voir la « Maison du Jouir » et de parler à ceux qui avaient connu Gauguin de près. Sur le chemin du retour, il avait tout le loisir d’étudier le contenu des caisses, une découverte qui allait changer sa vie. Dès lors, Victor Segalen (1878-1919) se ferait l’avocat de Gauguin et de son œuvre dans des articles, des livres et des romans, ou encore comme l’éditeur de ses lettres à Monfreid. Dans une lettre inédite, entrée dans nos collections par la même occasion, adressée au poète Saint-Pol-Roux (1861-1940) qui lui avait conseillé d’aller voir Gauguin à Tahiti, Segalen l’informe du décès récent de l’artiste et relate le triste déroulement de la vente aux enchères de septembre à Papeete. Il rapporte aussi ses propres acquisitions : des estampes, des dessins et sept tableaux, dont des chefs-d’œuvre comme l’Autoportrait près du Golgotha (São Paolo, Museo de Arte), et même les panneaux sculptés en bois qui avaient décoré l’entrée de la « Maison du Jouir » (fig. 4). Sans lui en souffler mot dans sa lettre, il les offrira à son retour à Pol-Roux pour sa maison de Camaret-sur-Mer.

  • 6. Egon Schiele (1890-1918)
    Lettre à Oskar Reichel, mai-août 1911
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, acquisition 2023

S’il est un artiste dont les lettres sont des œuvres d’art en soi, c’est bien Egon Schiele (1890-1918) et l’on comprend qu’en raison de son écriture il ait été nommé greffier pendant son service militaire lors de la Première Guerre mondiale.

5. Egon Schiele (1890-1918)
Carte postale à Anton Peschka, Fulpmes, 19 août 1917
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1970-A.214

C’était un souhait depuis longtemps de pouvoir ajouter un autre spécimen de son écriture à la collection, en plus de la carte postale à Anton Peschka (1855-1946), le beau-frère de Schiele, datant de 1917 (fig. 5)9. Sa vaste correspondance montre de grandes variations typographiques, même dans des lettres datant d’un même mois. Visuellement, le petit billet à Oskar Reichel acquis en 2023 est un régal, avec son rythme percutant et extrêmement contrôlé, et son lettrage emphatiquement vertical (fig. 6)10. La mention par Schiele de sa ville de résidence, Krumau (aujourd’hui Český Krumlov, République tchèque), permet de situer cet écrit non daté entre mai et août 1911 lorsque, pour échapper à la vie viennoise trépidante, Schiele s’était installé pour quelques mois dans la ville natale de sa mère. Il date donc d’une période cruciale de son existence : un an auparavant, à peine âgé de 20 ans, Schiele avait décidé de s’établir en tant qu’artiste indépendant et avait commencé à expérimenter avec les thèmes et le style très expressif qui allaient le rendre célèbre.

Oskar Reichel (1869-1943) était un interniste viennois, plus tard galeriste, et collectionneur important du modernisme autrichien. Il fut l’un des premiers admirateurs et collectionneurs de Schiele. Outre son propre portrait de 1910 (localisation inconnue), il a fini par rassembler plus de seize peintures de l’artiste et un nombre inconnu de dessins. Dans notre lettre, Schiele lui demande d’aller choisir quatre ou cinq de ses dessins à la Wiener Werkstätte et de lui envoyer le paiement en retour. S’il le souhaite, Reichel pourra plus tard échanger les feuilles contre d’autres qui lui plairont davantage. Il pourra en même temps visiter la Wiener Werkstätte et voir en particulier les nouveaux chapeaux pour dames et la salle du directeur avec les reproductions très réussies de Gustav Klimt (1862-1918). La Wiener Werkstätte, dont l’objectif était de produire toutes sortes d’objets d’arts décoratifs dans un style moderne, avait été fondée en 1903, entre autres par l’architecte Josef Hoffmann (1870-1956). Schiele était l’ami de Hoffmann et reçut quelques commandes, notamment pour des cartes postales, de cet atelier qui le soutenait également en prenant ses dessins en consignation.

Les soucis d’argent sont un thème récurrent dans les lettres de Schiele de ces années à Reichel – on en connait une dizaine – et à d’autres personnalités du cercle de protecteurs qu’il avait réussi à réunir autour de lui. Il n’hésita pas à les bombarder de demandes pressantes pour des achats immédiats contre paiement en liquide, comme dans notre lettre : « Depuis que je suis ici, je me suis débrouillé avec 15 couronnes [...] 32 ou environ 30 dessins de moi sont chez le professeur Hoffmann à la Wiener Werkstätte [...], prenez-en 5 et envoyez-moi l’argent, ne le laissez pas à la Wiener Werkstätte, ne serait-ce que parce qu’elle vend chaque feuille 30 couronnes. [...] Je suis sûr que vous allez m’envoyer l’argent tout de suite, je n’ai vraiment rien. Je n’ai pas de lit, ni d’autres meubles, ni de chevalet, ni de miroir, ni de fauteuil, ni de pinceaux, peu de couleurs, et beaucoup d’autres choses me manquent. »

Hans Buijs

1Giovanni Poggi, Paola Barocchi & Renzo Ristori (éds.), Il carteggio di Michelangelo, vol. III, Florence 1973, no DCCCLII ; pour les autres lettres, voir ibid. nos DCCCXXXV, DCCCXXXVI, DCCCXXXIX, DCCCXLI, DCCCXLIV, DCCCXLVI, DCCCLIII, vol. IV, no CMV ; voir aussi les lettres de Mini à Antonio Gondi du 25 décembre 1531 et à Francesco Tedaldi, probablement de 1533, voir Paola Barocchi, Kathleen Loach Bramanti & Renzo Ristori (éds.), Il carteggio indiretto di Michelangelo, vol. I, Florence 1988, nos 228, 230, et le compte rendu de ce dernier du 1er juillet 1540, dans Poggi, Barocchi & Ristori, vol. IV, Florence 1979, p. 61-62. Tous ces documents se trouvent dans l’Archivio Buonarroti dans la Casa Buonarroti à Florence, sauf la lettre qui nous occupe ici et celle du 2 janvier 1532 (Carteggio no DCCCXLIV), qui se trouve à la British Library de Londres, inv. Egerton 1977.

2Mini datait sa lettre du 27 février 1531 selon le calendrier florentin, qui faisait commencer l’année le 25 mars.

3Victor Segalen (éd.), Lettres de Gauguin à Daniel de Monfreid, précédés d’un hommage à Gauguin, éd. établie et annotée par Annie Joly-Segalen, Paris 1950, no LXXV.

4Elizabeth Mongan, Eberhart W. Kornfeld & Harold Joachim, Paul Gauguin. Catalogue Raisonné of his Prints, Berne 1988, no 75.

5Vente Paris, Aguttes, 4 avril 2022 (Les collections Aristophil, 47), no 144 ; inv. 2022-A.127.

6Segalen 1950 (voir note 3), no LXX, pl. 10 ; Mongan, Kornfeld & Joachim 1988 (voir note 4), no 76.

7Vente Berne, Kornfeld und Klipstein, 18 juin 1970, no 42. À la vente Berne, Galerie Kornfeld, 13 juin 2013, no 36, seule la première des deux feuilles réapparut.

8L’ébauche de la procuration de Mette, jointe par Gauguin à sa lettre et transcrite dans Segalen 1950 (voir note 3), n’est plus présente, ni l’enveloppe ou la copie d’un connaissement pour Fayet dont il est question dans la lettre.

9Inv. 1970-A.214 ; voir en ligne Egon Schiele. Datenbank der Autographen du Bundeskanzleramt autrichien, no 1335.

10Voir ibid., no 2355.

Un annuaire inédit des maîtres peintres et sculpteurs de Paris entre dans la collection de la Fondation Custodia

Un annuaire des membres de la Communauté et Académie de Saint-Luc pour l’année 1753 vient d’entrer dans les collections de la Fondation Custodia. Ce document, a priori banal, est en fait une précieuse mine d’informations pour l’histoire sociale de l’art et des arts décoratifs à Paris au XVIIIe siècle.

1. Liste generale des noms et surnoms de tous les maistres Sculpteurs, Peintres, Marbriers, Doreurs, Etoffeurs & Enlumineurs de cette Ville & Fauxbourgs de Paris, tant Anciens que Modernes & leurs demeures, Paris, D’Houry père, 1753
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2022-OB.5

Cet annuaire intitulé Liste generale des noms et surnoms de tous les maistres Sculpteurs, Peintres, Marbriers, Doreurs, Etoffeurs & Enlumineurs de cette Ville & Fauxbourg de Paris, tant Anciens que Modernes & leurs demeures a été imprimé chez D’Houry père, libraire du duc d’Orléans et de l’Académie de Saint-Luc. L’Académie de Saint-Luc est le nom donné à l’école de la Communauté des maîtres peintres et sculpteurs de Paris fondée en 1648 par Simon Vouet pour répondre à la fondation de l’Académie royale de Peinture et Sculpture. Ce célèbre artiste, blessé de n’avoir pas été associé à la fondation de l’institution royale, s’efforça de moderniser la vieille corporation des peintres et sculpteurs de Paris en la dotant d’une école publique de dessin d’après le modèle vivant (une « académie »). Afin de rivaliser symboliquement avec l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, la vieille corporation conserva le surnom d’Académie de Saint-Luc jusqu’à sa refonte en 1776.

Chaque année, la Communauté et Académie de Saint-Luc faisait imprimer des centaines d’annuaires avec les noms, métiers, adresses, fonctions institutionnelles et dates de réception de ses membres. Ces listes revêtaient un intérêt commercial puisqu’elles permettaient à la clientèle de connaître les artisans, artistes et marchands actifs à Paris dans le bâtiment, les arts décoratifs, les beaux-arts et le marché de l’art. Ces publications présentaient aussi un intérêt symbolique dans la mesure où elles médiatisaient l’identité des « maîtres » peintres et sculpteurs, c’est-à-dire la petite élite des mondes de l’art à la tête des ateliers où travaillaient aussi des compagnons, des apprentis et des renforts familiaux.

De telles listes sont aujourd’hui précieuses car elles sont rares. Alors qu’elles étaient mises à jour et imprimées chaque année, nous conservons désormais les seules listes de 1672 (BnF, Paris), 1679 (Nationalbibliothek, Vienne), 1682 (INHA, Paris), 1728 (BnF, Paris), 1762 (INHA, Paris), 1786 (INHA, Paris). La liste de 1753 constitue donc le huitième annuaire de la corporation connu à ce jour. Il est d’autant plus utile qu’il est aujourd’hui le seul moyen de connaître la composition de cette institution : en effet, les archives de celle-ci ayant disparu à la fin du XVIIIe siècle, il n’existe pas d’autres sources pour évaluer le nombre et l’identité des maîtres peintres et sculpteurs de Paris. Le document recense la population des maîtres de la façon suivante (p. 68) :

« Nombre des Directeurs en Charge…..4.
Anciens Directeurs…………………........45.
Officiers de l’Académie en exercice......36.
Anciens Officiers de l’Académie……....55.
Modernes & Jeunes…………………......707.
Veuves d’anciens Directeurs……...……13.
Veuves de Maîtres…………………......…70.
Demoiselles………………………….........67.
Total….997. »

Les effectifs de la Communauté ne cessèrent de croître sous l’Ancien Régime : 277 maîtres en 1672, environ 850 en 1750, près de 1000 en 1753 pour atteindre finalement le nombre de 1300 en 1786. De façon constante, les artistes représentaient environ 15% des maîtres.

2. Page de titre et almanach de la Liste […], Paris, D’Houry père, 1753
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2022-OB.5

Le document que vient d’acquérir la Fondation Custodia est un in-octavo relié en cuir de 80 pages. La page de titre est ornée du blason de la Communauté des peintres et sculpteurs de Paris (une fleur de lys au centre avec deux écus en fasce et un troisième en point de la pointe). De façon exceptionnelle, on retrouve ce blason sur la première de couverture, ce qui suggère que l’exemplaire de la Fondation Custodia provient de la bibliothèque de la Communauté ou qu’il a appartenu à l’un de ses dirigeants. Un almanach pour l’année 1753 a été inséré dans la reliure (fig. 2). Après la page de titre, la Liste débute avec l’identité des quatre « directeurs en charge du Bureau & de l’Académie de Saint Luc des Arts de Sculpture-Peinture ». On trouve ensuite la présentation du protecteur de l’institution, le comte d’Argenson, et de son vice-protecteur, le marquis d’Argenson, par ailleurs célèbre bibliophile.

La Liste se poursuit avec les officiers en charge de l’école académique. Parmi ces artistes désignés pour enseigner le dessin apparaissent notamment les noms du peintre Jean-Jacques Spoede, qui fut l’ami de Watteau, de Charles Eisen, célèbre pour ses vignettes, des peintres d’histoire Pierre-Paul Mérelle et Pierre-Louis Dumesnil, du pastelliste Jean-Étienne Liotard, du portraitiste Philibert Bonnet-Danval, du peintre de singeries Christophe Huet, du sculpteur Michiel van der Voort, etc. La Liste mentionne aussi l’identité des professeurs de géométrie (Subro) et d’anatomie (le chirurgien Delaroche).

Les pages 16 et 17 déclinent ensuite les noms de dix amateurs de la Communauté et Académie de Saint-Luc qui étaient censés garantir la dimension intellectuelle de l’institution. Bien souvent, le lien entre ces amateurs et l’institution n’était pas connu : outre des architectes plus ou moins réputés (Jacques Hardouin-Mansart, Jean-Baptiste Beausire et son gendre Laurent Destouches…), on redécouvre notamment les noms de François-Louis Colins (1699-1760), restaurateur en charge de l’entretien des tableaux du roi, et de l’ingénieur Bernard Forest de Bélidor (1698-1761), membre des Académies des Sciences de Prusse, Angleterre et France).

La Liste mentionne ensuite les anciens enseignants de l’école. Parmi la cinquantaine de noms cités se trouvent quelques artistes connus pour leur maîtrise du dessin ou leurs qualités pédagogiques, à l’instar de Sébastien-Antoine Slodtz l’aîné, dessinateur du Cabinet du roi, du miniaturiste François-Élie Vincent, des ornemanistes Pineau et Babel, ou encore du théoricien des écoles publiques de dessin Antoine Ferrand de Monthelon, qui venait alors de mourir après avoir participé à la création de l’école de Reims.

Le document comprend également la longue liste des maîtres, classés d’après leur date de réception depuis 1698 jusqu’à 1753. Il a aussi la particularité de consacrer une section aux veuves de maîtres et une autre aux « Demoiselles Peintresses-Sculpteuses », c’est-à-dire des actrices des mondes de l’art souvent peu visibles : nul doute que la mise à jour de ce nouveau corpus permettra de nouvelles découvertes dans le champ des gender studies.

La Liste s’achève avec les noms et adresses des collaborateurs contribuant au bon fonctionnement de l’Académie de Saint-Luc : le chapelain, la concierge, l’huissier, les avocats et procureurs défendant ses intérêts, ainsi que le commissaire chargé d’assurer la police du métier avec les directeurs-gardes. Enfin, une table alphabétique permet de retrouver aisément les maîtres dans l’annuaire.

Comme on peut le constater, la Liste de la Fondation Custodia offre de nouvelles perspectives de travail pour les chercheurs. Alors que les archives relatives à l’ancienne Communauté et Académie de Saint-Luc sont très lacunaires, un tel document permet de mieux saisir d’importants enjeux organisationnels et symboliques au sein des mondes de l’art à Paris au XVIIIe siècle. Sur le plan biographique, la Liste réunit des centaines de noms et permet ainsi de combler des lacunes dans la connaissance des carrières individuelles. Elle est par exemple le premier document à indiquer que Jean-Baptiste Raguenet (1682-1755), acteur forain et auteur dramatique connu au début du XVIIIe siècle, devint ensuite maître peintre. En effet, la Liste signale qu’il fut reçu dans la Communauté le 16 mai 1729 : il fut marchand de tableaux et c’est probablement dans son fonds de commerce que son fils découvrit le genre des vedute, dans lequel il se spécialisa et qui lui valut le surnom de « Canaletto parisien ».

Maël Tauziède-Espariat
Enseignant-chercheur, Université Paris Nanterre

Antonio Canova à Madame Tambroni : une nouvelle acquisition et une nouvelle découverte

L’empreinte laissée par Antonio Canova (Possagno 1757 – 1822 Venise) dans l’histoire de l’art européen demeure indélébile, entraînant un renversement de la sculpture telle qu’elle était connue auparavant. Pour comprendre sa personnalité, reconstruire son vaste réseau et suivre pas à pas la naissance de ses œuvres, sa correspondance, dont la publication est heureusement en cours, se révèle une source de première importance. En témoigne la lettre que la Fondation Custodia a acquise en 2022 et qui éclaire autrement le monde de l’art international dans lequel l’artiste a pu s’exprimer (fig. 1)1.

  • 1. Antonio Canova, Lettre à Teresa Tambroni née Couty, Paris, 2 septembre 1815
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2022-A.105

La missive est écrite le 2 septembre 1815, lorsque Canova réside à Paris pour réclamer les œuvres cédées à la France par le traité de Tolentino en 1797. Le sculpteur s’adresse à « Madame Tambroni », à savoir Teresa Couty (1781-1823), pour l’informer que son mari Giuseppe Tambroni (Bologne 1773 – 1824 Rome) se trouve dans de graves difficultés financières. En effet, la vie de Giuseppe Tambroni subit les changements politiques qui marquent l’Italie dans la transition de la Révolution à l’Empire. D’abord fonctionnaire à Bologne et ensuite à Milan, il se réfugie à Chambéry en 1799, en raison de son soutien à Napoléon2. Ici, il rencontre et épouse Teresa Couty (fig. 2) « qui, au charme de ses traits, associait les grâces d’un esprit éveillé et doux »3.

2. Pelagio Pelagi, Teresa Tambroni née Couty, 1813-1815
Toile. – 65 × 51 cm
Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea, Rome, inv. H/1849
© NPL – DeA Picture Library / Bridgeman Images

En 1811, il est nommé consul du Royaume d’Italie et peut s’installer à Rome avec Teresa. Dans la ville éternelle, le couple se lie d’amitié avec Antonio Canova ; avec ce dernier, Tambroni fonde l’Accademia d’Italia, établie au Palazzo Venezia, dans le but de soutenir les artistes à l’instar de l’Académie de France. Cependant, l’institut né de ces aspirations idéalistes, semi-philantropiques et concrètement didactiques, pour lequel Tambroni investit aussi ses fonds, sera aussi fugace qu’une comète lumineuse. En juillet 1814, la direction est retirée à Tambroni et confiée au plénipotentiaire autrichien Ludwig von Lebzeltern (1774-1854), qui répand des calomnies sur son prédécesseur4. Tambroni se retrouve seul, dans une Rome qui lui est devenue adverse5. Il entame alors une triste « odyssée » (selon ses propres termes), afin de conserver ses missions pédagogiques et redorer sa réputation. Il se rend à Vienne, puis à Milan, mais il demeure en marge du congrès réuni pour rétablir l’ordre dans l’Europe après Napoléon.

Pendant ce temps, Antonio Canova ne cesse de soutenir son ami. Dans la lettre en question, il informe Teresa de sa rencontre avec l’empereur et le prince de Metternich pour plaider la cause de Giuseppe Tambroni. Mais la missive n’est pas uniquement envoyée à la conjointe d’un ami, dans le but d’apaiser son âme agitée, puisque Canova s’adresse à une femme avec laquelle il partage une relation passionnelle.

« Vous ne pouvez pas imaginer la peine que m’a causée votre petit mot / et ensuite la lettre du 19 dernier que j’ai reçue de la poste, en entendant que vous êtes / mal à l’aise, en sentant qu’on vous a enlevé vos forces, et / en ressentant en plus que vous n’avez pas encore récupéré »6. Le texte s’ouvre ainsi sur les inquiétudes du sculpteur concernant la santé instable de Teresa. Il remercie Nicola Maria Nicolaj (1756-1833) d’avoir rendu visite à la dame de sa part. Il l’invite à utiliser sa calèche et sa maison estivale à Albano, où Juliette Récamier résida également7. Il demande à Teresa si elle a reçu le paquet et la boîte qu’il lui a envoyés, et avoue que « soit un peu, soit beaucoup, je vous ai écrit deux fois par semaine »8. Les tons d’affection qui parsèment la lettre suggèrent que le lien entre Canova et Teresa va au-delà d’une simple amitié.

3. Francesco Hayez, Teresa Tambroni née Couty, vers 1815
Toile. – 101 × 75 cm
Localisation actuelle inconnue

D’autres sources témoignent de ce rapport. Stendhal (1783-1842) relate une rencontre avec Teresa Couty, désignée comme la « maîtresse » officielle de Canova9. Francesco Hayez (1791-1882) exécute un portait d’elle à donner secrètement au sculpteur à son retour à Rome (fig. 3)10. De plus, les noms de Canova et de Teresa se côtoient dans un modèle en terre cuite daté de 1810, préparant la réalisation de la sculpture des Trois Grâces (fig. 4)11. L’esquisse fut donnée par Canova à Juliette Récamier et léguée par celle-ci au musée des Beaux-Arts de Lyon, où elle est toujours conservée12. Sur le socle, l’œuvre est inscrite : « Idée / fabriquée à Frascati / dans la maison de Madame Tambroni 1810 »13 (fig. 5), attestant la date et le lieu où l’artiste avait conçu sa première idée, ainsi que le nom de celle qui devait l’accompagner pendant sa réflexion.

  • 4. Antonio Canova, Les Trois Grâces, 1810
    Terre cuite. – 43 × 24,3 × 17 cm
    Lyon, musée des Beaux-Arts, inv. H 794
    © Lyon MBA – Photo Alain Basset
  • 5. Antonio Canova, Les Trois Grâces [détail]
    © Lyon MBA – Photo Alain Basset

Filippo Agricola (1795-1857), pensionnaire à l’Accademia d’Italia, peint un portrait de Teresa (fig. 6), où elle figure élégante, les cheveux noirs soigneusement coiffés, le visage rond avec des sourcils arqués et des lèvres prononcées. Les affinités entre le portrait d’Agricola et le style de Canova à cette époque14 suggèrent que les traits de Teresa demeurent pour le sculpteur un modèle vif pendant les années 1820.

6. Filippo Agricola, Teresa Tambroni née Couty, 1819
Toile. – dimensions inconnues
Collection particulière

La missive se termine par une formule très peu formelle, un doux « adieu... adieu... ». Les mêmes exclamations soupirantes émergent dans la correspondance de Canova avec Juliette Récamier. Mais si dans les lettres adressées à cette dernière ces mots sont exprimés avec véhémence, dans celles destinées à Teresa, ils sont retenus par le devoir probable de garder l’apparence d’une amitié et de dissimuler les traces d’une correspondance entre amants. Ainsi, la note de Canova placée à la quatrième page sous le sceau très endommagé est curieuse : « Le sceau a été brisé par / moi, selon votre règle »15. Formule énigmatique, par laquelle l’artiste montre avoir respecté la demande de Teresa de défigurer son sceau afin qu’il ne puisse être distingué par ceux transportant la lettre jusqu’à sa destinataire. Ou bien, que le message ne possédait rien de secret et pouvait être confondu avec les autres, n’ayant pas d’estampille suggérant l’expéditeur.

À la lumière de ces réflexions, la découverte récente d’une deuxième lettre de Canova à « Madame Thérèse » dans une collection particulière a été heureuse. Le ton aimable, la graphie, la date et le contenu de la missive montrent qu’il s’agit d’une missive envoyée par Canova à Paris le 25 septembre 1815 à l’épouse de Giuseppe Tambroni. Le sculpteur lui déclare avoir de nouveau parlé de la situation de son ami au prince de Metternich, qui a vaguement promis de s’en occuper lorsqu’il sera à Rome. Il avertit Teresa de son prochain départ pour Londres, puis de son retour à Rome16. Les derniers mots de la lettre sont empreints d’affection. L’artiste lui demande d’embrasser ses enfants pour lui, de transmettre ses respects à Tambroni, sans « oublier, cependant, de m’aimer moi aussi, qui pour toujours sera votre ami C[anova] »17.

Le soutien d’Antonio Canova à Teresa et Giuseppe Tambroni était plus que nécessaire cette année-là. Les messages de cette période expriment un véritable désarroi de la part de Tambroni, sur le ton de Jacopo Ortis, une lecture favorite de cette génération. Même Canova, au début de sa lettre du 5 septembre 1815, avoue « avoir compris qu’à la fin Tambroni / n’a rien obtenu, seulement espéré »18.

Tambroni retourne à Rome en 1816, avec une modeste allocation d’ancien fonctionnaire. Plus tard, il se consacre plus volontiers à des écrits de nature historiographique et artistique, dans lesquels il demeure partisan d’un classicisme épuré. Ainsi, il maintient sa solidarité avec le sculpteur. Tambroni fut d’ailleurs l’un de ses derniers amis à le voir avant son départ définitif pour Possagno en 1822. Il devait en être de même de sa relation avec Teresa. Au fil des années, entre le destin du pays et celui de l’Accademia d’Italia, elle resta une amie proche, une muse silencieuse et une douce présence dont nous n’avons encore aucune trace de ses réponses à Antonio Canova, qui se dit toujours « de tout mon cœur et de toute mon âme / [...] votre véritable ami »19.

Ester Giachetti20

1Antonio Canova, Epistolario, éd. Hugh Honour et al., 5 vols. parus, Bassano del Grappa, 2002-2020 (partie de l’Edizione nazionale delle opere di Antonio Canova). La Fondation Custodia possède actuellement 30 lettres de l’artiste, ainsi qu’un nombre important de documents concernant lui et ses œuvres. Huit de ces épîtres furent publiées par Hugh Honour, « Eight letters from Antonio Canova », dans Denis Sutton (éd.), Treasures from the collection of Frits Lugt at the Institut Néerlandais, Paris, Londres, 1976, p. 54-61 (rééimpression d’une série d’articles parus dans Apollo, vol. 105, 1976, nos 176-177). Dans son essai, l’historien rappelle comment les missives du sculpteur sont révélatrices de ses œuvres, de ses convictions et de son époque.

2Maria Pia Casalena, « Giuseppe Tambroni », Dizionario Biografico degli Italiani, vol. 94, 2019.

3« [...] la quale, alla vaghezza delle sembianze univa le grazie di uno spirito svegliato e gentile », d’après la nécrologie anonyme de Tambroni parue dans les Memorie Romane di antichità e di belle arti, vol. III, Rome, 1826, p. 458-464.

4Stella Rudolph, Giuseppe Tambroni e lo stato delle Belle Arti in Roma nel 1814, Rome, 1982, p. 33.

5Le cardinal Ercole Consalvi (1757-1824), par exemple, s’oppose aussi à la réintégration de Tambroni dans la direction de la vie artistique de Rome.

6« Non potete immaginarvi quanto dolore mi abbia cagionato / il piccolo vostro biglietto, e poi la lettera del 19 p[rossimo] p[assato], avuta dalla posta, sentendo da ambedue che siete / incomodata, sentendo che vi abbiano levate forze, e / sentendo di più, che ancora non siete ristabilita. »

7« Servitevi liberamente, come vi dissi, della / mi[a] carrozza, della casa in Albano / e di tutto quello che volete. »

8« Sono impaziente di sapere se avete avuto riscontro da / casa vostra che abbiano ricevuto l’involtino, la scatola / ed altro […] / vi averto che o poco o assai vi ho scritto due volte / la settimana. »

9Stendhal, Voyages en Italie, éd. Victor de Litto, Paris, 1973, p. 212, 1223, 1214.

10Francesco Hayez, Le mie memorie, Milan 1890, p. 30. L’œuvre appartenait à la collection de Canova à Possagno. Elle a ensuite été vendue aux enchères à Rome chez Christie’s, le 15 novembre 1973. Dans Francesco Mazzocca, Francesco Hayez, catalogo ragionato, Milan 1994, p. 129, n° 25, le portrait est présenté comme étant celui de « Clotilde Tambroni Cuty », réalisé à la demande de Teresa Tambroni. À la photothèque de la Fondazione Federico Zeri à Bologne, il est également répertorié en tant que portrait de Clotilde Tambroni (Bologne 1756 – 1817 Bologne), helléniste, linguiste, poétesse et sœur de Giuseppe.

11L’œuvre, réalisée en marbre pour Joséphine de Beauharnais (1763-1814), se trouve aujourd’hui au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, inv. Н.ск-506.

12Stéphane Paccoud et Léna Widerkehr (dir.), Juliette Récamier, muse et mécène, cat. exp. Lyon, musée des Beaux-Arts, 2009.

13« Idea / fatta a Frascati / in casa di M.d Tambroni1810 ».

14Ranieri Varese, « Un dipinto canoviano di Filippo Agricola », Studi per Pietro Zampetti, Ancône, 1993, p. 571-573.

15« Il sigillo è stato così guasto da / me, per vostra regola ».

16Dans la lettre, ne parvenant pas à offrir des nouvelles plus certaines, Canova ne peut qu’espérer atteindre « l’objectif qui est désiré / et auquel [il] aspire de toute [s]on âme ».

17« Senza scordarvi però di volere bene anche a me, che sarò sempre il vost[ro] amico C ».

18« sentendo poi in fine che Tambroni / non abbia / ottenuto niente, furché speranze ».

19« con tutto il cuore e con tutta l’anima / […] vostro amico Vero ».

20Ester Giacchetti est doctorante à l’Université Ca’ Foscari de Venise et à l’École Normale Supérieure de Paris et travaille à une thèse sur Nicolas Vleughels et les échanges graphiques entre l’Italie et la France au début du XVIIIe siècle. Le présent article est le fruit d’un stage à la Fondation Custodia en 2022, pendant lequel elle a étudié les autographes italiens du XVIIIe siècle afin de les intégrer dans la base de données de la collection.

Un dessin de Jean-Daniel Heimlich à la Fondation Custodia

1. Attribué à Jean-Daniel Heimlich, Paysage au clair de lune
Gouache. – 178 × 228 mm
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 1059

Le ciel d’une nuit au clair de lune domine ce paysage, délicatement exécuté à la gouache. Les nuages s’effacent peu à peu pour laisser place à la lumière de la lune accompagnée d’étoiles. Dans le lointain, on distingue un village plongé dans la tranquillité de la nuit. À droite, deux personnages, dont l’un à cheval, quittent la route bordant une rivière pour s’enfoncer dans un bois à la masse compacte et sombre. La feuille fut acquise par Frits Lugt à Londres en 1929 auprès d’un certain Richeton, avec neuf autres œuvres. Sur sa carte d’inventaire, on lit : « Anonyme, à la manière d’Agricola ».

Bien qu’on puisse comprendre la comparaison avec les délicates gouaches de l’artiste de Ratisbonne, Christoph Ludwig Agricola (1665-1724), le dessin de la Fondation Custodia (fig. 1) présente des correspondances beaucoup plus étroites avec des œuvres conservées au Cabinet des Estampes et des dessins des Musées de Strasbourg (CED) au nom de Jean-Daniel Heimlich (1740-1796), et notamment avec une feuille qui est entrée en 2019 dans les collections (fig. 2)1. En confrontant les deux dessins, on observe la même touche qui modèle les volumes des feuillages des arbres, la forme du clocher avec sa flèche légèrement penchant vers la droite, la transparence dans le traitement de l’eau de la rivière qui s’écoule en arrière-plan. 

2. Jean-Daniel Heimlich, Nocturne, vers 1770
Gouache. – 125 × 218 mm
Musées de la Ville de Strasbourg, Cabinet des estampes et des dessins, inv. 77.2019.1.1
Photo : Musées de la Ville de Strasbourg

« Heimlich » signifie « secret » en allemand, et l’artiste qui porte ce nom est en effet assez évasif. Pendant longtemps, les sources pensèrent voir en les signatures d’une série de Vues des environs de Paris parue en 1765 un pseudonyme de l’artiste allemand Johann Eleazar Schenau (1737-1806). Rien n’indique pourtant une participation de ce dernier, établi à Dresde, dans la série qui porte en plus l’adresse d’un éditeur parisien2. Peu d’informations sur Heimlich nous sont parvenues. Il est baptisé à Strasbourg le 13 février 1740, et devient apprenti dès 1756 à la Tribu de l’Échasse, guilde strasbourgeoise qui comprenait les peintres. Après son apprentissage, Heimlich se rend à Paris, probablement de 1759 à 1765, mais il est de retour à Strasbourg en 1772, année où il obtient sa maîtrise de la Tribu de l’Échasse. Il réapparaît durant la tourmente révolutionnaire puisqu’il est membre de la Censure révolutionnaire chargée de la peinture religieuse de la Cathédrale de Strasbourg. Il meurt dans sa ville natale le 24 novembre 17963.

À l’opposé de ses estampes, d’habitude signées Heimlich fecit ou D. Heimlich. f., l’artiste ne semble guère avoir pris soin de signer ou dater ses dessins, et on en reste donc réduit à la comparaison stylistique pour identifier ses feuilles4. Elles sont souvent exécutées à la gouache, avec des dimensions homogènes d’environ 150 mm sur 170 mm, et il est aisé de reconnaitre sa manière distincte de représenter le feuillage : après avoir établi le tronc et les branches tortueuses, il ajoute le feuillage en partant d’un rameau principal. Feuille par feuille, il vient apposer trois touches de verts différents, créant ainsi le volume de l’épais du feuillage verdoyant. Une autre caractéristique est son traitement de la figure humaine. Heimlich fait presque se fondre ses personnages dans le paysage environnant en réemployant les mêmes tons que le fond. Aux visages peu distinctifs, ils sont souvent quelque peu trapus et carrés des épaules et portent les mêmes vêtements d’une feuille à l’autre5.

Il se cache probablement dans d’autres collections des œuvres de notre presque inconnu, qui pourraient venir compléter le petit corpus associé à ce jour à Jean-Daniel Heimlich. L’artiste a peint et gravé des portraits, des sujets religieux et pastoraux, ainsi que des paysages et des vues de Strasbourg qui reflètent son intérêt pour l’art du paysage néerlandais du XVIIe siècle. Une sensibilité toute particulière à l’art hollandais du Siècle d’or est présente, et non par hasard, dans la création artistique en Alsace aux siècle suivant. En effet, le Rhin sert de voie d’échanges non seulement pour le commerce mais également pour les artistes. Ainsi, des thématiques chères aux artistes néerlandais se retrouvent-elles dans les scènes pastorales de Philippe-Jacques de Loutherbourg (1740-1812), à l’évidence très impressionné par l’art de Nicolaes Berchem (1620-1683), ou dans les scènes d’intérieur de Martin Drölling (1786-1851) et ses fils qui imitent Adriaen van Ostade (1610-1685)6.

Nora Belmadani

1Inv. 77.2019.1.1. Cette feuille anonyme avait été reconnue comme une œuvre de Heimlich par Florian Siffer, conservateur, qui l’acquit pour le CED.

2Andreas Andresen, Der Deutsche Peintre-Graveur, vol. V, Leipzig 1872, p. 367-370, nos. 19-28. Par ailleurs, l’auteur prétend (p. 366) que Schenau signait tous ses paysages gravés avec le nom Heimlich.

3Pour les données biographiques, voir Édouard Sitzmann, Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, vol. 1, Rixheim 1909, p. 735-736 ; Werner Schmidt, « Daniel Heimlich, ein Strassburger Künstler des 18. Jahrhunderts », Kunstchronik und Kunstmarkt, vol. 56 (1920/1921), p. 573-576 ; Victor Beyer dans Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, vol. 16 (1990), Strasbourg 1990, p. 1483 ; Viktoria von der Brüggen, « Une topographie pittoresque : l’appropriation artistique du paysage alsacien autour de 1800 », dans ead. et Christine Peltre (dir.), L’Alsace pittoresque : L’invention d’un paysage 1700-1870, cat. exp. Colmar, Musée Unterlinden 2011, p. 41-57.

4À l’exception de Chaumière dans le bois, Strasbourg, CED, inv. 77.985.0.1913.

5CED, Strasbourg, inv. 77.985.0.1235, 77.985.0.1913 et 77.2019.1.1.

6Voir Hans Haug, L’Art en Alsace, Strasbourg, 1962 ; Catherine Jordy, L’Alsace vue par les peintres, Thionville 2002 ; Laetitia Levrat, Martin Drölling (Bergheim 1752 – Paris 1817), thèse de master, Université de Grenoble, 2010 ; Viktoria von der Brüggen et Christine Peltre (dir.), L’Alsace pittoresque : L’invention d’un paysage, 1700-1870, cat. exp. Colmar, Musée Unterlinden, 2011.

Trésors cachés de la Fondation Custodia : les miniatures indo-persanes

Les spécialistes de la peinture indienne œuvrant dans les grandes institutions patrimoniales ainsi que les collectionneurs apprécient souvent cette collection, pourtant largement méconnue du grand public.

Mària van Berge-Gerbaud, ancienne directrice de la Fondation Custodia jusqu’en 2010, rapportait encore en septembre dernier son étonnement lorsque, au cours d’un de ses voyages en Inde, elle rendit visite le 30 avril 1990 à un collectionneur privé et artiste, Jagdish Mittal d’Hyderabad (né en 1925), qui connaissait déjà la collection de Frits Lugt. À son arrivée, après un long cheminement jusqu’au fin fond d’une lointaine banlieue de cette ville, son hôte simplement habillé d’une traditionnelle dhoti l’accueillit en levant un bras au ciel et s’exclamant avec force : « Collection Lukt, collection Lukt, collection Lukt ! ». Quelle ne fût pas la surprise de M. van Berge-Gerbaud ! Ainsi ce grand collectionneur manifesta avec fort enthousiasme son admiration pour ces miniatures. Cette rencontre permit à M. van Berge-Gerbaud de comprendre à quel point cet ensemble de peintures, certes réduit en nombre, avait un intérêt qui dépassait de très loin la simple sphère française. En effet, cette collection se caractérise bien par la très grande qualité de ses œuvres, véritables pépites qui ravissent les passionnés d’art indien.

Frits Lugt (1884-1970) et son épouse Jacoba Lugt-Klever (1888-1969) acquirent entre 1921 et 1961 vingt-deux miniatures indo-persanes, dont dix miniatures indiennes, onze miniatures persanes ainsi qu’une autre miniature dont l’origine, indienne ou persane, reste incertaine. C’est fort peu, comparé à l’ensemble de leur fonds de dessins et d’estampes sur support en papier1. Cependant la récurrence de leurs achats dans le temps souligne la constance de leur curiosité pour ce genre particulier d’œuvres d’art, alors qu’ils auraient pu complètement délaisser cet aspect de leurs collections.

  • 1. Officier debout tenant un faucon, École moghole, fin du XVIIe siècle
    Pigments et liants à l’eau, rehaussés d’or, sur papier ; miniature collée en plein sur papier
    152 × 101 mm (192 × 101 mm avec montage)
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 779
  • 2. Nawab Siraj-ud-Daula (1736-1757) du Bengale, assis sur une terrasse avec son frère Mirza Mahdi (mort en 1757), École de Murshidabad, vers 1756
    Pigments et liants à l’eau, rehaussés d’or et d’argent (oxydé ?), sur papier ; miniature collée en plein sur une page d’album
    352 × 249 mm (402 × 296 mm avec feuille d’album)
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 780
  • 3. Vue du jardin d’un palais, Deccan, École d’Hyderabad, vers 1750
    Pigments et liants à l’eau, sur papier ; miniature collée en plein sur une page d’album
    273 × 332 mm (367 × 414 mm avec feuille d’album)
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 781

Leurs premiers achats se firent assez tôt, en décembre 1921, lors de la vente Alfred Strölin à Paris, alors qu’ils ne collectionnaient que depuis six ans. Il s’agit de quatre miniatures indiennes, dont deux portraits, l’un, de style moghol, d’un officier tenant un faucon sur un fond vert opaline (fig. 1), l’autre, du style de Murshidabad, du Nabab Suraj-ud-Daula du Bengale en compagnie de son frère (fig. 2), ainsi que d’une peinture du Deccan d’une vue sur le jardin d’un palais idéal (fig. 3). Elles sont achetées pour un total de 100 Dfl., ce qui représentait à l’époque une somme déjà conséquente. Une autre miniature inscrite sous le numéro 778 est décrite par Frits Lugt dans son livre d’inventaire comme représentant un couple de mariés sous un baldaquin, entouré de danseurs. Malheureusement, il ajouta plus tard qu’elle fut perdue pendant la Seconde Guerre mondiale.

4. Rembrandt Harmensz van Rijn (Leyde 1606 – 1669 Amsterdam), Shah Jahan, vers 1656-1661
Plume et encre brune, lavis brun, sur papier oriental ; dessin collé en plein sur un ancien montage
178 × 101 mm (245 × 172 mm avec montage)
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 592

Selon Carlos van Hasselt (1929-2009), ancien directeur de la Fondation Custodia, l’intérêt du couple Lugt se serait éveillé avant 1921, comme en témoigne leur acquisition du 5 novembre 1920 de l’un des vingt-cinq dessins faits par Rembrandt d’après des miniatures mogholes (fig. 4)2. Si l’achat en 1921 des deux portraits se comprend dans ce contexte, le choix de la miniature du Deccan s’avère plus original pour l’époque où l’attention générale des collectionneurs n’était pas encore tournée vers les miniatures du Centre de l’Inde3 : a-t-il été simplement dû au fait que les trois peintures étaient dans la même vente ? Ou le couple Lugt appréciait-il vraiment de la même manière que les deux portraits cette vue sur ce jardin imaginaire ? Avait-il l’intuition de la très grande qualité de cette œuvre ? Quoiqu’il en soit, cette troisième miniature s’avère avoir été un très bel achat qui ne serait probablement plus possible aujourd’hui compte tenu de l’envolée des prix des miniatures sur le marché de l’art4.

Le ton de la collection de miniatures indo-persanes était ainsi donné : il serait largement centré sur l’art du portrait de cour en contexte moghol. Par la suite, les directeurs successifs, en particulier Carlos van Hasselt, enrichirent régulièrement le fonds, l’ouvrant sur d’autres sujets tels que des illustrations de textes classiques, des iconographies religieuses et d’écoles stylistiques régionales, essentiellement du Nord de l’Inde. Ces miniatures furent en grande partie exposées à l’Institut Néerlandais en 1974, 1979 et 1986, puis à la Fondation Custodia en 1991. La dernière exposition de miniatures à la Fondation Custodia, Couleurs de l’Inde, nouvelles acquisitions de la Collection Frits Lugt, eut lieu en 2002. Depuis, ces pièces exceptionnelles continuent d’être régulièrement prêtées à travers le monde. Enfin, ces dernières années, le fonds indo-persan a été enrichi par des achats et dons de quarante-quatre miniatures supplémentaires, amenant ainsi la collection à une totalité de 230 numéros d’inventaire5.

Dr Anne-Colombe Launois

Photo : Yannick Pyanee

Dr Anne-Colombe Launois vient de recevoir de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, Paris, le Prix Flora Blanchon pour l’année 2023. Ce Prix finance la publication de sa thèse intitulée Images d’une royauté indienne, la dynastie sikhe de Patiala et son palais fortifié, 18e-19e siècles. Son doctorat en Histoire et Civilisations a été soutenu en décembre 2021 à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), au Centre d’Études de l’Inde et de l’Asie du Sud (CEIAS) aujourd’hui fondu dans le nouveau Centre d’Études Sud-Asiatiques et Himalayennes (CEHAS), Paris. La publication est prévue aux Presses Universitaires de Valenciennes, dans la collection « Mondes d’ailleurs ». Ses recherches portent sur les peintures du Nord de l’Inde, notamment sur le Qila Mubarak, fort de Patiala (Panjab), où elle a dressé un inventaire exhaustif d’environ mille cent peintures murales, en grande partie inspirées par l’art des miniatures et des manuscrits.

Elle a rejoint l’équipe de la Fondation Custodia en février 2023, afin de faire le récolement des miniatures indiennes et persanes, en vue de la mise en ligne des diverses collections de la Fondation ; mission exécutée en collaboration avec Rhea Sylvia Blok, conservatrice.

1L’inventaire de leur collection entre 1915 et 1970 indique 9400 numéros ; cependant, certains numéros ne correspondent plus à aucune œuvre en raison d’échanges ou de ventes, et d’autres numéros sont attribués à des lots d’œuvres.

2Sven Gahlin et Mària van Berge-Gerbaud, L’Inde des légendes et des réalités. Miniatures indiennes et persanes de la Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, Institut Néerlandais, 1986, p. VII.

3Une première synthèse sur la peinture du Deccan est publiée plus tardivement en 1937 par St. Kramrisch (A Survey of Painting in the Deccan, Londres, The India Society). Cependant c’est seulement à partir des années 1950 que se développe un véritable intérêt pour les écoles régionales (Brijinder Nath Goswamy, « On the Study of Pahari Painting », dans Five Punjabi Centuries, Policy, Economy, Society and Culture, c. 1500-1990, Essays for J. S. Grewal, édité par Indu Banga, New Delhi, Manohar, 1997, p. 564-595). Sur le Deccan, voir l’ouvrage de référence de Mark Zebrowski, Deccani Painting, Londres et Berkeley/Los Angeles, 1983.

4Il est difficile d’intégrer dans cette réflexion sur les motivations des Lugt la miniature indienne inv. 778 disparue car sa description est très réduite. Nous pouvons tout au plus émettre l’hypothèse qu’elle aurait pu illustrer l’iconographie classique d’un « jeu divin » du dieu Krishna (Krishna lila) et de sa bien-aimée Radha.

5Certains de ces numéros concernent en réalité deux peintures, l’une au recto, l’autre au verso, d’une même œuvre.

Catalogue des porcelaines chinoises de la Fondation Custodia

Nouvelle publication

1. Cabinet pour les porcelaines, ‘salle à manger’, hôtel Turgot, Paris
Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris

Un visiteur de la Fondation Custodia sera peut-être intrigué de trouver dans cette « maison de l’art sur papier » et de l’art hollandais, des porcelaines chinoises dont le bleu et blanc se détache au cœur des salons de l’hôtel Turgot (fig. 1). On saura lui expliquer que de telles œuvres répondaient au goût hollandais du XVIIe siècle et qu’un cabinet de porcelaines ornait traditionnellement les intérieurs les plus sophistiqués du Siècle d’or. Conscient de cela, Frits Lugt (1884-1970) s’attacha à les collectionner et à les présenter parmi les autres œuvres qui composaient sa collection.

S’appuyant sur ses connaissances d’historien de l’art et sur la qualité de son œil, Lugt rassembla une collection d’objets asiatiques plus vaste et diversifiée qu’elle ne l’est aujourd’hui, avant de la consacrer spécifiquement aux porcelaines décorées au bleu de cobalt. Aujourd’hui, cet ensemble de grande qualité compte 122 pièces chinoises et 3 japonaises. Le fonds se compose d’œuvres exécutées aussi bien pour l’exportation vers le marché européen que pour l’usage chinois, essentiellement entre le XVIe et le XVIIIe siècle (fig. 2). Il reflète la préférence hollandaise pour les porcelaines Kraak, de Transition, ou Kangxi, mais présente aussi des porcelaines Ming et Qing.

  • 2. Plat, Jingdezhen
    Kangxi, daté 1672
    Porcelaine. – 27,4 cm (diamètre)
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 6658
  • 3. Plaque avec un décor en trompe-l’œil, Jingdezhen
    Qianlong, 1760-1770
    Porcelaine. – 27,1 × 35,2 cm
    Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2011-C.1

Quelques rares œuvres furent ajoutées à cet ensemble par les directeurs de la Fondation Custodia après Frits Lugt. L’effort le plus conséquent fut celui de Ger Luijten qui acquit quelques remarquables pièces, parmi lesquelles une rare plaque ornée d’un décor en trompe-l’œil imitant une estampe ou un dessin hollandais du XVIIe siècle, faisant ainsi le lien avec les autres œuvres de la Fondation (fig. 3). Mû par son désir insatiable d’explorer les moindres aspects de nos collections et de partager avec le plus grand nombre leurs trésors, Ger Luijten décida la publication du catalogue raisonné des porcelaines chinoises et japonaises de la Fondation Custodia. La tâche fut confiée à l’éminent spécialiste néerlandais de la question, Christiaan J. A. Jörg. Le catalogue remplace la petite publication de 1981, illustrée principalement en noir et blanc et écrite par Daan F. Lunsingh Scheurleer, dont la mise à jour était désormais nécessaire et permise grâce aux progrès scientifiques importants faits dans ce domaine, au cours des dernières décennies. Dans le nouvel ouvrage, chacune des 125 pièces de la collection est reproduite sous de multiples angles, décrite en détail et replacée dans son contexte scientifique. Une attention particulière est portée à leur iconographie, leurs inscriptions et leurs marques. Un texte très complet retrace également l’histoire de la collection, et des essais plus courts introduisent chacune des six sections chronologiques (fig. 4).

4. Double page intérieure du catalogue

Ce projet de catalogue raisonné a constitué une occasion privilégiée pour réaliser un chantier scientifique autour de cette collection de porcelaines chinoises, à la Fondation Custodia. Grâce à un travail de récolement et d’identifications des pièces, les inventaires ont pu être mis à jour. Chaque œuvre a fait l’objet d’une description détaillée et fut documentée afin d’en avoir une meilleure connaissance. Enfin, un soin particulier a été apporté à leur matérialité. Avant la réalisation d’une couverture photographique complète, les porcelaines ont été soigneusement dépoussiérées. L’évaluation globale de l’état du fonds a permis d’identifier celles qui nécessitaient un traitement de conservation spécifique et plus lourd, mené par la restauratrice Cécile de Chillaz (fig. 5a-c). Tout en respectant leur caractère historique et patrimonial, elle leur a rendu leur intégrité.

  • 5a. Bol en porcelaine, avant restauration
  • 5b. Bol en porcelaine, en cours de restauration
  • 5c. Bol en porcelaine, après restauration

Le catalogue raisonné des porcelaines chinoises et japonaises de la Fondation Custodia a été présenté à un public de connaisseurs et à la presse le 8 juin dernier, en présence de son auteur, Christiaan J. A. Jörg, dans le cadre du Printemps asiatique à Paris.

Chinese and Japanese Porcelain in the Frits Lugt Collection
Christiaan J. A. Jörg
Paris, Fondation Custodia, 2023
272 pages, env. 430 illustrations en couleur, 28 × 25 cm, relié, en anglais
ISBN 9 782958 323431
45,00

Pour commander cet ouvrage, merci de compléter le formulaire ci-dessous. Une facture vous sera envoyée dans les meilleurs délais, incluant les frais d’expédition. Le règlement se fera par virement bancaire.

Les informations recueillies à partir de ce formulaire sont destinées à la Fondation Custodia afin qu’elle puisse traiter votre commande. Conformément à la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 modifiée et au Règlement Général sur la Protection des Données, vous disposez sur vos données d’un droit d’accès, de rectification, de limitation, de portabilité et de suppression. Pour exercer ces droits, vous pouvez contacter la Fondation Custodia, 121 rue de Lille, 75007 Paris, +33 (0)1 47 05 75 19, coll.lugt@fondationcustodia.fr. En savoir plus sur notre Politique de confidentialité.

Christelle Téa à la Fondation Custodia

Nouvelle publication

Née en 1988, Christelle Téa porte sur le monde, les objets et les matières, un regard sans hiérarchie, cherchant à capter la complexité du visible et les éléments qui la composent. L’artiste s’exprime par le dessin pour représenter ce qui l’entoure. Ses sujets, explorés par série, touchent aussi bien les paysages (notamment urbains) que les vues d’intérieurs, les portraits ou les natures mortes.

Le nom de Christelle Téa était déjà familier pour une partie de l’équipe de la Fondation Custodia quand, au printemps 2021, elle frappa à la porte du 121 rue de Lille à la recherche de bibliothèques remarquables pour une série dessinée. Finalement, l’attention de l’artiste fut retenue par l’intimité des lieux, la beauté et le foisonnement des intérieurs des hôtels Turgot et Lévis-Mirepoix qui accueillent l’institution au cœur de Paris. « Le lieu m’a inspirée, c’est comme un cocon hors du temps ; j’avais l’impression d’être ailleurs. […] C’est comme un petit bijou. » À la demande de Ger Luijten, elle réalisa, entre le 8 mars 2021 et le 22 août 2022, une série de quarante vues de la Fondation Custodia, ses salons, ses réserves et ses moindres recoins.

  • Hôtel Turgot. Façade sur jardin, 14.VI.2021
    Encre de Chine sur papier, 650 × 500 mm
    © Christelle Téa
  • Réserve des dessins, 27.VII.2021
    Encre de Chine sur papier, 650 × 500 mm
    © Christelle Téa

Se glissant discrètement parmi les œuvres et les membres de la Fondation Custodia, Christelle Téa dessina sur le vif, à l’encre de Chine, sur de grandes feuilles de format Raisin (65 × 50 cm), selon sa technique de prédilection. Celle-ci ne lui autorise ni étude préliminaire, ni repentir. De son trait fin et sûr, de son style si personnel et reconnaissable, l’artiste a su capter autant l’âme de ce lieu que le quotidien des personnes qui y évoluent : « Il y a une belle atmosphère. Ce n’est pas comme un musée, c’est comme une petite fourmilière où tout le monde travaille, c’est un lieu de vie. Avec beaucoup d’art, de goût. »

  • L’Escalier, 26.VII.2021
    Encre de Chine sur papier, 650 × 500 mm
    © Christelle Téa
  • Christelle Téa dessinant dans l’escalier de l’hôtel Turgot

Conçu tel un portefolio, comme le carton à dessins dans lequel l’artiste transporte ses œuvres, ce grand catalogue inédit offre une déambulation au sein de la Fondation Custodia, riche d’un fourmillement de matières et de détails, auxquels Christelle Téa est si attachée. Celle-ci sait aussi nous surprendre par des points de vue inattendus et nous fait (re)découvrir les lieux sous un nouveau jour.

La série des dessins est introduite par une interview de Christelle Téa qui éclaire son parcours, sa conception et sa pratique de l’art. Cet entretien a été conduit en septembre 2022 par le directeur de la Fondation Custodia Ger Luijten, disparu en décembre de cette même année et porteur de ce projet qui lui tenait à cœur, accompagné de Maud Guichané.

Christelle Téa à la Fondation Custodia
Maud Guichané & Ger Luijten (dir.)
Fondation Custodia, Paris, 2023
100 pages, c. 44 illustrations, 38 × 29 cm, relié, en français
ISBN 978 2 9583234 4 8
30,00 €

Pour commander cet ouvrage, merci de compléter le formulaire ci-dessous. Une facture vous sera envoyée dans les meilleurs délais, incluant les frais d’expédition. Le règlement se fera par virement bancaire.

Les informations recueillies à partir de ce formulaire sont destinées à la Fondation Custodia afin qu’elle puisse traiter votre commande. Conformément à la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 modifiée et au Règlement Général sur la Protection des Données, vous disposez sur vos données d’un droit d’accès, de rectification, de limitation, de portabilité et de suppression. Pour exercer ces droits, vous pouvez contacter la Fondation Custodia, 121 rue de Lille, 75007 Paris, +33 (0)1 47 05 75 19, coll.lugt@fondationcustodia.fr. En savoir plus sur notre Politique de confidentialité.

Nouvelles des Marques de collections des dessins & d’estampes

Trois nouvelles importantes viennent marquer cet hiver concernant l’équipe et la base de données des Marques de collections de dessins & d’estampes.

Le 1er octobre 2022, le Dr. Peter Fuhring a pris sa retraite. Spécialiste de l’ornement et des arts décoratifs du XVIe au XVIIIe siècle, il avait rejoint Rhea Sylvia Blok et Laurence Lhinares en 2005 afin de travailler au projet de la réédition augmentée de l’ouvrage de référence de Frits Lugt, projet qui a abouti en la mise en ligne de la base de données en 2010. Depuis, ce répertoire a été considérablement enrichi de nouvelles marques de collections et de nombreuses mises à jour ont été effectuées. Peter Fuhring continuera à rédiger des notices pour la base de données en tant que collaborateur extérieur pendant quelque temps.

En 2023, nous avons eu la joie d’accueillir Regina Luijten et Marie-Liesse Choueiry au sein de l’équipe des Marques de collections de dessins & d’estampes. Marie-Liesse Choueiry a notamment travaillé aux côtés de Pierre Rosenberg en tant que collaboratrice scientifique sur le projet des catalogues des dessins italiens, puis des dessins flamands, hollandais et allemands de la collection de Pierre-Jean Mariette (1694-1774). Regina Luijten a été conservatrice au Museu Nacional de Arte Antiga à Lisbonne et mettra ses connaissances au service notamment des marques de collections des musées portugais et espagnols. Leur intérêt pour l’histoire des collections et les collectionneurs ainsi que leurs compétences dans le domaine de la recherche seront de grands atouts pour notre équipe.

Depuis mai 2023, à la suite de problèmes techniques de mises à jour et afin de nous adapter aux nouveaux systèmes informatiques et à leurs évolutions, nous avons entrepris une refonte de la base de données en ligne des Marques de collections avec la société Altea. Cette nouvelle version est proche dans sa configuration de celle que nous connaissions, avec quelques nouveautés dans les possibilités de recherches. Elle est fonctionnelle dès à présent.

N’hésitez pas à consulter notre base de données dont l’accès est gratuit sur
www.marquesdecollections.fr
ou à contacter l’équipe sur
marques@fondationcustodia.fr.

Pour en savoir plus sur les nouvelles fonctionnalités.

Récemment arrivés à la bibliothèque

Pour préparer les expositions, pour étudier ses œuvres d’art et d’éventuelles acquisitions, et pour écrire ses publications, l’équipe de la Fondation Custodia dispose d’une bibliothèque de recherche considérable. Elle est également ouverte aux étudiants, conservateurs et amateurs d’art qui ont besoin de ses livres et périodiques. Ces publics sont accueillis chaque après-midi du lundi au vendredi et les matins sur rendez-vous. Pour plus d’informations, consultez notre catalogue en ligne.
Voici quelques récents arrivages.

Michael Clarke et Frances Fowle, 2023

L’exceptionnelle collection de peintures françaises de la Scottish National Gallery est décrite en détail dans ce catalogue en deux volumes. Étayée par des recherches scientifiques approfondies, elle comprend de grands noms tels que Cézanne, Degas, Delacroix, Monet, Poussin et Watteau. Depuis l’ouverture de la Galerie au public en 1859, sa collection de peintures françaises n’a cessé de s’enrichir, grâce à de nombreux achats et à de généreuses donations. L’histoire de cette collection, qui reflète l’évolution des goûts et des priorités au fil des ans, est relatée dans l’essai introductif. Chaque artiste est présenté par une biographie concise, suivie de notices détaillées sur les œuvres individuelles.

 

Stefaan Hautekeete, 2023

Ce beau catalogue donne un magnifique aperçu de deux siècles d’art du dessin dans les Pays-Bas avec des feuilles de maîtres peintres tels que Pieter Bruegel l’Ancien, Cornelis Massijs, Lambert Lombard, Frans Floris, Hans Bol, Maerten de Vos, Johannes Stradanus, Otto van Veen, Lucas van Uden, Peter Paul Rubens, Jacques Jordaens, Jan Breughel l’Ancien, David Teniers ou Frans Snijders. Ils illustrent les multiples rôles que pouvait jouer le dessin. On y trouve des exercices et des copies d’après les grands maîtres du passé, réalisées par de jeunes artistes au cours de leur formation ; les études d’anatomie, de poses ou d’expressions du corps et du visage humains qui sont autant d’étapes dans le processus créatif d’un tableau, ainsi que les études plus élaborées pour un tableau, une tapisserie ou un vitrail où l’artiste échafaude l’ensemble de sa composition ; il y a enfin les dessins indépendants, réalisés pour être offerts à des clients ou des amis artistes, ou pour être vendus en tant qu’œuvres d’art autonomes.
Une sélection sera exposée à Bruxelles cet automne.

 

Edina Adam et Michelle Sullivan, 2024

Ce volume est publié à l’occasion de l’exposition homonyme qui a été inaugurée le 30 janvier au Getty Museum de Los Angeles. La riche histoire du papier bleu, de la fin du XVe au milieu du XVIIIe siècle, met en lumière les thèmes des échanges transculturels, du commerce international et de la portée mondiale. À travers l’examen d’œuvres significatives, cette étude se penche sur des considérations relatives à l’approvisionnement, à l’utilisation, à l’économie et à la pratique créative innovante. Comment les matériaux nécessaires à la production du papier bleu ont-ils atteint les centres artistiques ? Comment ces matériaux ont-ils été produits et utilisés dans différentes régions ? Pourquoi ont-ils attiré les artistes et comment ont-ils eu un impact sur la pratique artistique et ont-ils été associés à des identités artistiques régionales ? Comment les relations commerciales, politiques et culturelles, ainsi que la mobilité des artistes, ont-elles permis la dispersion de ces matériaux et des techniques associées ?

Wilfred de Bruijn