Accueil Catalogues en ligne Enfants du Siècle d’or 31. Michaelina Wautier (Mons 1617 1689 1710 Bruxelles), atelier de Bruges 1603 – 1671 Bruges Trois jeunes gens, l’un dessinant Un garçon de quatorze ou quinze ans est concentré sur le dessin qu’il exécute à la pierre noire sur une feuille de papier bleu. Il a l’âge qu’avaient les apprentis au XVIIe siècle lorsqu’ils entraient dans l’atelier d’un peintre pour y suivre son enseignement avant de devenir – s’ils étaient suffisamment doués et que la taille de l’atelier le permettait – assistants du maître. Bien avant d’apprendre la peinture, on apprenait à dessiner. Le dessin était considéré depuis le XVIe siècle comme la base essentielle du métier et comme le Père de la Peinture, de l’Architecture et de la Sculpture, ainsi que l’avait formulé Giorgio Vasari (1511-1574) dans ses Vies des peintres. Dans certains grands ateliers comme celui de Rembrandt (voir cat. 38), nombre d’apprentis venaient d’ailleurs uniquement apprendre le dessin, sans suivre d’enseignement de la peinture. Soit qu’ils fussent de futurs artisans, dont le métier reposait également sur le dessin comme les orfèvres, ou bien de jeunes gens de bonne famille, dont les parents souhaitaient qu’ils maîtrisassent cet art élégant et utile, notamment pour les carrières militaires1. L’espace dans lequel se trouvent notre jeune dessinateur et ses deux acolytes ne fait d’ailleurs pas à première vue penser à celui d’un atelier tel qu’on les connaît des nombreuses représentations, souvent partiellement fictives il est vrai, qu’en ont données les peintres du XVIIe siècle. La balustrade caressée par la lumière dorée évoque la présence d’un escalier que l’on imagine dans un vaste bâtiment. Sommes-nous dans le spacieux atelier d’un peintre à succès, ou dans la demeure d’un collectionneur dont le garçon est en train de dessiner l’une des sculptures2 ? Le jeune homme habillé de rouge n’a pas l’air beaucoup plus âgé que notre dessinateur, mais son chapeau et son attitude protectrice et encourageante – la main sur l’épaule, le regard concentré sur le travail de l’enfant – laissent penser qu’il est peut-être son maître ou du moins son supérieur dans l’atelier. Lorsque le tableau est passé en vente à Londres en 1957, il était attribué à Wallerant Vaillant (1623-1677), artiste d’origine lilloise, qui fit une belle carrière internationale, notamment dans les Pays-Bas et les pays de langue germanique. Excellent portraitiste, Vaillant a également peint et gravé en manière noire de nombreuses représentations de jeunes dessinateurs (voir cat. 43). C’est certainement la raison pour laquelle le tableau lui était attribué en 1957 ; cependant Frits Lugt, dans son exemplaire du catalogue de la vente où il acquit l’œuvre, avait inscrit un point d’interrogation à côté du nom de l’artiste et proposé celui de Jacob van Oost l’Ancien (1603-1671). Ce peintre de Bruges a réalisé en 1666 un intérieur d’atelier avec trois garçons dessinant d’après des sculptures3. Si ce tableau offre une mise en scène très différente de celui de la Fondation Custodia, on y trouve des similarités techniques qui donnaient quelques fondements à cette attribution, notamment le contraste entre le traitement enlevé des draperies et le rendu plus fondu des autres parties de la composition. On attribue en outre à Jacob van Oost l’Ancien plusieurs représentations d’enfants ou de jeunes gens avec des expressions quelque peu mélancoliques, comparables à celles de nos trois garçons4. C’est le cas du Jeune homme écrivant du musée des beaux-arts de Nantes5 et du tableau Deux garçons soufflant des bulles de savon conservé à Seattle (Art Museum)6. Ce dernier a toutefois récemment été attribué à Michaelina Wautier7. Juste retour des choses puisque de nombreuses œuvres de cette femme peintre furent par le passé données à Jacob van Oost l’Ancien8. Une seconde version du tableau – plus faible et de plus petites dimensions – est également connue9. Elle présente quelques similitudes avec l’œuvre de la Fondation Custodia : de curieux rehauts de blancs pour illuminer la draperie rouge et un traitement un peu heurté des carnations dans les visages que l’on retrouve chez les deux jeunes gens à droite du tableau de Paris10. Katlijne Van der Stighelen, à qui l’on doit la récente exposition monographique consacrée à l’artiste, a confirmé que nos trois dessinateurs ont fort bien pu être créés dans l’atelier de Michaelina Wautier. CT 1Voir notamment Punam Madhok, The Drawing books of Henry Peacham and Jan de Bisschop and the place of drawing in the education of a Renaissance gentleman, thèse University of Illinois, 1993, Ann Arbor, 2004, passim. 2Le dessin d’après la sculpture était l’une des étapes du curriculum pour l’apprentissage de cet art. Voir notamment G. Bleeke-Byrne, « The Education of the Painter in the Workshop », dans Children of Mercury. The Education of Artists in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, cat. exp., Providence (RI), Brown University, List Art Center, 1984, p. 28-39, p. 35. 3Bruges, Groeningemuseum, huile sur toile, 122 × 98 cm, inv. 0.188. Dans sa monographie sur l’artiste, Jean-Luc Meulemeester avait donné ce tableau à Jan van Oost le Jeune : op. cit., p. 403, n° D13. Hans Vlieghe, dans son catalogue raisonné des tableaux du musée Groeninge, a rendu l’œuvre – à raison selon nous – à Jan van Oost l’Ancien ; Hans Vlieghe, Stedelijke Musea Brugge. Catalogus schilderijen 17de en 18de eeuw, Bruges, 1994, p. 197, ill. 4Jean-Luc Meulemeester, Jacob van Oost de oudere en het zeventiende eeuwse Brugge, Bruges, 1984, nos A22, B69, B70, B75 (pour n° B69 voir aussi : https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/probably-by-jacob-van-oost-the-elder-two-boys-before-an-easel). 5Jean-Luc Meulemeester, op. cit., n° B70 ; Adeline Collange-Perugi et David Mandrella, Flamands et hollandais : la collection du musée des beaux-arts de Nantes, Milan, 2015, n° 33, p. 114-115, ill. 6Jean-Luc Meulemeester, op. cit., n° B75. 7Katlijne Van der Stighelen et al., Michaelina Wautier 1604-1689 : glorifying a forgotten talent, cat. exp., Anvers, Museum aan de Stroom (MAS), 2018, n° 19. 8Ibid., p. 152. 9Ibid., n° 19b. 10Cette faiblesse technique, qui contraste avec la finesse d’exécution que présente le dessinateur de profil, est peut-être imputable à l’état de conservation de l’œuvre. La restauration récente a mis au jour d’importantes déchirures de la toile qui ont été couvertes de repeints après son rentoilage, probablement au milieu du XXe siècle.
Un garçon de quatorze ou quinze ans est concentré sur le dessin qu’il exécute à la pierre noire sur une feuille de papier bleu. Il a l’âge qu’avaient les apprentis au XVIIe siècle lorsqu’ils entraient dans l’atelier d’un peintre pour y suivre son enseignement avant de devenir – s’ils étaient suffisamment doués et que la taille de l’atelier le permettait – assistants du maître. Bien avant d’apprendre la peinture, on apprenait à dessiner. Le dessin était considéré depuis le XVIe siècle comme la base essentielle du métier et comme le Père de la Peinture, de l’Architecture et de la Sculpture, ainsi que l’avait formulé Giorgio Vasari (1511-1574) dans ses Vies des peintres. Dans certains grands ateliers comme celui de Rembrandt (voir cat. 38), nombre d’apprentis venaient d’ailleurs uniquement apprendre le dessin, sans suivre d’enseignement de la peinture. Soit qu’ils fussent de futurs artisans, dont le métier reposait également sur le dessin comme les orfèvres, ou bien de jeunes gens de bonne famille, dont les parents souhaitaient qu’ils maîtrisassent cet art élégant et utile, notamment pour les carrières militaires1. L’espace dans lequel se trouvent notre jeune dessinateur et ses deux acolytes ne fait d’ailleurs pas à première vue penser à celui d’un atelier tel qu’on les connaît des nombreuses représentations, souvent partiellement fictives il est vrai, qu’en ont données les peintres du XVIIe siècle. La balustrade caressée par la lumière dorée évoque la présence d’un escalier que l’on imagine dans un vaste bâtiment. Sommes-nous dans le spacieux atelier d’un peintre à succès, ou dans la demeure d’un collectionneur dont le garçon est en train de dessiner l’une des sculptures2 ? Le jeune homme habillé de rouge n’a pas l’air beaucoup plus âgé que notre dessinateur, mais son chapeau et son attitude protectrice et encourageante – la main sur l’épaule, le regard concentré sur le travail de l’enfant – laissent penser qu’il est peut-être son maître ou du moins son supérieur dans l’atelier. Lorsque le tableau est passé en vente à Londres en 1957, il était attribué à Wallerant Vaillant (1623-1677), artiste d’origine lilloise, qui fit une belle carrière internationale, notamment dans les Pays-Bas et les pays de langue germanique. Excellent portraitiste, Vaillant a également peint et gravé en manière noire de nombreuses représentations de jeunes dessinateurs (voir cat. 43). C’est certainement la raison pour laquelle le tableau lui était attribué en 1957 ; cependant Frits Lugt, dans son exemplaire du catalogue de la vente où il acquit l’œuvre, avait inscrit un point d’interrogation à côté du nom de l’artiste et proposé celui de Jacob van Oost l’Ancien (1603-1671). Ce peintre de Bruges a réalisé en 1666 un intérieur d’atelier avec trois garçons dessinant d’après des sculptures3. Si ce tableau offre une mise en scène très différente de celui de la Fondation Custodia, on y trouve des similarités techniques qui donnaient quelques fondements à cette attribution, notamment le contraste entre le traitement enlevé des draperies et le rendu plus fondu des autres parties de la composition. On attribue en outre à Jacob van Oost l’Ancien plusieurs représentations d’enfants ou de jeunes gens avec des expressions quelque peu mélancoliques, comparables à celles de nos trois garçons4. C’est le cas du Jeune homme écrivant du musée des beaux-arts de Nantes5 et du tableau Deux garçons soufflant des bulles de savon conservé à Seattle (Art Museum)6. Ce dernier a toutefois récemment été attribué à Michaelina Wautier7. Juste retour des choses puisque de nombreuses œuvres de cette femme peintre furent par le passé données à Jacob van Oost l’Ancien8. Une seconde version du tableau – plus faible et de plus petites dimensions – est également connue9. Elle présente quelques similitudes avec l’œuvre de la Fondation Custodia : de curieux rehauts de blancs pour illuminer la draperie rouge et un traitement un peu heurté des carnations dans les visages que l’on retrouve chez les deux jeunes gens à droite du tableau de Paris10. Katlijne Van der Stighelen, à qui l’on doit la récente exposition monographique consacrée à l’artiste, a confirmé que nos trois dessinateurs ont fort bien pu être créés dans l’atelier de Michaelina Wautier. CT 1Voir notamment Punam Madhok, The Drawing books of Henry Peacham and Jan de Bisschop and the place of drawing in the education of a Renaissance gentleman, thèse University of Illinois, 1993, Ann Arbor, 2004, passim. 2Le dessin d’après la sculpture était l’une des étapes du curriculum pour l’apprentissage de cet art. Voir notamment G. Bleeke-Byrne, « The Education of the Painter in the Workshop », dans Children of Mercury. The Education of Artists in the Sixteenth and Seventeenth Centuries, cat. exp., Providence (RI), Brown University, List Art Center, 1984, p. 28-39, p. 35. 3Bruges, Groeningemuseum, huile sur toile, 122 × 98 cm, inv. 0.188. Dans sa monographie sur l’artiste, Jean-Luc Meulemeester avait donné ce tableau à Jan van Oost le Jeune : op. cit., p. 403, n° D13. Hans Vlieghe, dans son catalogue raisonné des tableaux du musée Groeninge, a rendu l’œuvre – à raison selon nous – à Jan van Oost l’Ancien ; Hans Vlieghe, Stedelijke Musea Brugge. Catalogus schilderijen 17de en 18de eeuw, Bruges, 1994, p. 197, ill. 4Jean-Luc Meulemeester, Jacob van Oost de oudere en het zeventiende eeuwse Brugge, Bruges, 1984, nos A22, B69, B70, B75 (pour n° B69 voir aussi : https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/probably-by-jacob-van-oost-the-elder-two-boys-before-an-easel). 5Jean-Luc Meulemeester, op. cit., n° B70 ; Adeline Collange-Perugi et David Mandrella, Flamands et hollandais : la collection du musée des beaux-arts de Nantes, Milan, 2015, n° 33, p. 114-115, ill. 6Jean-Luc Meulemeester, op. cit., n° B75. 7Katlijne Van der Stighelen et al., Michaelina Wautier 1604-1689 : glorifying a forgotten talent, cat. exp., Anvers, Museum aan de Stroom (MAS), 2018, n° 19. 8Ibid., p. 152. 9Ibid., n° 19b. 10Cette faiblesse technique, qui contraste avec la finesse d’exécution que présente le dessinateur de profil, est peut-être imputable à l’état de conservation de l’œuvre. La restauration récente a mis au jour d’importantes déchirures de la toile qui ont été couvertes de repeints après son rentoilage, probablement au milieu du XXe siècle.