51. Simon Koene

Né à Le Haye en 1946

Schelpen, 1972

L’eau-forte de Rembrandt représentant un Conus Marmoreus, datée 1650, a inspiré des générations de graveurs jusqu’à la fin du XXe siècle. Le grand maître hollandais ne fut cependant pas le premier à graver un coquillage isolé, grandeur nature. Son imagination a sans doute été stimulée par la série insolite de gravures réalisée par le peintre, dessinateur et graveur praguois, Wenceslaus Hollar (1607-1677)1. Dans cette série de trente-huit estampes, les coquillages, minutieusement observés, sont tous rendus sur un fond blanc, créant ainsi une image intense, parfois oppressante. Rembrandt a obtenu un effet semblable dans le premier état de son eau-forte, dont on ne connaît que cinq impressions2. Dans le deuxième état, dont Frits Lugt a acquis un tirage en 1923, il a assombri l’image en remplissant le fond d’un dense réseau de hachures3.

L’Essai pour un hommage à Rembrandt, de l’artiste suisse Gérard de Palézieux, constitue une variation sur ce deuxième état ; l’estampe, de très petit format, est en outre imprimée sur chine-collé (voir cat. n° 58). Cette technique – qui consiste à coller avant le tirage une feuille de papier très mince sur un support plus épais – a permis à l’artiste d’obtenir une impression d’une grande subtilité, qui fait apparaître tous les traits fins et les hachures évoquant les réseaux d’une toile d’araignée sur le coquillage. Si Palézieux n’est pas entièrement parvenu à égaler la perspective audacieuse de l’eau-forte de Rembrandt, il a situé l’objet dans l’espace, en lui faisant projeter une ombre et en suggérant le fond par des hachures. Il n’a cependant pas commis la même erreur que Rembrandt, mais bien représenté le coquillage en sens inverse sur la plaque de cuivre, afin que sa gravure donne une représentation fidèle de la nature, les spires du conus allant dans le sens des aiguilles d’une montre.

Le dessinateur et graveur autrichien Jakob Demus a quant à lui retenu le premier état de Rembrandt pour point de départ, présentant le même coquillage, que l’on reconnaît grâce à sa surface marbrée particulière, sur un fond blanc, mais en position verticale (voir cat. n° 22). Demus fut l’un des premiers artistes à utiliser systématiquement une pointe de diamant, technique exigeant de travailler directement sur la plaque de cuivre4. À la différence de la pointe-sèche courante, le diamant aiguisé taille uniformément dans le cuivre, ce qui permet à l’artiste de produire des images très précises, presque photographiques. Il doit toutefois être manié avec le plus grand soin, parce que la pointe, dure mais fragile, se brise facilement. Deux coquillages de Rembrandt met en évidence la virtuosité de l’artiste dans cette technique ardue. Avec des incisions d’une finesse extrême, il a habilement rendu la forme complexe enroulée et les motifs sur la surface des deux coquillages. On peut y lire l’immense admiration de Demus pour Rembrandt, qui pratiquait, lui aussi, la technique de l’eau-forte au plus haut niveau.

Le petit recueil comportant vingt gravures de plusieurs variétés de coquillages, publié en 1972 sous le titre Schelpen (Coquillages), est lui aussi redevable à la gravure de Rembrandt, quand bien même il diffère par le style et l’exécution (voir cat. n° 51). S’inspirant des Six Fairy Tales (1970) de David Hockney, l’artiste et publiciste Simon Koene a proposé à ses amis graveurs, dont Dirk van Gelder, Charles Donker, Willem Minderman, Hermanus Berserik, Jaap Hillenius, Co Westerik, Gerrit Noordzij, Arja van den Berg et Fred Couprie, de contribuer à ce projet en réalisant des estampes représentant un coquillage5. Cette collaboration fut à l’origine du Haagse Etsclub (le Club de l’Eau-forte de La Haye), une association d’artistes, dans l’esprit de la Société des aquafortistes du XIXe siècle, qui a entretenu la production, inaugurée par Rembrandt, des eaux-fortes de petit format, directement réalisées d’après nature. C’est grâce au don de l’amateur de gravures d’Amsterdam, Bauke Marinus, que toutes les séries publiées annuellement par ce groupe d’artistes se trouvent aujourd’hui dans la collection de la Fondation Custodia. MR

1Erik Hinterding, Ger Luijten et Martin Royalton-Kisch (éd.), Rembrandt the Printmaker, cat. exp., Amsterdam, Rijksmuseum, et Londres, British Museum, 2000-2001, p. 260.

2Amsterdam, Rijksmuseum, inv. RP-P-OB-241 (eau-forte, pointe-sèche et burin  ; 97 × 129 mm)  ; Erik Hinterding et Jaco Rutgers, Rembrandt (The New Hollstein Dutch and Flemish Etchings, Engravings and Woodcuts, 1450-1700), 7 vol., Ouderkerk aan den IJssel, 2013, Text II, p. 172, n° 247/I, Plates III, p. 3  ; https://www.rijksmuseum.nl/nl/zoeken.

3Paris, Fondation Custodia, inv. 1281 (eau-forte, pointe-sèche et burin  ; 97 × 133 mm)  ; Erik Hinterding, Rembrandt Etchings from the Frits Lugt Collection, 2 vol., Bussum, 2008, vol. I, p. 300-303, n° 129, vol. II, p. 145.

4Ed de Heer, Jakob Demus. The Complete Graphic Work, 1983-2005, Amsterdam, 2005, p. 5-6.

5Ina Versteeg, De Haagse Etsclub. Fascinatie voor de etskunst, Amsterdam, 2002, p. 31.